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antireligieux. Peu à peu la question religieuse devint le sujet des discussions, la libre-pensée fut une sorte de réaction contre certaines phrases des doctrines traditionnelles en religion, et bientôt ce fut un synonyme du mot déiste, à la façon de Voltaire. Un grand nombre de penseurs anglais repoussant les superstitions chrétiennes, comme Thomas Paine, auteur de l’Age de raison, mordante satire de la Bible, étaient des déistes convaincus. Ils croyaient en un Dieu créateur, mais cet esprit n’intervenait pas dans les affaires du monde.

Paine avait conservé les idées de son jeune âge sans approfondir celles de création, de gouvernement du monde. Ses ennemis eurent tôt fait de l’appeler athée, ce qu’il n’était pas. Encore à présent, en Amérique, on parle sans cesse de Paine, l’un des fondateurs de la Constitution des États-Unis, et la majorité des citoyens ont une sorte de sainte horreur du célèbre publiciste, ancien membre de la Convention Nationale à Paris, parce qu’on l’accuse encore d’athéisme. Roosevelt l’a appelé un sale petit athée, trois expressions absolument fausses. Paine n’était pas petit, il était extrêmement soigneux de sa personne, et il n’était pas athée. C’était un libre-penseur resté déiste.

En Angleterre, bien que le mot libre-penseur fût né dans ce pays, on appelait les non-croyants des athées, des païens, des infidèles, mot d’insulte qui est resté en usage jusqu’à ces dernières années. A présent, outre Freethinker, titre d’un journal qui ne cache pas ses idées matérialistes et athées, les libres-penseurs revendiquent surtout le titre de rationalistes, de sécularistes (c’est donc de ceux qui s’occupent du présent et ne pensent pas au ciel).

Le célèbre physiologiste Huxley, propagateur ardent du transformisme, ne voulant pas être appelé athée, inventa le nom d’agnostic, du grec a-gnosco (je ne sais pas). Mais cette espèce de pyrrhonisme n’est pas éloigné de l’athéisme, car les athées n’affirment pas qu’il n’y a pas de Dieu, mais seulement qu’ils ne comprennent pas ce qu’est un Dieu, être ou esprit que nul n’a jamais pu définir clairement. Herbert Spencer, philosophe, dont les œuvres très célèbres en Russie, sont plus connues en Angleterre par leurs titres que par leur contenu, admet une philosophie de l’inconnaissable, qui n’est qu’une sorte d’athéisme ou d’agnosticisme, sauf l’affirmation d’inconnaissable, terme peu philosophique, puisque nul ne peut savoir ce que l’avenir réserve à la science. L’inconnu d’aujourd’hui sera peut-être admis demain par tous les savants.

En Russie, jusqu’à la révolution, on les appelait aussi boussourmans (corruption de Musulmans), voltairiens, puis ce furent des nihilistes, comme le Bazarov de Tourgueniev, mais le nom de libre-penseur ne leur était pas donné. Encore à présent, le mot libre-penseur (svobodno mouislitel), n’est guère employé que par les littérateurs ; le peuple se sert plutôt du terme bezbojniki (les sans Dieu) pour appeler les libres-penseurs qui sont protégés par le gouvernement bolcheviste. Il paraît à Moscou un très beau journal caricaturiste, nommé Le Bezbojnik ou Stanka. Un autre journal hebdomadaire du même genre est l’organe de l’Union des athées, à l’établi, et est très répandu. Une revue mensuelle, L’anirelighiosnik (l’Antireligieux) contient des articles très sérieux sur la philosophie, sur les sciences, sur les sectes si nombreuses dans le pays et dont quelques-unes sont franchement révolutionnaires, tandis que d’autres sont dégoutantes, comme les klilisti et les eunuchs.

En Ukraine, depuis la révolution, la libre-pensée a fait de grands progrès. Les libres-penseurs y sont appelés Bezverniki (les sans religion), c’est le titre d’une magnifique revue illustrée, publiée à Kharkov.

