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et sa raison doit suffisamment le déterminer pour lui permettre de concevoir, conclure et tenir des engagements amplifiant sa vie.

L’éducation ne saurait donc être libre c’est-à-dire exercée par n’importe qui, soumise à la fantaisie, à l’ignorance ou la malfaisance des éducateurs politiques ou religieux. Nous voyons les résultats de cette éducation et nous en connaissons les méfaits. L’éducation doit être impersonnelle, scientifique et objective et résulter d’une étude profonde de la vie.

Tous nos efforts doivent tendre à faire admettre ces conceptions par les progéniteurs lesquels, comprenant enfin leur lourde responsabilité favoriseront la création de milieux éducatifs rationnels, seules sources possibles de transformations sociales profondes et durables. — Ixigrec.

LIBERTÉ (Éducation). Nous avons déjà parlé de la liberté aux mots Éducation et Enfant. Nous sommes libres, disions-nous, dans la mesure du facteur personnel de la décision. Autrement dit, il n’y a liberté que s’il y a personnalité. Mais la personnalité n’est pas quelque chose d’inné ; elle se forme peu à peu et résulte en définitive : de l’hérédité — le jeune enfant a des tendances, les instincts qu’il doit à ses ancêtres ; de l’influence du milieu sur l’individu — adaptation du tempérament individuel aux exigences du milieu social ; de l’expérience individuelle. « Cette expérience individuelle vient se surajouter à l’expérience ancestrale et à l’expérience collective pour déterminer le caractère de l’individu et conditionner son comportement. » (Vermeylen).

Ainsi donc il y a évolution dans la formation de la personnalité ; tout d’abord, de très bonne heure apparaît la notion du « mien ». « Le « mien », c’est non seulement l’enfant lui-même… mais tout ce qui l’entoure et qui lui sert. Il ne se distingue pas encore des vêtements qui l’habillent, des bras qui le portent, du sein qui le nourrit. » (Vermeylen). Peu à peu l’enfant devient capable de faire cette distinction et acquiert la notion du « moi ». Cette « notion s’établit progressivement sans qu’on puisse lui attribuer des limites fixes. Vers l’âge de trois ans elle n’est pas encore nettement assise. Lorsque, par jeu, on fait semblant de prendre l’enfant pour une autre personne, on le voit parfois s’inquiéter comme si la chose restait malgré tout pour lui possible ». Prenant conscience du mien et du moi, de ce qu’il a été, de ce qu’il est, de ce qu’il sera, l’enfant acquiert enfin la notion du « je », mais jusqu’au moment de la puberté, ce « je » reste très peu personnel ; l’enfant est avant tout un imitateur. « Au cours de l’adolescence, au contraire, le sentiment personnel s’hypertrophie souvent de façon exagérée et entre en lutte avec le milieu ».

Tout autant que les contraintes des parents ou des éducateurs, l’insuffisance du développement de la personnalité rend la liberté des enfants toute relative. La relativité de la liberté est d’ailleurs admise pour les adultes aussi bien que pour les enfants :

1. Liberté matérielle. — Il faut reconnaître qu’il existe quelque chose comme une liberté matérielle…, découlant de la possession de l’argent, d’une bonne santé, de la puissance. Sa limitation s’exprime par la pauvreté, la maladie, les conventions ;

2. Liberté émotive. — Nous sommes tous esclaves de nos émotions sous une forme ou sous une autre ; nous ne sommes pas libres…

3. Liberté mentale. — Peu de gens ont été capables de s’élever au-dessus des limitations des doctrines politiques, des credos, du sentiment national. Beaucoup d’entre nous sont liés par leur point de vue et ne sont pas libres au point de vue mental ;

4. Liberté spirituelle. — On ne peut donner que ce que l’on possède. « A moins d’être relativement libres, nous ne pouvons transmettre la liberté à nos élèves. Un des plus graves problèmes éducatifs est donc celui de la libération spirituelle du maitre » (Béatrice Ensor).

Mais même si le maître était libéré spirituellement, il ne pourrait accorder le même degré de liberté à tous les enfants. Le degré de liberté qui peut être accordé à l’enfant varie suivant l’âge et le type d’enfant.

L’âge. — « Ainsi on peut tolérer des actes et des réactions chez un enfant de trois ans qu’on n’admettra plus à six ans, et de même à six ans qu’on ne permettra plus à douze ans et ainsi de suite. Et il est bien entendu qu’il s’agit de l’âge mental bien plus que de l’âge réel. »

Le sexe. — Les garçons moins dociles demandent une main plus ferme. Il y a d’ailleurs des exceptions.

Le facteur physiologique. — Les enfants vigoureux dépassent plus facilement les limites permises.

Les instincts. — Instinct combatif, groupal, etc. qui modifient le comportement.

L’état sensoriel et émotif. — « Chez l’enfant sourd ou aveugle, la discipline est rendue beaucoup plus difficile du fait que l’élève reste isolé du milieu social et ne subit que faiblement l’influence du groupe et de l’éducateur. »

L’intelligence et les aptitudes. — « Un enfant arriéré ne comprenant pas la nécessité de l’ordre et de la règle troublera la classe entière. »

Les habitudes acquises dans la famille. — L’enfant unique est souvent indiscipliné et l’on est souvent obligé de restreindre sa liberté à l’entrée à l’école.

Les connaissances de l’enfant. — « S’il a fait lui-même certaines expériences fâcheuses ou s’il a vu d’autres en faire, il s’adapte plus rapidement que l’enfant qui a été tenu à l’écart de ces mêmes expériences. » (D’après le Dr Decroly).

Cependant si, dans l’intérêt même des enfants, on ne peut accorder à ceux-ci une liberté entière, il faudrait au moins que les restrictions apportées à cette liberté le soient dans l’intérêt des enfants et non pour satisfaire l’égoïsme des adultes.

« Dans la majorité des familles des lieux où les adultes vivent avec les enfants, tout est prévu pour que les grands aient leurs heures de relâche, de détente, leurs aises ; les locaux, les horaires sont organisés en vue de ne pas gêner les grands, et en fait les entraves à la liberté des petits sont très souvent dues à l’égoïsme des grands….

« Le facteur dominant, conscient ou inconscient, c’est ce qu’on appelle la loi du moindre effort, et comme le grand est le plus puissant, il s’arrange, avec la meilleure foi du monde d’ailleurs, pour que le cadre où il doit vivre avec le petit soit approprié à ses propres besoins, à ses goûts à lui d’abord, à ceux de l’enfant ensuite, s’il le peut et s’il y songe. » (Dr Decroly).

Cependant la liberté de l’enfant n’est pas moins utile aux éducateurs, parents ou maîtres, qu’aux élèves. Pour agir efficacement sur le développement d’un enfant il faut connaître cet enfant, ses actions, ses réactions, ses intérêts, et comment connaître cela si on ne l’observe pas en liberté. Dans l’école oppressive c’est pendant les récréations, c’est-à-dire pendant les moments de liberté, que les maîtres apprennent le mieux à connaître leurs élèves.



Le problème de l’éducation pour la liberté, de la libération de l’enfant se pose d’abord dans la famille. Il se pose ensuite à l’école et y est d’autant plus difficile à solutionner que la plupart des écoles ont des externats,