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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/664

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peut approuver l’attitude mystique. Elle est irréligieuse.

« 4. Cependant, la Libre-Pensée n’entend en aucune circonstance empêcher les individus d’adopter et de pratiquer les croyances qui leur plaisent. Mais elle se dresse contre les collectivités religieuses toutes les fois que celles-ci veulent employer leur force numérique, économique et traditionnelle pour défendre et perpétuer leur domination.

« Elle vise au contraire à la réalisation d’une Société où ni le fait de croire, ni le fait de ne pas croire, ne soient pour personne une cause de dommage ou de privilège.

« 5. La Libre-Pensée est idéaliste. Elle ne nie pas que la Religion puisse l’être à sa manière. Mais elle sait que cette tendance n’est pas caractéristique de la foi religieuse, puisque le fondement essentiel de la Religion est un absolu mystique.

« Il n’est donc pas nettement exact de dire que la Religion, ce soit l’idéal que l’homme se propose.

« D’ailleurs, la Libre-Pensée ne proclame aucun absolu. Son idéal n’est pas la vérité « absolue », ni la justice « absolue », ni la liberté « absolue ».

« Elle écarte ces notions métaphysiques qui se sont avérées comme trop commodes pour justifier précisément la renonciation à la poursuite d’un idéal inatteingible.

« La Libre-Pensée, restant au contraire dans le domaine de l’action et des possibilités, veut d’avance anéantir tout prétexte à une telle renonciation, en proclamant pour maximes :

Toujours plus de vérité,
Toujours plus de justice,
Toujours plus de liberté,

pour réaliser toujours plus d’entente et d’amour entre les hommes.

« 6. Si la Libre-Pensée, en tant que doctrine, est irréligieuse, en tant qu’organisation, elle ne ferme cependant pas ses portes aux hommes de bonne volonté, quand même ceux-ci persisteraient à appeler religion l’idéal de la Libre-Pensée. »

ESQUISSE D’HISTOIRE DE LA LIBRE PENSÉE. De tout temps il y eut des hommes qui, se servant de leur raison, ont repoussé les superstitions des milieux où ils vivaient. Ces rationalistes inconscients, même parmi les sauvages, se contentaient de garder pour eux leurs idées ; ils ne voulaient pas se créer des ennemis, car l’homme ordinaire, persuadé que ce qu’il croit est la vérité entière, trouve mauvais qu’un individu ne pense pas comme lui-même.

A mesure que la peur des phénomènes physiques incompréhensibles pour l’esprit des êtres créait les religions et que les hommes qui se distinguaient par leur force s’emparaient du pouvoir et voulaient avoir à leur dévotion d’autres hommes peut-être plus intelligents, les dogmes se formaient, des rites s’imposaient et ce fut presque un crime que de ne pas admettre les théories des prêtres. Les rationalistes n’avaient pas exposé leurs idées, pour ne pas être exposés à l’assassinat. Voilà pourquoi les noms des anciens libres-penseurs nous sont presque inconnus.

Aux Indes, en Perse, les négateurs étaient nombreux ; la multiplicité des dieux devaient naturellement démontrer que ces êtres divins n’étaient que de pures inventions. Gautama Sakya Mouni, le Bouddha, était un libre-penseur qui ne croyait pas à la trinité brahmanique et niait l’existence d’un Dieu suprême. Sa raison lui montrait que tous les récits des brahmines, leurs légendes n’étaient que des fables. Mais il croyait à une entité spirituelle, l’âme, et c’est sur cette croyance qu’il basait ce qu’on a appelé la religion bouddhiste, puisque lui-

même voulut seulement exposer a priori une morale mal fondée sur l’amour du prochain.

Gautama fut un des premiers libres-penseurs dont les théories nous soient parvenues, bien qu’elles aient été déformées par des milliers de disciples plus ou moins fidèles. Kong-Futse en Chine, qui ne croyait pas à une vie future, peut être regardé comme un libre-penseur. Mithra, dont on a voulu faire un dieu, un des prototypes de Jésus, était un libre-penseur de son temps, un réformateur social.

Ce n’est pourtant que vers l’an 600 avant notre ère, que parurent, en Grèce, des libres-penseurs bien réels, les philosophes qui, pendant plus de 500 ans, cherchèrent à pénétrer les secrets de la nature, sans s’occuper des dogmes de leur temps, en écartant la période religieuse, poétique et gnomique, représentée par Orphée et les mystères, la théogonie d’Hésiode et les sept sages.

La philosophie grecque, qu’on peut faire remonter jusqu’à Thalès, s’est développée jusqu’à l’arrêt de Justinien, qui ferma, en 529, les écoles de philosophie.

La première école de cette philosophie libre-penseuse, l’école ionienne, commence par Thalès, de Milet (639-549). Le caractère commun à tous les philosophes de cette école est de chercher l’origine de l’univers dans un élément matériel, unique chez les uns et produisant toutes choses par dilatation et instruction (dynamisme), multiple chez les autres qui considèrent tous les êtres comme le résultat des combinaisons diverses de ces éléments.

Les principaux représentants de l’école ionienne sont Anaximandre (610-546), Héraclite d’Ephèse, Anaxagore, Diogène, d’Anallonie, Arhélaüs et Empédocle.

Toutes sortes de légendes sur les idées d’Héraclite sont connues parmi nous, mais il ne faut pas s’y arrêter. On l’a opposé à Démocrite, sous les noms de Jean qui pleure et Jean qui rit, c’est-à-dire en faisant de l’un un pessimiste pleurnicheur, de l’autre un sceptique moqueur ; qualificatifs erronés.

L’école italique ou pythagoricienne qui suivit l’époque de l’école ionienne (de 584 à 370), s’attache principalement au côté mathématique de l’univers, tandis que l’école ionienne s’était surtout préoccupée du côté physique. Les nombres sont l’essence de toutes choses et l’unité, ou monade, est le principe des nombres. L’âme est un nombre qui se meut de lui-même. Le retour à l’unité constitue la vertu. Pythagore admettant l’âme parle aussi de la métempsychose. Toutes les théories de Pythagore et son ascétisme sont plutôt nuageuses pour nous, mais ce philosophe était libre de toute idée théologique. Lui et ses disciples n’admettaient que la raison individuelle, c’étaient donc de vrais libres-penseurs. Parmi ses élèves il faut citer Théano, sa fille, Aristée, son gendre ; Philolaüs (450-395) Anhisas de Tarente, Aliméon, de Crotone, etc.

L’école atomistique a précédé la science moderne, la ricien s’applique d’une manière exclusive au principe métaphysique de l’univers, c’est-à-dire à l’idée de substance et combat par la dialectique les deux écoles antérieures. Dans les éléates il n’y a pas de milieu entre l’être absolu et le néant ; l’idéal d’un être multiple est pleine de contradictions. Il n’y a que l’un, l’infini et le nécessaire qui existe : tout le reste n’est qu’apparence. Parmi les Éléates nous citerons : Xénophane de Colophon (617-510) ; Parménide d’Elée (530-455) ; Mélissus de Samos ; Zénon d’Elée (vers 500).

L’école atomistique a précédé la science moderne, la théorie atomistique de Würtz, Gebhard et de tous les physiciens actuels. L’école atomistique quoique ne possédant pas les moyens d’investigation dont nous disposons à présent, observait et raisonnait librement.

Les philosophes de cette école reconnaissaient un nombre infini d’atomes, de formes diverses et doués