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dans ses articles 91 à 97 et 113 à 116, complétés par une loi du 8 décembre 1897 et précisés par des circulaires comme celle du 20 février 1900. Leur violation est punie par les articles 112, 114, l19 et 120 du Code pénal. Mais à côté, dans le même Code d’instruction criminelle, les articles 10, 49, 50, fournissent les moyens de violer les précédents en toute tranquillité, et la loi du 30 juin 1838 est là pour, le cas échéant, donner tous les apaisements aux « consciences » les plus « timorées ». Les articles du Code qui punissent les violations de la liberté individuelle et, en particulier, l’article 114 du Code pénal contre les « attentats » à cette liberté, restent à l’état de lettre morte. Non seulement les forfaiteurs peuvent procéder impunément, mais ils retirent souvent, comme récompense de leur forfaiture, des faveurs qu’attendent vainement les « timorés » dont la conscience s’encombre de scrupules. On a vu ainsi les bourreaux du capitaine Dreyfus demeurer dans leurs situations officielles, avec tous leurs profits, à côté de ses défenseurs. On comprend comment il est si difficile d’obtenir la réparation des erreurs judiciaires les plus manifestes et des violations de la loi les plus scandaleuses. Les « consciences » qui président à l’administration de la justice s’efforcent d’empêcher ou de retarder ces réparations par tous les moyens. Leur rêve : c’est de faire proclamer « l’irrévocabilité de la chose jugée ! » (H. Guernut, L’Œuvre, 30 octobre 1927). Ils voudraient nous ramener ainsi au temps de l’infaillibilité théocratique. Dieu ne peut pas se tromper ; les imposteurs qui parlent en son nom sont par conséquent infaillibles. La Loi est souveraine ; ceux qui l’appliquent partagent donc cette souveraineté et n’ont de comptes à rendre à personne. C’est simple et commode. Bon plaisir et forfaiture tiennent ainsi la justice en échec au temps des Droits de l’Homme comme au temps du droit divin ; ils la manipulent à leur gré et sont assurés de l’impunité. Quelles sont les garanties de la liberté individuelle dans de pareilles conditions ?

Non seulement en cas de flagrant délit, mais sous le prétexte d’une dénonciation quelconque, des auxiliaires de police peuvent arrêter quelqu’un, perquisitionner et saisir ce qui leur plait chez lui, l’incarcérer, l’interroger ou le tenir au secret, entendre des témoins, tout cela en dehors de toutes les garanties de justice prévues par les articles 93, 97 et 113 du Code d’instruction criminelle. Plus de juge d’instruction et d’avocat. Le subalterne qui a fait l’arrestation remplace le juge. S’il s’est trompé en arrêtant, il cherchera peut-être, pour réparer son erreur, à obtenir des aveux. Tous les moyens sont bons, même la torture, dans ces « chambres des aveux spontanés » où le « coupable » est seul, sans défense devant des policiers qui « veulent l’avoir »… Par le moyen de la loi du 30 juin 1838, l’incarcération peut devenir une détention temporaire ou définitive dans un asile d’aliénés, ce, sans instruction judiciaire, sans jugement, sur les seuls rapports de médecins complices. Des gens importants et bien placés dans la hiérarchie sociale peuvent ainsi se débarrasser sans bruit de qui les gêne : maîtresse compromettante, enfant illégitime, tuteur sans complaisance, parent riche trop long à mourir, ouvrier ou employé dont on veut se venger, pauvre bougre dont la tête ne « revient pas » à un puissant, conjoint sans compatibilité d’humeur, locataire qu’on ne peut expulser légalement, etc… : (Affaires Verlain, Haworth, Lemoine, Chateaubriand, Larcher, Boutet, Mayrargue, Daltour, d’Orcel, et cent autres). Malgré l’article 114 du C. P., il n’y a aucune réparation pour ces victimes. Heureuses sont-elles quand elles peuvent sortir vivantes des in-pace où les avait plongées le bon plaisir de leurs bourreaux. On voit que la suppression des lettres de cachet n’a rien supprimé du tout.

