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en 1555 le cordelier Rabec est condamné au feu pour crime d’hérésie ; en 1557 l’abbesse de Saint-Jean de Bonneval, qui entretenait des relations épistolaires avec Calvin, doit se réfugier à Genève, ainsi que huit de ses religieuses ; et la même année on réglemente la prédication à Paris, tant le nombre des prêtres favorables à la Réforme s’était révélé grand, à l’occasion des sermons du Carême. Maîtres d’école et régents de collège favorisèrent également la diffusion du protestantisme ; on les surveilla de près, leur enjoignant de mener leurs élèves à la messe sous peine de la hart. Un étudiant, coupable d’avoir brisé des images saintes, fut exposé trois jours au pilori, puis, malgré sa jeunesse, condamné à l’emmurement définitif dans un monastère. Son cachot, spécifièrent les juges, n’aura qu’une fenêtre garnie de barreaux permettant de passer la nourriture, « il finira ses jours et consommera le reste de sa vie au dit lieu, en lamentation, douleur et desplaisance desdits crimes et délitz ».

La répression catholique fut sans pitié. De décembre 1547 à janvier 1559, la Chambre Ardente prononça au moins 500 arrêts en matière d’hérésie ; les victimes furent nombreuses, les supplices effroyables. Après avoir été mis à la question, fouettés de verges, essorillés, tenaillés, les suspects étaient jetés dans des prisons sans jour sur l’extérieur, où l’eau croupissait parfois et qui, dans d’autres cas, ne permettaient de se tenir ni entièrement debout, ni entièrement couché. Le Grand Châtelet contenait des cachots d’où, selon la rumeur publique, personne ne sortait vivant. La peine du feu était courante. Si le condamné s’engageait à ne point parler au peuple, il était quelquefois, par mesure de bienveillance, étranglé avant d’être brûlé ou « après avoir un peu senty le feu », mais s’il refusait de se taire on lui coupait la langue avant le supplice. Prêtres et magistrats redoutaient l’impression faite sur la foule par l’inébranlable conviction des martyrs. En réalité, les persécutions eurent pour résultat d’accélérer la diffusion du protestantisme qui s’organisa d’abord en église et, plus tard, en parti politique. L’ère des combats et des traités succéda à l’ère des martyrs ; la Réforme perdit peu à peu l’exaltation mystique qui avait brillé sur son berceau. Intolérant dans les régions où il fit la loi, le calvinisme gardera en France le rôle de persécuté, généralement ; la Saint-Barthélemy, en 1572, sera le signal d’un massacre global des huguenots. A Paris il y eut 2.000 victimes environ, 800 à Lyon, 1.000 à Orléans ; à Meaux deux cents personnes arrêtées le 25 août furent égorgées le 26 ; à Bordeaux, les autorités organisèrent méthodiquement la tuerie ; à Toulouse, deux conseillers au Parlement guidaient les assassins. Des manifestations miraculeuses entretinrent la rage homicide : une madone parisienne pleurait sur les impiétés des hérétiques. Le pape fît allumer des feux de joie et frapper une médaille en l’honneur de cette mémorable journée ; en son nom et au nom du Sacré-Collège, le cardinal Orsini vint féliciter Charles IX et Catherine de Médicis proclamés les plus fermes appuis du catholicisme.

Mais les calvinistes relevèrent la tête ; et, en 1576, leurs adversaires, se jugeant abandonnés par le roi, formèrent une association puissante, la Ligue, qui se chargea d’assurer le triomphe des doctrines anciennes. Préparée de longue date, elle acheva de prendre forme en Picardie, quand le gouvernement et les habitants de Péronne refusèrent de livrer cette place forte au protestant Condé. Les calculs d’Henri III et de la maison de Lorraine lui permirent bientôt de s’étendre à l’ensemble du pays. Henri de Guise, dont on portait la vaillance aux nues et qui savait capter le cœur des foules, fut son chef réel. Contre les, réformés la

