pole intellectuel. « Réveillez-vous, belle endormie ! criait-il à la province. Cela vous déplaît que la poste vous apporte vos opinions toutes faites. Eh bien ! Faites-les vous-mêmes, et l’envoyez-les au besoin au maitre d’école dont vous êtes lasse ». Dans sa pensée, la nouvelle Association ne devait être ni dominée par un Comité directeur, ni liée par des règles uniformes ; elle devait seulement consister en une Fédération de sociétés libres. Aujourd’hui la Ligue française de l’Enseignement est presque une puissance officielle, une sorte de ministère hors cadre de l’instruction ; cajolée par les gouvernants, elle dispose des faveurs administratives. Transformation malheureuse, peu propre à garantir son impartialité et son indépendance. Ainsi finissent les associations qui, parties du peuple oublient leur but premier pour devenir de simples rouages du pouvoir.
Une Ligue dont l’action fut malfaisante, dès l’origine, c’est celle des Patriotes. Le 18 mai 1882, Paul Déroulède rappela, dans un discours, qu’on avait fondé une Ligue de la Délivrance en 1872. Il proposa de reprendre cette idée ; on l’applaudit vigoureusement et un Comité provisoire jeta les bases de la Ligue des Patriotes. Le but avoué de la nouvelle Association était d’unir les nationalistes français, sans distinction de parti politique, pour propager l’éducation militaire et le culte de la patrie. Grâce aux ressources, qui affluèrent dès le début, elle couvrit l’ensemble du pays d’un réseau de filiales et de Comités. Bientôt elle eut son journal, Le Drapeau, qui se donnait pour mission de vulgariser les idées les plus chauvines. Paul Déroulède, grand animateur de la Ligue et chansonnier patriote, d’ailleurs dépourvu de talent, fut nommé président d’honneur. Mais la discorde éclata au sein du Comité directeur ; certains membres plus honnêtes ou plus naïfs voulaient, conformément aux statuts, s’abstenir de toute action politique ; Déroulède et ses amis entendaient au contraire se livrer à une intense agitation électorale. Après des luttes assez violentes, ce fut l’influence des seconds qui finalement l’emporta. Sous prétexte d’aider « les hommes et les idées favorables à la défense nationale », la ligue des Patriotes fit une large propagande en faveur de Boulanger, général d’opérette qui jouait au dictateur ; elle assura son succès à Paris, lors des élections du 27 janvier 1889. A la fin d’avril 1888, les sociétaires hostiles à la politique boulangiste avaient constitué un groupe schismatique, l’Union patriotique de France ; mais, incapables de s’organiser, ils sombrèrent bientôt dans l’oubli. Poursuivis à l’occasion d’une souscription, Déroulède et son Comité directeur furent accusés « d’avoir fait partie d’une Association non autorisée, d’avoir fait partie d’une société secrète ». La 8e Chambre correctionnelle de Paris se borna à leur infliger 100 francs d’amende, comme faisant partie d’une Association non autorisée ; la Ligue des Patriotes fut dissoute. Ce qui la mit pour un temps hors de combat, ce fut l’effondrement de Boulanger. Elle devait se reconstituer plus tard, sous la présidence de son fondateur, puis de Barrès à partir de 1914. Préparer la revanche de 1870, reprendre l’Alsace et pour y réussir, favoriser la politique la plus réactionnaire, devint son programme avoué ou secret. L’hécatombe de 1914-1918 fut en partie son œuvre et marqua son triomphe ; ses idées inspirèrent les dirigeants d’alors ; et l’on ne saurait oublier le rôle ignoble d’un Barrès encourageant les autres à mourir, puis se hissant sur leurs cadavres pour atteindre aux suprêmes honneurs. Son influence n’a pas disparu ; elle subsiste dans les hautes sphères religieuses, administratives, universitaires ; les Nouvelles Littéraires, publication vénale par excellence, toutes les revues, tous les journaux bien pensants s’emploient de leur mieux à faire connaître écrivains ou hommes d’action qu’anime son chauvinisme dangereux. Dans
