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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/631

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miers et la détresse des seconds, peut-on concevoir des hommes manquant du nécessaire à côté d’êtres gorgés de luxe ? Je ne le pense pas ! Dans une humanité débarrassée de l’outillage tyrannique des monarchies, des républiques parlementaires, des États, conséquemment des tribunaux, des prisons, des casernes, peut-on imaginer des maîtres qui commandent et des esclaves qui obéissent ? Pas davantage ! Peut-on enfin supposer, dans une société qui n’a pour toute règle de morale que le « fais ce que veux » de l’immortel Rabelais, des individus dépensant leur énergie, à châtier leurs plus naturelles et plus nobles passions, à vivre dans les transes d’une conscience terrorisée, à résister aux propulsions de la chair, aux turbulences inquiètes de la pensée, au désir de rechercher et de savoir ? Évidemment non !

Et la prostitution ? Et le vol ? Et la violence ? Et la guerre ? Et l’hypocrisie ? Et la cupidité ? Et la soif de domination ? Ces fléaux de notre époque mercantile et hiérarchique, n’est-il pas certain qu’ils disparaitront plus ou moins rapidement quand ils ne trouveront plus à s’alimenter ?

Pourquoi la femme se prostituerait-elle, si elle ne trouvait aucun intérêt à se vendre et si rien : ni loi, ni famille, ni opinion publique, ni éducation, ni morale, ne lui reprochait de se donner ? Pourquoi volerait-il, celui qui n’aurait qu’à prendre au tas tout ce dont il aurait besoin ? Et si, atteint de kleptomanie, quelqu’un dérobait un objet à l’usage d’un autre, quel tort ferait-il à ce dernier qui pourrait remplacer l’objet soustrait, avec beaucoup moins de peine et d’ennui qu’il n’en prend aujourd’hui pour saisir d’une plainte le commissaire de police, déposer devant le juge d’Instruction et témoigner en justice ? Pourquoi la guerre, en l’absence de patries, c’est-à-dire d’agglomérations plus ou moins étendues vivant sous le même gouvernement et les mêmes lois, gouvernants et législateurs ayant été emportés avec l’Autorité qui les crée ? Il n’y aurait plus alors qu’une seule patrie : l’univers, et France, Allemagne, Angleterre, Russie, États-Unis, seraient de simples expressions géographiques représentant une partie de la planète, comme Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux sont aujourd’hui des expressions géographiques servant à désigner, en France, des points spéciaux. Pourquoi l’hypocrisie, lorsque la vérité n’aurait rien à perdre, la fourberie rien à gagner ? Qui donc consentirait à se souiller sans profit du mensonge ? Qui donc s’affublerait d’un masque pour le seul plaisir d’en être incommodé ? Pourquoi la rapacité, alors que billets de banque, actions et obligations ne seraient que de vulgaires chiffons de papier, et que, le commerce n’ayant plus sa raison d’être, point ne serait besoin, pour se procurer les choses utiles ou agréables, de posséder de l’or ou de l’argent ? Que deviendrait la soif de domination, parmi des hommes libres dont nul ne consentirait à obéir et dans une société dont seraient brisés à jamais tous les rouages hiérarchiques ? Faute d’aliment, l’ambition de commander mourrait.

Je pourrais remplir des pages et des pages de points d’interrogations de ce genre ? A tous la réponse serait identique. Par elle-même la propriété individuelle n’est rien autre chose qu’une fiction, Elle ne devient réalité — et hélas réalité douloureuse ! — qu’en s’appuyant sur la Législation qui stipule les conditions dans lesquelles il est permis d’accaparer une part de l’avoir commun, d’en tirer profit, et sur la force armée, mise au service de cette législation tout en faveur des riches. Intrinsèquement, la morale n’est qu’un mythe et, malgré dogmes religieux, famille, éducation, bien faible serait son pouvoir sur les consciences, si toute dérogation au « Devoir » n’était punie par le législateur et sévèrement jugée par l’opinion publique. Il n’y a de réel, de tangible, de redoutable dans ces expressions : capital, gouvernement, morale, que le principe qui les anime et les fortifie : le

principe d’autorité, lequel se traduit par des obligations et des entraves qui mettent les individus et les groupes dans la nécessité de renoncer à faire ce qui leur convient et à subir toutes les contraintes,

Ainsi, les deux épreuves auxquelles nous avons soumis le principe d’autorité se corroborent pleinement. De la première, il découle que toutes les afflictions humaines se rattachent directement à une quelconque des applications sociales du principe d’Autorité. De la seconde, il résulte que, ce principe abandonné, toutes les contraintes disparaissent et, avec elles, la douleur universelle.

J’insiste : je reprends et résume cette démonstration, car elle est d’une importance capitale :

A. — Des effets à la cause : l’homme est un composé de besoins extrêmement variés. La compression de ces besoins, voilà la douleur. J’aperçois clairement que la cause immédiate de cette compression — atteignant une partie quelconque de l’individu : ventre, cerveau ou cœur, organes correspondant à l’une quelconque des catégories de besoins : matériels, intellectuels ou moraux — est une quelconque de nos institutions sociales. Or, malgré la complexité de ses organes, l’individu est un. J’en infère que, en dépit de la variété corrélative de ses institutions, le superorganisme social pourrait bien être un également. Je cherche où peut se trouver cette unité et je la découvre dans un principe, un fait, une base : l’Autorité.

B. — De la cause aux effets. J’intervertis la marche de mes observations. Je constate que « le principe d’Autorité » comporte des organismes « manifestations », que ceux-ci, causes dérivées, s’affirment par des sous-organismes qui agissent enfin directement sur le patient : l’individu.

Induction d’abord, déduction ensuite : les deux méthodes aboutissent au même résultat concluant, décisif, inattaquable : « Dans le domaine social, l’Autorité est la cause unique de la douleur universelle ! »

Le principe d’Autorité ! Voilà donc le virus qui empoisonne toutes les institutions, tous les rapports humains, toutes les relations sociales !

Voilà, pour employer le langage du jour, le microbe qui engendre toutes les maladies dont agonise l’espèce humaine.

On a pu trouver trop longue cette démonstration et estimer trop touffus les développements qui précèdent. Je ne veux pas m’excuser de ces longueurs : elles m’ont paru nécessaires et, en vérité, je pense qu’elles étaient indispensables. Car, si je suis parvenu à établir que le Principe d’Autorité et ses inéluctables conséquences sont, sur le terrain social, la cause profonde, essentielle, fondamentale, unique des misères, des servitudes, des iniquités, des antagonismes, des vices et des crimes dont souffre le corps social, j’aurai, ipso facto, j’aurai du même coup, j’aurai de plano — j’insiste et me répète de propos délibéré — prouvé irréfutablement que le remède si laborieusement et si passionnément cherché par les philosophes sociologues se trouve dans le principe de Liberté.

Toutes ces choses, je les considère, depuis plus de quarante ans, comme des certitudes indiscutables, et, j’en ai administré la preuve il y a déjà trente-cinq ans dans mon livre : « La Douleur universelle ». Ces certitudes qu’on peut logiquement condenser dans cette formule limpide : « Le principe d’Autorité, voilà le Mal, Le principe de Liberté, voilà le remède ! » résumant admirablement toute la Doctrine anarchiste. Les anarchistes tiennent l’Autorité pour la source empoisonnée d’où jaillissent toutes les iniquités sociales et la Liberté pour le seul contrepoison qui soit de nature à purifier l’eau de