Tant que la Croatie fut soumise à la Hongrie, l’Eglise catholique était toute puissante ; mes étudiants à l’Aca-

démie de Susvak (prononcez Sonchack) étaient obligés d’aller à la messe, quoique la plupart me déclarassent qu’ils ne croyaient à rien. Même les professeurs croates étaient tenus d’assister aux cérémonies, ce dont ils se plaignaient car la plupart étaient libres-penseurs. Depuis que le pays fait partie de la Yougoslavie, royaume des Serbes, Croates et Slovènes, la politique absorbe tous les esprits et la libre-pensée est un peu mise de côté.

Cependant une belle revue était publiée à Zagreb (capitale de la Croatie) sous le titre de Slobodna Missao (Libre-Pensée). Je ne sais si cette publication paraît encore. En Bohême, où le mouvement est très puissant, on appelait Hussites ceux qui rejetaient les dogmes catholiques. Un Congrès international de la Libre-Pensée a siégé à Prague et chaque année on célèbre, au pied de la statue de Hus, la commémoration de ce martyr.

Le principal journal libre-penseur tchèque s’appelle Volna Myslenka (Libre-Pensée). Le président de la république Mazarik est libre-penseur. On publie aussi de très nombreux volumes libres-penseurs et des journaux comme Volna Skola (Ecole libre) Havlitchek, nom d’un des plus actifs journalistes libres-penseurs anciens.

Les Allemands de Bohème très actifs aussi, publient un hebdomadaire Freie Gedanke (Libre-Pensée). Ils font de la propagande dans tous les districts allemands, malheureusement ils ont une tendance nettement marxiste.

L’Allemagne est actuellement le pays où il y a le plus de libres-penseurs organisés, probablement plus d’un million. On y publie de nombreux journaux libres-penseurs, et des ouvrages qui sont souvent confisqués comme par exemple L’Église en caricature, dont, après un long procès, la justice vient enfin d’autoriser la vente. Des Congrès qui comptent plusieurs centaines de membres ont siégé dans certaines villes.

Cependant anciennement les vrais libres-penseurs étaient rares. Les Allemands trop longtemps occupés de querelles entre les protestants et les catholiques romains, avaient peur du nom de libre-pensée, même lorsque Frédéric II se montra incroyant au christianisme. Au xviiie siècle les plus avancés étaient dénommés par le peuple Gottlos, sans Dieu, mais les athées étaient presque introuvables. Peu à peu on a appelé philosophes, Kantiens, Hégéliens, Schopenhaueriens, ceux qui se fondaient sur les principes de ces écrivains qui, eux, niaient les dogmes chrétiens, sans s’appeler libres-penseurs.

A présent cela a bien changé. On se nomme sans crainte Freidenker ou même astheist. Un ancien moine Hans Ammon se proclame athée dans son journal Lichtbringer (Le porteur de lumière).

Avant la guerre, il y avait à Nuremberg un Atheist, journal plutôt anti-belliciste qui fut supprimé pendant les hostilités. Un autre nom appliqué à la libre-pensée est (Geistesfreiheit. Il y a encore une société dénommée Freie-Religiöse Gesellschaft (libre société religieuse).

Cette organisation a des pasteurs qui donnent des leçons de morale aux écoliers dont les parents ont déclaré qu’ils sortaient de l’Église. Pour donner ces leçons dans plusieurs États, il faut une autorisation du gouvernement. Le titre donné aux libres-penseurs qui sont sortis des églises est confessionslos (sans confession), mais ce sont des libres-penseurs, même s’ils ne font partie d’aucune organisation de libre-pensée. On les compte par centaines de mille. Donc Confessionslos est une définition de la libre-pensée en Allemagne.

En Autriche, depuis la république, la libre-pensée ; les athées, les Confessionslos ont fait de grands progrès.

L’Association de propagande libérale de Montevideo