Aller au contenu

Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/626

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LIB
1234

l’Église malgré ses protestations, ni de la France consulaire malgré ses prétentions au libéralisme, ni celle des démocraties prometteuses, en dépit de la sincérité de ses protagonistes, ni celle des fausses républiques modernes que régentent les ploutocraties, ni celle des « républiques sociales » que façonnent les dictatures. Il n’y aura pas de liberté — politique ou sociale : libertés connexes — tant que la bourgeoisie « légataire universelle de la Révolution » n’aura pas restitué au peuple — dépossédé des instruments de travail (sol, outils, capitaux), éloigné en fait des affaires publiques et de l’organisation de la société — le lot et la place qui lui appartiennent. Mais il n’y aura pas non plus de liberté tant que le peuple, par son abdication et son ignorance, laissera se reformer, sur lui, sous l’égide de l’État, la coalition du césarisme politique ou économique, tant qu’il ne trouvera pas en lui-même, au lieu de les demander aux gouvernements, inévitablement agents des forts, les garanties de la liberté, tant qu’il ne s’opposera pas à ce qu’on l’emprisonne dans les lois positives. Il n’y aura pas de liberté réelle, tant que les individus prodigueront l’encens à un droit abstrait, « à une idole mutilée », il n’y aura pas de liberté vivante sans la conscience et la vigilance des intéressés… « La liberté n’est en somme que l’essor des facultés humaines, et l’amour qu’on lui porte est en raison directe de l’élévation de l’esprit et du cœur. » Avec leurs lumières s’élève le degré de liberté des hommes ; elle monte avec leur savoir et leur raison en pénètre le sens, l’équilibre et la marche. Leur volonté l’empêche de redescendre… — Stephen Mac Say.

Outre ceux cités plus haut, voir aussi les mots fédéralisme, production, gouvernement, individualisme, socialisme, etc.

LIBERTÉ (point de vue social). Léon Gambetta qui, s’il fut un tribun fameux, ne fut qu’un penseur médiocre et un piètre philosophe, n’a pas craint de dire un jour : « Il y a des questions sociales ; il n’y a pas une question sociale. » Il voulait certainement dire que l’étude de ce que de nombreux sociologues appelaient, dès cette époque, « le problème social » ne se posait pas sous une forme synthétique. Il voulait évidemment dire que, d’une part, chacune des questions se rattachant au problème social doit être étudiée séparément et aboutir à une solution isolée et que, d’autre part, il ne faut pas tenter d’établir entre ces multiples questions un lien d’interdépendance et de solidarité qui n’existe pas, dans le but d’apporter à celle-ci une solution d’ensemble, une solution unique. A l’exception des disciples — peu nombreux — que comptaient les diverses Écoles socialistes et libertaires, tout le monde partageait, quand elle fut émise, l’opinion de Gambetta. L’Idée socialiste commençait son travail de pénétration dans l’opinion publique et, privée de tous moyens de diffusion, la propagande anarchiste n’avançait que lentement et péniblement. Depuis, la sociologie a fait de remarquables progrès ; elle a précisé les termes du problème à résoudre ; remontant des effets aux causes, puis groupant et sériant les effets et les causes, les différentes écoles sont parvenues à rassembler tous les effets et à les faire remonter, de cause en cause, à une cause essentielle, fondamentale, unique. Actuellement, chaque école se flatte de posséder une doctrine ayant la vertu de contenir la solution de la question sociale toute entière et ce premier point est désormais acquis : « Il n’y a pas des questions sociales, mais une question sociale. Le problème social doit être étudié d’une façon synthétique ; il comporte une solution d’ensemble, une solution qui découle d’un principe fondamental déterminant les conditions d’existence des collectivités et des individus, une solution qui s’applique à tous les cas d’espèce. »

Je répète que ce point est définitivement acquis. Mais, ici, la pensée parvient à une sorte de carrefour au delà duquel elle s’engage dans des voies différentes. Dans cet article qui, ne le perdons pas de vue a trait à la Liberté, l’exposé, même en raccourci, de la doctrine propagée par les diverses écoles ne serait pas à sa place (Voir Sociologie).

Je dois me borner présentement à faire observer que ces Écoles se séparent et se différencient profondément : les unes proclamant intangible le contrat social actuel ; les autres, consentant à le conserver mais en y introduisant de sérieuses et multiples modifications ; les autres déclarant carrément que rien ne peut être accompli, — rien de positif, rien d’essentiel — sans que soit déchiré ce contrat social, son principe constitutif et ses articles fondamentaux étant la cause même qui donne naissance aux inégalités et aux antagonismes qu’il faut avant tout et à tout prix supprimer.

Les écoles qui prétendent nécessaire le maintien du contrat social actuel, tel quel ou modifié, sont conservatrices ; celles qui tendent à sa suppression sont révolutionnaires. On comprendra que je ne m’occupe, ici, que de ces dernières. Depuis le commencement de ce siècle, celles-ci ont rallié un nombre considérable d’adhérents ; dans plusieurs nations importantes, elles ont groupé des effectifs qui contrebalancent ceux des écoles de conservatisme social et il n’est pas déraisonnable d’avancer que le nombre des personnes conscientes de la nécessité d’une transformation vaste et profonde serait, d’ores et déjà, suffisant pour mettre à exécution leurs desseins si l’entente existait entre elles. Mais cette entente n’existe pas et j’ajoute qu’elle ne peut pas exister.

Quand des hommes se proposent le même but et que les divergences n’éclatent entre eux que sur la question des voies et moyens, l’accord est souvent long et difficile à se faire ; mais il reste toujours possible et, à la faveur de certaines circonstances, recherchées ou imprévues, il se réalise parfois. Mais lorsque cette opposition de tactique provient de l’opposition du point de départ et du but à atteindre, l’entente ne peut se produire ; car, sur quelle base reposerait-elle ?

Imaginez une troupe d’individus devant effectuer le même voyage, c’est-à-dire partant du même lieu et se proposant d’arriver au même endroit ; il pourra surgir des discussions sur l’heure du départ, l’itinéraire à suivre, le moyen de transport à employer, mais il est à espérer qu’ils finiront par se mettre d’accord sur ces diverses questions et faire route ensemble.

Tandis que, si vous supposez des personnes ayant à effectuer non seulement des voyages différents, c’est-à-dire n’ayant ni le même point de départ, ni le même point d’arrivée, mais encore des voyages en sens inverse — les unes se dirigeant vers le nord et les autres vers le sud — il est de toute évidence qu’elles n’arriveront jamais à suivre la même voie.

Or, dans le grand mouvement social qui caractérise notre époque, les divergences de vue sont nombreuses ; quelques-unes sont de minime importance, mais d’autres tout à fait fondamentales. Ces dernières ont créé deux groupements bien distincts, absolument opposés l’un à l’autre, n’ayant pas la moindre affinité réelle et stable, malgré des extériorités qui, pendant quelques années, les ont fait se ressembler beaucoup et, même aujourd’hui, les font parfois confondre. Ces deux groupements correspondent à deux courants symétriquement opposés : le courant libertaire ou anarchiste et le courant autoritaire ou étatiste, entre lesquels toute conciliation est parfaitement irréalisable. Les divergences de détail ont amené, au sein du parti autoritaire, des querelles, — querelles de personnalités qui, se disputant l’avantage de diriger le dit parti, et de faire peser sur lui comme une dictature, ont fondé plusieurs chapelles