D’autres Ligues encore mériteraient de nous retenir : la Ligue contre la loi des céréales (anti-corn-law league) qui, en Angleterre, au début du xixe siècle, joua un rôle considérable dans l’établissement du libre-échange ; la Ligue Agraire (land league), association politique irlandaise fondée par Michel Davitt et dont Parnell fut l’animateur le plus remarquable ; la Ligue des Droits de l’Homme, dont nous parlerons peu, parce que les lecteurs pourront se reporter au mot « Droits de l’Homme », dans le présent ouvrage pour trouver ce qui les intéresse sur ce sujet. Ses origines se rattachent à l’affaire Dreyfus. Cet officier, faussement accusé de trahison, fut condamné, sur la production d’une pièce écrite, en réalité, par le commandant Esterhazy, ancien zouave pontifical passé dans l’armée française. Cléricaux et patriotes firent preuve d’une mauvaise foi insigne ; la Croix, l’organe du clergé français, rédigé par les Assomptionnistes, la Libre Parole journal attitré des antisémites, les feuilles inspirées par la camarilla militaire, toute la presse bien pensante firent chorus contre un malheureux dont l’innocence était manifeste. Félix Faure, de qui la fille épousera Goyau, l’insignifiant et dévot académicien, ne songeait qu’à faire risette à la réaction ; Boisdeffre, chef de l’état-major était manœuvré comme un pantin par l’astucieux père Du Lac, supérieur des Jésuites parisiens. Mais des hommes courageux protestèrent ; et l’idée d’une Ligue pour la défense des Droits de l’Homme naquit à cette occasion, en 1898… Depuis, sur la base des principes de la « Déclaration des Droits », la Ligue a combattu pour le respect de la liberté individuelle et de la liberté d’opinion, pour les garanties du citoyen livré aux fantaisies de l’appareil judiciaire. Son action, cependant, s’est souvent ressentie d’une conception de la justice retenue au cadre des lois, et nous eussions aimé, qu’issue de la Révolution, elle évoluât vers un esprit plus vaste que les textes. Il serait injuste, certes, de méconnaître les bienfaits de son activité et de ne pas rendre hommage à la persévérance de ses campagnes — suivies souvent de résultats positifs — en faveur des victimes des dénis de justice et de la répression du pouvoir. Mais, il faut noter sa tendance marquée — et croissante, dans la régression générale — à compter davantage sur la bienveillance des gouvernements que sur la conscience avertie de l’opinion. Et elle porte, dans son passé, cette tache d’avoir tenté de justifier la dernière guerre en la plaçant sous les auspices du « droit » et d’avoir pris parti, dans la mêlée, contre la pensée demeurée libre et le pacifisme indéfectible…
Il y eut aussi la Ligue, d’assez facétieuse mémoire, contre la licence des rues, fondée par le sénateur Bérenger et qui, avec la prétention de sauvegarde d’une pudeur blessée par les publications pornographiques, s’attaquait aux manifestations les plus libres de l’art. En 1867, Frédéric Passy, fonda la Ligue internationale et permanente de la paix, etc. Au xixe siècle, un grand nombre de ligues devaient surgir : politiques, religieuses, morales, économiques, pacifistes, surtout après la guerre de 1914-1918. En 1908, Ferrer, fondateur de « l’École Moderne », créa, pour en vulgariser le principes, la Ligue internationale pour l’éducation rationnelle de l’enfance, dont l’organe : l’École rénovée fut une remarquable revue de pédagogie nouvelle, attachée au développement de la personnalité de l’enfant. (Dans un ordre d’idées analogues, la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle publie aujourd’hui : Pour l’Ère nouvelle)… Citons encore, parmi les ligues actuelles qui nous intéressent davantage, nous excusant d’en oublier qui nous sont cependant sympathiques : la Ligue