Tous les jours, des policiers, procèdent à des violations de domicile, à des perquisitions irrégulières, sans

mandats de justice. Malgré l’article 113 du C. d’I. C. on incarcère préventivement, pendant des semaines et des mois, sons les prétextes les plus futiles, des gens ayant un foyer, des répondants honorables, alors que la détention préventive ne doit pas dépasser cinq jours lorsque le prévenu n’est passible que de la correctionnelle et d’une peine inférieure à deux ans de prison. On voit des choses comme ceci :

Le 1er septembre 1926, le tribunal de Marseille condamnait seulement à 16 francs d’amende, avec sursis, tant le délit était léger, sinon inexistant, une marchande qui avait vendu dans la rue et sans autorisation, quelques légumes. Cette femme avait préalablement subi 83 jours de prison préventive. Non seulement elle ne reçut aucun dédommagement du préjudice matériel et moral qu’elle avait souffert, mais encore, on lui réclama la somme de 174 francs pour frais de justice ! (Cahiers des Droits de l’Homme, 20 avril 1928).

On voit aussi des Procureurs de la République imposer à des prévenus qu’aucune condamnation n’a encore frappés, et qui sont mis en liberté provisoire, une interdiction de séjour prévue uniquement contre des condamnés récidivistes (Affaire du professeur Platon). Dans cette affaire du professeur Platon, que la Ligue des D. de l’H. s’occupe de faire réviser, on a pu voir toutes les irrégularités, toutes les illégalités, tous les abus de pouvoir de la magistrature. Les condamnations ont été prononcées « par ordre » venues de politiciens puissants et de diffamateurs qui se trouvaient même dans le personnel du Ministère de la Justice. Tous les magistrats qui ont été mêlés à cette affaire, et devraient connaître les rigueurs de l’article 114 du C. P., ont eu de beaux avancements et ont été décorés de la Légion d’honneur, ainsi que des journalistes stipendiés, sans parler des profits récoltés par des politiciens, médecins et autres « honnêtes gens » pour qui cette affaire a été une véritable curée. (Cahiers et brochures de la Ligue des Droits de l’Homme).

Des raisons politiques, des intérêts particuliers, interviennent à tout propos dans l’administration de la justice pour supprimer toute liberté aux uns, pour l’accorder jusqu’à la licence aux autres. On étouffe certaines affaires, on fait une publicité scandaleuse à d’autres. On ménage les gens en place, les favorisés de la fortune. Leurs turpitudes trouvent toutes les indulgences, toutes les complicités ; mais on sévit lourdement contre les petits. Il en est comme sous Louis XIV :

« Suivant que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »

(La Fontaine).

Pendant que des indigents subissent la « contrainte par corps » parce qu’ils ne peuvent pas payer le montant d’une amende, des gens riches échappent même à la prison à laquelle ils ont été condamnés. « M. Bourdon cite l’exemple d’un riche automobiliste condamné à huit mois de prison pour homicide par imprudence, qui a été libéré au bout de quinze jours » (Cahiers des Droits de l’Homme, 10 janvier 1927). « Vous punissez celui qui est pauvre », disait Jules Favre aux législateurs impériaux de 1867. Ceux, républicains, de 1928 continuent.

A tous les abus contre la liberté individuelle s’ajoute la publicité qui déshonore les individus et les livre à la malignité publique avant toute preuve de culpabilité contre eux. La presse descend, dans cette besogne, au-dessous des policiers. L’article 38 de la loi du 29 juillet 1881 dit ceci : « Il est interdit de publier les actes d’accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu’ils aient été lus en audience publique, et ce, sous peine d’une amende de 50 francs à 1.000 francs ». La loi veut que l’instruction judiciaire soit secrète, renfermée dans le cabinet du juge instructeur. Ce secret n’est respecté que suivant la qualité de