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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/661

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veurs que le pouvoir royal a accordées à des manufactures soustraites à la règle dépressive et grâce à l’appel à des techniciens et ouvriers étrangers.

Il est donc vrai de dire que la protection est l’ennemie du progrès.

Ainsi, ni le laisser-faire-laissez-passer, ni le protectionnisme n’apportent une solution acceptable au problème des échanges mondiaux. L’un et l’autre favorisent tantôt l’une tantôt l’autre des catégories des classes possédantes, toujours au préjudice du producteur laborieux. Au poids des iniquités qui le chargent à l’intérieur du pays ils ajoutent celui des inégalités naturelles ou artificielles que caractérisent les diverses nations. Ce qu’il faut c’est une organisation qui nivelle ces différences.

Cet équilibre on a cherché à le réaliser par deux procédés. Les États se sont engagés dans la voie des traités de commerce. Pour chaque catégorie de matières et de produits, besoins, moyens de satisfaction, charges, possibilités de développement sont soigneusement examinés ; il en résulte une tarification qui vise à harmoniser les intérêts des parties contractantes, au lieu de les opposer, à faciliter l’expansion économique de chacune d’elles au lieu de l’entraver. Aux caprices des gouvernements, aux revirements de leur politique se substitue la fixité des conventions commerciales. Mais, à peine ces traités sont-ils conclus que l’âpreté des appétits des gros producteurs de chaque nation les pousse à s’y soustraire par des subterfuges : épizooties supposées, par exemple, suspendant le transport du bétail, spécialisation minutieuse d’un produit restreignant les facilités primitives. La guerre de tarifs reprend, avivée par d’autres gouvernements lésés par l’accord partiel conclu trop souvent à leur détriment. Bientôt elle entraîne des conflits plus redoutables.

Les grands cartels internationaux sont une tentative d’organisation d’une tout autre portée. Se partager à l’amiable les matières premières, se répartir les zones à desservir, contingenter la production pour l’adapter à la demande, tout cela constitue incontestablement une œuvre utile. Malheureusement ce n’est pas l’utilité générale qui est prise en considération mais l’intérêt d’une minorité avide. Néanmoins les résultats obtenus dans le sens de la rationalisation devront être retenus pour être mis au service d’une autre cause.

Tant que les services ne s’échangeront pas uniquement contre des services équivalents, tant que des privilégiés pourront trafiquer des matières et des forces gratuites dont la propriété usurpée donne le pouvoir de frustrer de ses droits le travailleur démuni, la liberté des échanges est un leurre, la protection un danger. Mais, une fois ces conditions remplies, le problème de l’organisation demeure. Fixer les règles qui devront présider à la concession, à l’utilisation, à la répartition des richesses dont le capitalisme monopolise aujourd’hui l’usage, voilà la tâche pressante qui s’impose à nous, car, telle est notre mollesse atavique, que des transformations sociales qui intéressent notre vie matérielle inspireront des craintes à la masse tant que le régime nouveau n’aura pas été, sinon défini avec une précision que les événements rendraient vains, au moins assez nettement esquissé pour incliner les esprits à son acceptation. — G. Goujon.


LIBRE EXAMEN On appelle libre examen une certaine méthode de recherches et d’investigation applicable à tous les problèmes qui sollicitent l’attention des hommes — et quel que soit le domaine de l’activité humaine qu’ils intéressent — laquelle méthode repose sur un examen rationnel et impartial de toutes les questions qu’elle approfondit, un examen libéré de toute considération « aprioristique », c’est-à-dire ne tenant aucun

compte des dogmes, préjugés, conventions, institutions ou traditions, de quelque ordre que ce soit.

La méthode de libre examen peut, en ce qui concerne certaines questions controversées, aboutir à une conjecture ou à une hypothèse. En effet, il manque à l’homme force connaissances, non seulement pour se faire une idée exacte des mouvements, des énergies, des forces cosmiques mais encore — par ignorance de tous les éléments déterminants — pour porter des jugements exempts d’inexactitude, soit sur des phénomènes d’ordre purement tellurique, soit sur la marche de l’évolution des milieux ou des individus. Or, la caractéristique de la méthode de libre examen, c’est qu’elle conduit, en pareil cas, quiconque s’en sert loyalement, à présenter ses déductions ou ses opinions pour ce qu’elles sont : des hypothèses ou des conjectures que l’avenir confirmera ou infirmera.

Il peut même arriver que la méthode de libre examen n’aboutisse pas, pour une même question posée à plusieurs personnes, à une solution identique. Il y a, en effet, dans la sphère de l’abstrait, de l’intellect, des mœurs, voire dans la sphère économique, des problèmes dont la solution dépend du tempérament, des connaissances, des aspirations de l’individu qui entreprend de les résoudre. Scrutées à la lumière du libre examen, il est des questions qui comportent plusieurs réponses.

La méthode appliquée ordinairement par les hommes d’État ou les hommes d’Église à l’examen des questions que pose l’évolution humaine est limitée au contraire par les dogmes, les préjugés, les conventions, les institutions d’ordre religieux ou laïque, moral ou légal, intellectuel ou éducationnel, etc., que leur réponse ne peut jamais transgresser. C’est pourquoi l’enseignement étatiste ou ecclésiastique ne peut jamais être un enseignement basé sur le libre examen. — E. Armand.


LIBRE-PENSÉE Le mot composé libre-pensée, employé constamment, est assez récent : il ne se trouve pas dans Littré, qui contient trois grandes colonnes sur le mot libre. Cependant il y eut toujours des libres-penseurs, selon le sens qu’on attribue généralement à ce mot, mais on leur donnait des noms divers. On les appelait incrédules, incroyants, infidèles, païens, athées, même quand ils croyaient en un Dieu créateur. Au xviiie siècle, les libres-penseurs étaient dénommés philosophes, déistes, théistes, voltairiens, esprits forts, sceptiques.

Le distingué historien anglais contemporain, John M. Robertson, dit que le mot libre-penseur est une traduction de l’anglais freethinker, qui avait été appliqué, vers 1667, à quelques membres de la Royal Society (académie des sciences de Londres). Mais le terme n’était pas employé dans le sens actuel du mot, car il existe une brochure publiée vers 1692, où il est question d’une secte nommée : Fraternité des libres-penseurs. C’était probablement un groupe de croyants non orthodoxes.

La première fois qu’on trouve le mot dans l’acception d’incrédule, c’est dans une lettre de l’écrivain Molyneux au philosophe Locke, en 1695. L’auteur, parlant de Toland, dont un ouvrage sceptique avait été brûlé à Dublin par le bourreau, appelle cet auteur un candide libre-penseur.

C’est en 1713 que le déiste Collins donna pour la première fois le mot libre comme synonyme de déiste dans son Discours sur la libre-pensée, à propos de la naissance et des progrès d’une secte nommée Libres-Penseurs.

Une revue hebdomadaire non sceptique fut fondée en 1718, sous le nom de The Freethinker (Le libre-penseur), mais ce n’était qu’une publication d’avant-garde politique. Swift, le célèbre pasteur, auteur des Voyages de Gulliver, avait publié en 1714 ses Libres Pensées sur l’État actuel des affaires. Ce n’était pas un ouvrage