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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/663

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a publié plus d’une centaine de brochures, entre autres ma plaquette espagnole : Mythe ou réalité, Jésus est-il un personnage historique ? (épuisée en français) et mes Curiosités du Culte des Saints (inédites en français). Ce sont des œuvrettes nettement libres-penseuses. En Argentine et dans d’autres républiques de l’Amérique du Sud, les libre-penseurs sont des libéraux.

Comme avant toutes choses il faut s’entendre sur les mots qu’on emploie, il est nécessaire de commencer par citer les définitions qu’on a données ou qu’on donne encore de la Libre-Pensée.

La libre-pensée est selon moi, la doctrine anarchiste appliquée aux croyances religieuses. Comme les libertaires n’admettent aucune autorité, ils ne sauraient admettre de dogme qui les oblige à croire quoi que ce soit. Ils n’admettent aucune affirmation a priori, ils ne peuvent croire que ce que la science expérimentale a démontré et encore ils pensent que ce qui passe pour vrai à présent, peut très bien être renversé par les progrès de la science, comme nous l’avons vu dernièrement à propos de l’unité de la matière donc, pour moi, la libre-pensée est la libre étude des sciences au moyen de la raison ; ainsi libre-pensée c’est le rationalisme appliqué aux superstitions religieuses.

Le professeur Gabriel Séailles a donné, au Congrès de Genève en 1902, la définition suivante : « La libre-pensée peut se définir : le droit au libre examen. Elle exige que toute affirmation soit un appel de l’esprit à l’esprit, qu’elle se présente avec ses preuves, qu’elle se propose à la discussion, qu’aucun homme par suite ne prétende imposer sa vérité aux autres hommes au nom d’une autorité extérieure et supérieure à la raison.

Est donc libre-penseur quiconque, quelles que puissent être, d’ailleurs, ses théories et ses croyances, ne fait appel pour les établir qu’à sa propre intelligence et les soumet au contrôle de l’intelligence des autres.

La Libre-Pensée n’exclut ni l’hypothèse, ni l’erreur ; elle est même par excellence la liberté de l’erreur ; car refuser à l’homme le droit de se tromper, c’est se croire naïvement en possession de la vérité absolue, se déclarer infaillible, se conférer à soi-même sa petite papauté. La Libre-Pensée est une méthode, elle n’est pas une doctrine, car elle ne se donnerait pour une doctrine qu’en se niant au moment même où elle s’affirme. »

Séailles dit encore : « Libre-Pensée signifie libre examen, libre usage de la raison à ses risques et périls…

« La pratique des méthodes de la science nous interdit de faire repérer le connu sur l’inconnu. Nous ne pouvons plus prendre pour mobile de nos actes l’attente de sanctions futures. Nous refusons de rêver la justice dans une cité céleste, en nous résignant au mal ici-bas ; nous entendons la réaliser dans les rapports réels des hommes et nous ne comptons que sur notre effort pour y réussir. »

Séailles, bien que non-anarchiste, montre que la Libre-pensée devrait être l’application de la morale anarchiste.

En novembre 1902, au Congrès où l’on fonda à Paris, l’Association nationale des Libres-Penseurs de France, on nota la déclaration suivante :

… L’Association a pour but de protéger la liberté de penser contre toutes les religions et tous les dogmatismes quels qu’ils soient, et d’assurer la recherche libre de la vérité par les méthodes de la raison.

Au même Congrès, Ferdinand Buisson, président de l’Association, a dit : « Un libre-penseur ne veut sous aucun prétexte se laisser imposer ni Dieu, ni Maître, il ne veut rien croire a priori. »

Voici une autre définition, celle-ci par Jules Carrara, poète suisse, professeur à l’École Normale de Lausanne et qui a perdu sa chaire à cause de ses idées libres-

penseuses. « La Libre-Pensée, c’est avant tout, ce devrait être exclusivement, une méthode scientifique, un moyen de connaître, un moyen d’arriver à la Vérité, donc au Progrès, et par conséquent au Bonheur. »

Vérité, Progrès, Bonheur, voilà les trois étapes que doit franchir l’humanité et que doit franchir d’abord chacun de ceux qui la composent.

(Mais qu’est-ce que la Vérité ? ajouterai-je ? La Vérité absolue n’existe pas. Vérité pour l’un, fausseté pour l’autre, etc.).

Carrara dit encore (dans Découvrir la Vérité), nous avons notre raison… si ce moyen n’est pas infaillible, il est encore le meilleur de tous ; et le seul indispensable.

A moins d’être complètement privé de raison, c’est-à-dire fou, tout homme est plus ou moins, doué de raison, capable de raisonner, raisonnable.

La raison est de toutes nos facultés, la seule dont on peut dire qu’elle est par essence, commune à tous les hommes, indispensable à tous…

La raison est la faculté maîtresse et modératrice des autres, le balancier que nul ne rejette sans perdre l’équilibre. Ayons donc confiance en notre raison et soyons rationalistes.

Le rationalisme est la seule méthode scientifique la seule philosophie, la seule mentalité favorable à la découverte de la vérité. Un libre-penseur est un homme qui prend sa raison pour guide et pour juge, pour qui sa raison est comme un crible qui retient les vérités et laisse passer les erreurs, qui soumet au contrôle de sa raison toutes les apparences, toutes prépositions, tous les postulats, toutes les affirmations, toutes les prétentions, et qui n’en conserve que ce que sa raison lui a confirmé être vrai.

Le rationalisme, ce n’est pas autre chose que la Libre-Pensée, c’est le libre exercice de cette faculté qui nous permet de comparer, de juger, de penser, de connaître, de savoir. Le rationalisme s’oppose à la révélation, il oppose la science à la croyance et la raison à la Foi.

La Libre-Pensée… empêche la stagnation, l’encroûtement, la coagulation, la paralysie des intelligences. Depuis une année, le journal La Libre-Pensée Internationale, de Lausanne, est rempli de discussions sur le sens et la portée du mot Libre-Pensée.

Un membre de la Fédération romande, de libre-pensée, M. le professeur de chimie Pelet veut absolument que la Libre-Pensée soit une religion. Quoiqu’il ait été pendant bien des années membre actif de nos groupements, il prétend que la génération actuelle sent le besoin d’une religion, même sans dogme. Il a écrit un volume à ce sujet et il a jeté la zizanie parmi les libres-penseurs de la Suisse romande. Il n’a guère été approuvé que par des pasteurs libéraux, cependant il continue.

Le principal sujet discuté au Congrès des libres-penseurs de la Suisse romande, à Neuchâtel, au mois de mai 1928 a été celui-ci : la libre pensée est-elle en train de devenir religieuse ? La résolution suivante a été votée à l’unanimité moins trois voix :

« Le congrès de la Fédération romande de la Libre-Pensée, réuni le dimanche 26 mai 1928, à la Maison du Peuple, à Neuchâtel, après avoir discuté sur la question « Libre Pensée et Religion », formule les déclarations et résolutions suivantes :

« 1. La Religion a été, dès son origine à nos jours, une attitude essentiellement mystique basée sur la croyance au surnaturel.

« 2. A la lumière de l’histoire, elle s’est révélée surtout comme un instrument de domination spirituelle et par là de soumission envers les puissances temporelles.

« 3. La Libre-Pensée est la force de libération qui s’est opposée à la puissance de domination de la Religion. Elle se place sur le terrain naturel et dès lors elle ne