Ligue commandait la guerre ; contre les neutres elle usait de « toutes sortes d’offenses et molestes », tenant pour adversaire quiconque refusait de s’enrôler. Ses affiliés étaient poursuivis en leurs corps et biens s’ils venaient à se dédie : ils juraient « prompte, obeyssance et service au chef qui sera député », se promettant de plus aide et appui mutuel. Aux États-Généraux de Blois, les députés, presque tous ligueurs, déclarèrent ne vouloir dans le royaume « qu’une foi et qu’une loi ». En conséquence Henri III, qui était suspect aux catholiques mais se donnait comme chef de la Ligue, abolit l’Édit de Beaulieu jugé trop favorable aux protestants. Survinrent la sixième et la septième guerre de religion qui rétablirent les affaires des réformés, la Ligue disparut. Elle se reconstitua lorsque la mort du duc d’Anjou, en 1584, fit de Henri de Navarre l’héritier présomptif de la couronne ; cet huguenot, converti une première fois lors de la Saint-Barthélemy pour redevenir calviniste en 1516, ne pouvait recevoir l’huile de la sainte ampoule, ni jurer de défendre l’Eglise catholique. Les Guise conçurent de hauts desseins ; et de complaisants généalogistes établirent qu’ils descendaient de Charlemagne. Mais, pour ménager les transitions, ils mirent en avant la candidature au trône du vieux cardinal de Bourbon, que le pape devait délier de ses vœux et qui, en mourant, céderait la couronne à Henri de Guise. Philippe II d’Espagne promit son concours et le pape déclara Henri de Navarre et le prince de Condé déchus de leurs droits. A Paris, les premiers ligueurs, constitués en société secrète, choisirent un conseil dirigeant qui avait la haute main sur tout, sans paraître nulle part. Conduite avec prudence, la propagande se faisait d’homme à homme et l’affiliation n’avait lieu qu’après enquête. De la bourgeoisie moyenne le recrutement s’étendit dans le monde du Parlement et de l’Université, ainsi que parmi les ouvriers des corporations et les travailleurs des ports, halles et marchés.

Des émissaires furent envoyés en province ; en juin 1587 les ligueurs de Paris avaient déjà contracté un accord avec ceux de Lyon, Toulouse, Orléans, Bordeaux, Nantes, Bourges, et d’un grand nombre d’autres villes. Des prédicateurs fanatiques tonnaient dans les chaires ; ils prenaient leur mot d’ordre près de Mme  de Montpensier, la sœur des Guise, qui se vantait de faire plus avec leurs sermons que ses frères avec leurs armées.

En mai 1588, le duc de Guise, entré à Paris, malgré les ordres du roi, fut acclamé par la foule ; une émeute éclata, des barricades surgirent et Henri III dut solliciter l’intervention du chef de la Ligue pour apaiser le tumulte. Mais, le 23 décembre suivant, ce dernier, appelé au Louvre, fut tué par les quarante-cinq bretteurs de la garde royale, dans la chambre de Henri III ; le cardinal de Guise fut massacré le lendemain. Alors la haine contre le roi monta jusqu’au délire ; pour les ligueurs parisiens il ne fut plus qu’un « assassin, antéchrist, cafard, Sardanapale » ; des moines décapitèrent sa statue ; on envoûta son image sur les autels ; des enfants porteurs de cierges les éteignirent en demandant à Dieu d’éteindre ainsi la vie des Valois ; et les prédicateurs s’étendirent longuement sur la légitimité d’un régicide. Frère Clément, jeune religieux de vingt-deux ou vingt-trois ans, se chargea de punir le coupable. Encouragé par un théologien, il pria, mortifia sa chair, eût des visions et entendit des voix célestes qui le fortifièrent dans sa résolution. Des âmes pieuses lui remirent une soi-disant lettre de recommandation pour le roi ; introduit près d’Henri III sans défiance, il le frappa d’un coup de poignard au ventre. Puis, debout, les bras