les, de Pascal ; les Lettres spirituelles, de Bossuet et de Fénelon ; les Lettres persanes, de Montesquieu ; les Lettres anglaises, de Voltaire ; les Lettres sur la musique et la Nouvelle Héloïse, de J.-J. Rousseau ; les Lettres d’Italie, du président de Brosses ; les Lettres de Jacopo Ortis, d’Ugo Foscolo ; les Liaisons dangereuses, de Laclos ; les Lettres d’une inconnue, de Prosper Mérimée, etc… — Édouard Rothen.
LETTRES (GENS de). Les gens de lettres, hommes et femmes, sont par définition les personnes « livrées à la culture des lettres » (Littré), celles « qui s’occupent de littérature, qui publient des ouvrages littéraires » (Larousse). Ce sont les littérateurs qui composent des ouvrages ou qui étudient ceux des autres. Mais, depuis que la littérature est devenue une industrie, le titre a été étendu à des gens vivant des besognes les plus singulières. Duclos disait déjà, au xviiie siècle : « Les lettres ne donnent pas précisément un état ; mais elles en tiennent lieu à ceux qui n’en ont pas d’autre. » Elles sont arrivées à fournir un état surtout à des gens qui n’ont aucun rapport avec elles ou qui n’en ont que pour les déshonorer.
Sur l’homme de lettres véritable, Duclos disait : « Ce qui constitue l’homme de lettres n’est pas une vaine affiche, ou la privation de tout autre titre ; mais l’étude, l’application et la réflexion. » Voltaire ne reconnaissait comme hommes de lettres que les lettrés. Il disait : « Les gens de lettres qui ont rendu le plus de service au petit nombre d’êtres pensants répandus dans le monde sont les lettrés isolés, les vrais savants renfermés dans leur cabinet, qui n’ont ni argumenté sur les bancs des universités, ni dit les choses à moitié dans les académies ; et ceux-là ont presque tous été persécutés. » Par contre : « Faites des odes à la louange de monseigneur Superbus Fadus, des madrigaux pour sa maîtresse ; dédiez à son portier un livre de géographie, vous serez bien reçu, mais vous ne serez pas un véritable homme de lettres. » Voltaire refusait aussi ce titre à celui qui « avec peu de connaissances ne cultive qu’un seul genre », et il ajoutait : « Celui qui n’ayant lu que des romans ne fera que des romans ; celui qui, sans aucune littérature, aura composé au hasard quelques pièces de théâtre, qui dépourvu de science aura fait quelques sermons, ne sera pas compté parmi les gens de lettres. » Il voyait dans l’homme de lettres le grammairien antique, dont les connaissances ne s’étendaient pas seulement à la grammaire mais embrassaient toutes les belles-lettres et même les sciences. On comprend que les voyant ainsi, il ait attribué aux gens de lettres les progrès de l’esprit humain, le développement de l’instruction, la destruction des préjugés et des superstitions. Ils étaient, à ses yeux, de son vivant, les philosophes encyclopédistes et il en séparait les « beaux esprits » dont la valeur est faite de qualité brillante plus que de connaissances.
Aujourd’hui, l’homme de lettre est devenu, comme « l’honnête homme », un personnage indéfini. Sa profession est non seulement celle des « plumitifs » de toutes sortes, mais elle s’apparente, en ce qu’elle est aussi vague et aussi louche, à celles d’ « agent d’affaires », de « chargé de mission », d’ « attaché à n’importe qui et n’importe quoi ». Elle s’agglomère particulièrement au journalisme et par lui à tous ceux qui en vivent. Si le publiciste — qui écrit sur le droit et la sociologie — a encore quelques rapports avec les lettres, le journaliste n’en peut avoir sans risquer de perdre son emploi où de n’y trouver qu’une vie misérable. La plupart des journalistes n’écrivent pas ; ils en seraient bien empêchés, et ce n’est pas leur fonction. La meilleure garantie de réussite dans cette profession est d’être illettré. L’homme de lettres qui s’y égare et qui ne rompt
Lars et Corydon apportent au métier des lettres les aspects les plus imprévus. À côté des « bas-bleus », des « Centaures de la civilisation » (Chapus), des « Amazones », (Han Ryner), qui ne sont pas complètement dépourvues de littérature, il y a les dames de la galanterie active et retraitée. Aux temps de l’anarchisme intellectuel qui fleurissait au Jardin de Bérénice, il y avait les femmes botticellesques, échappées des brasseries et des ateliers, qui avaient appris l’esthétique en couchant, disaient-elles, avec Verlaine. On ne compte plus aujourd’hui celles qui sont deux fois de lettres, leurs amants les ayant enlevées à la machine à écrire pour les lancer au cinéma. Les retraitées prétendent continuer les traditions littéraires des Ninon de Lenclos et des Maintenon en publiant leurs Mémoires ; elles en confient la rédaction à des professionnels spéciaux qui ont appris à écrire en vidant leurs seaux de toilette.
De plus en plus, la caractéristique de la profession des lettres est d’être occupée par des illettrés. Déjà, dans son Vicaire de Wakefield, Goldsmith écrivait ceci : « Que dites-vous de débuter par être auteur, comme moi ? Vous avez lu dans les livres que les hommes de génie meurent de faim à ce métier ; mais je puis vous montrer par la ville une quarantaine de sots qui en vivent grassement ; tous honnêtes gens, trottant dans l’ornière d’un pas égal et lourd, écrivant de l’histoire et de la politique, et fort prônés ! Des hommes, Monsieur, qui, s’ils fussent nés savetiers, auraient toute leur vie raccommodé de vieux souliers sans jamais en faire un. »
Goldsmith ne soupçonnait pas l’immense variété de types que le progrès scientifique, à défaut du progrès social, et que l’instruction bourgeoisement distribuée, amèneraient à la profession des lettres. C’est ainsi qu’on a cette classe toute spéciale de ceux qui pillent les autres et, en particulier, travaillent dans le cinéma à désosser, vider de leur substance, tripatouiller, ridiculiser les œuvres dont ils s’emparent et de préférence les chefs-d’œuvre en raison de la célébrité qui leur est attachée.