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parti pris se sont retirés d’une fraction de leurs opinions, la méthode en demeure dépendante et d’autres conceptions, persistantes ou prochaines, révéleront la nécessité de leurs victoires et en attesteront la limitation. D’hostiles timidités et des préventions insurmontées les retiennent au seuil des critiques viriles. Là où nous situons la table rase préalable et le qui-vive permanent s’installent encore en maîtresses des croyances de remplacement… D’autre part, nombreuses sont toujours, parmi les sociétés qui se réclament de la libre-pensée, celles qui s’agitent dans le sillage, trompeusement démocratique, du pouvoir et ne s’élèvent que faiblement au-dessus des associations politiques, celles aussi qui s’avèrent, avec plus ou moins de franchise, les succursales des comités électoraux. Aux uns et aux autres il manque cette audace et cette volonté d’examen, et cette indépendance de mouvement sans lesquelles la pensée n’est qu’une mineure en tutelle.

La libre-pensée qui veut vivre ne s’effraie ni des similitudes égarantes, ni des apparences, ni des mots. Ce fut le vice et la courte vue de celle d’il y a quelque vingt ans encore (et elle est loin d’en être partout libérée) et une des causes de sa stagnation et de son étiolement, que de s’être rétrécie à l’anticléricalisme superficiel, à la dénonciation plus qu’à la réfutation, à la localisation religieuse, à la pâle sociologie réformatrice, à d’indignes et illogiques mesures sociales, de s’être confinée dans un matérialisme trop concret et comme fini, encadrée dans des principes stabilisés et au seuil de cette rigidité pleine de contradictions dont est mort, par ailleurs, le positivisme religiosâtre. Une sorte de suffisance doctorale y trônait sur des aphorismes simplistes et laissait se réinstaller dans les mœurs un dogmatisme paradoxal. Et la science dont elle se réclamait, débordait de toutes parts ses cloisonnements, ses proscriptions sectaires mêlées d’hésitations quasi rituelles, et soulignait l’enfantillage et l’aridité de ses anathèmes… La libre-pensée (que cet esprit et cette volonté animent ses groupements comme ses individualités) doit être forte, mais expansive hardie et vivante, et aller au-devant de toutes les forces mystérieuses encore de la vie… — S. M. S.


LICENCE « D’accord avec vous — me disait un jour un bourgeois libéral et sympathique — la liberté, toute la liberté, mais pas la licence. » Mais vous vous gardiez bien ô bourgeois sympathique et libéral, de définir ce que vous entendez par « liberté » ; et quelle signification vous donnez à « licence » !… Je n’ignore pas malgré votre silence, les allures et les démarches de « votre » liberté : on peut se promener avec elle sans crainte de se faire remarquer ni risquer de se taire taxer de ridicule. « Votre » liberté est une personne bien élevée, qui jouit de ressources avouables, qu’on emmène avec soi en visite, qui ne dit mot avant qu’on l’ait priée de parler et qui justifie si bien qu’on puisse se passer de gendarmes, de garde-chiourmes et de bourreaux que, dans les derniers salons où l’on cause, l’autorité est la première à lui offrir une tasse de thé. « Votre » liberté est comme « votre » anarchie : à l’usage des honnêtes gens et des gens comme il faut. L’essence de « ma » liberté, c’est justement la « licence », autrement dit tout ce qui, dans la liberté, vaut la peine d’être vécu, car somme toute — pour m’en tenir à la définition de « vos » dictionnaires — ce n’est point être libre que de n’user que « modérément » d’une faculté concédée, que d’être astreint à une conduite « réglée », que de se contraindre à des paroles et à une conduite « convenables ». L’autorité est toute disposée à me « concéder » tout cela et même quelquefois un peu plus. « Ma » liberté implique la faculté d’user immodérément des « droits » que j’arrache, d’avoir une conduite « irréglée », de parler et

d’écrire de façon « inconvenante » et de me comporter de-même. Etant entendu que je n’entends point, isolé ou associé, me ou nous imposer à autrui, autrement dit amener autrui à faire comme je le fais, comme nous le faisons, à nos risques et périls, si cela ne lui agrée point.

Si nous passions contrat pour habiter sous le même toit, sur le même terrain, temporairement ou durablement, dans une maison commune, dans une colonie, par exemple, réunissant plusieurs groupes, ce serait à la condition sine qua non que personne n’intervînt dans la salle, la partie du logement ou la parcelle de terrain occupée par nous, pour entraver ou critiquer notre façon « licencieuse » de vivre notre vie « en liberté ». Sinon, je me sentirais, nous nous sentirions aussi esclaves que dans le milieu dont nous voulons nous évader, justement parce qu’il veut émasculer la liberté en en éliminant la licence, c’est-à-dire selon notre définition, l’élément dynamique, virilisateur. Et ces dernières lignes pour jeter un peu de clarté sur l’éthique de l’associationnisme tel que le comprennent les individualistes anarchistes. — E. Armand.


LIGUE (bas-latin liga et italien lega, de legare, lier). Au cours des siècles, on qualifia ligues maintes confédérations et alliances de princes ou d’États, maintes associations fondées dans un but quelconque, et même de simples cabales. Sans remonter aux Ligues Achéenne, Etolienne et autres, fameuses chez les anciens, on trouve plus près de nous : la Ligue du Bien Public qui groupa les seigneurs contre Louis XI en 1465 ; la Sainte-Ligue dirigée par le pape Jules II contre Louis XII ; la Ligue du Rhin fondée en 1680 pour garantir le maintien du traité de Westphalie, Louis XIV en fut le protecteur ; la Ligue d’Augsbourg conclue en 1686 contre ce dernier roi ; la Ligue de Neutralité Armée qui opposa la Russie et la Suède, en 1800, puis la Prusse et le Danemark à l’Angleterre. On a donné aussi le nom de Ligue à l’entente des villes hanséatiques d’Allemagne, associées à partir de 1241, pour la protection de leur commerce et la défense de leurs franchises, ainsi qu’à la Confédération des peuplades helvétiques qui devait aboutir à la formation de la Suisse. Mais, du point de vue historique, la Ligue par excellence, ce fut la Sainte-Ligue, fondée sous Henri III, par les catholiques ; son caractère profondément religieux lui donne un intérêt tout spécial. Dès 1507, Lefèvre d’Etaples avait constitué en France un groupe de réformateurs dont les doctrines s’apparentaient à celles que le protestantisme devait bientôt professer avec tant d’éclat. Malgré la Faculté de théologie de Paris et le Parlement, malgré l’autorité royale devenue persécutrice après 1534, les idées nouvelles, et particulièrement celles de Calvin, se répandirent rapidement ; propagées au début par des moines et des prêtres, outrés de voir les riches prébendes ou les hautes fonctions aux mains des nobles ignares et crapuleux. Humbles desservants, religieux lettrés firent défection en grand nombre, heureux de fuir une Église qui ne rappelait en rien celle des chrétiens primitifs ; entre catholiques et protestants, l’abîme, d’ailleurs, était moins profond que celui qui sépare, à notre époque, les libres-penseurs des croyants. L’ordre des Augustins en particulier fournit des apôtres à la Réforme, comme le prouve le long martyrologe de ceux qui souffrirent pour la nouvelle foi ; ils trouvèrent des imitateurs dans les autres congrégations et parmi les séculiers. Un carme est poursuivi à Clermont en 1547, et un dominicain est brûlé à Castres ; sur quatre hérétiques condamnés au feu par le Parlement de Bordeaux en 1551, il y avait deux prêtres ; un théologien est exclu de la Faculté de Paris, en 1552 pour avoir pris part à la cène protestante ;