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difiera les conditions à son gré, pour peu que tardent les causes, et rien ne les montre prochaines, de sa propre disparition. Après les chaleurs des tropiques, elle a vaincu les glaces polaires ; desséchant les marais, irriguant les déserts, creusant des ports, perçant des isthmes, elle est devenue la suprême dominatrice et de la terre et des océans. Ni les entrailles du sol, ni les hautes régions atmosphériques n’échappent à ses investigations ; vapeur, électricité, machines de toutes sortes la servent avec docilité. C’est une incomparable odyssée que la sienne ; ne doutons pas de son triomphe final sur les éléments. Progressive diminution de la lumière et de la chaleur solaire, manque d’air ou d’eau, absence de ressources alimentaires ne la trouveront point désarmée. Physique, chimie, mécanique réaliseront, d’ici quelques millénaires, des prodiges supérieurs à ce que conçoit la plus délirante imagination. Et devant la biologie, à peine adolescente, s’ouvrent des espoirs illimités ; contre les gaz toxiques, les poisons, l’asphyxie, le feu peut-être, on prémunira aussi facilement qu’on vaccine contre la maladie. Sans parler des races surhumaines que fera sortir de la nôtre soit la science eugénique, soit l’évolution spontanée ». Les forces humaines sont infiniment supérieures à ce que nous croyons, mais pour que les peuples se résignent à leur triste sort, les pontifes et savants officiels ne cessent de répéter que notre science comme notre action ne sauraient franchir certaines limites imposées par le créateur. Ils humilient notre volonté et notre raison, pour encourager les faibles à se soumettre aux ordres des puissances surnaturelles, qui parlent par la bouche des chefs naturellement.


LIQUIDATION n. f. (de liquider, rad. liquide). L’action de liquider, de fixer ce qui est indéterminé et incertain de toute espèce d’affaires et de comptes prend le nom de liquidation.

Les opérations auxquelles donne lieu la cessation d’un commerce prennent aussi le nom de liquidation. On désigne aussi, sous ce vocable, la vente à bas prix de certaines marchandises ou produits en vue de terminer rapidement une situation qu’on a hâte de liquider, de mettre au net.

Le règlement, en bourse, des négociations par livraison de titres achetés, ou bien le paiement des différences constituent une liquidation.

La liquidation est un terme employé en jurisprudence visant la propriété générale. Elle a pour but de fixer les droits qui appartiennent soit à des particuliers, soit à des collectivités par rapport à certaine richesse possédée en commun et qu’il importe d’attribuer respectivement aux destinataires légaux.

Toute société après sa cessation, sa dissolution, doit être nécessairement liquidée.

En sociologie, il s’agit souvent aussi de liquidation — théorique pour le moins — de la société actuelle et de son remplacement pur une organisation nouvelle de liberté, de propriété et de justice.

La liquidation, à travers les âges, est toujours du domaine de l’actualité et s’y rapporte selon l’état de connaissance de l’époque. — E. S.


LISIÈRE n. f. (Il aurait, selon Diez le sens de lisière, de liste, bande, bordure). Le bord d’un objet, d’une chose, voilà sa lisière ; ainsi l’on parle de la lisière d’un champ, d’une forêt, d’une étoffe. Et, par extension, ce terme désigne, au moral, la partie soit initiale soit terminale du système philosophique, social, religieux, politique ou autre ; dans le même sens, il s’applique au monde des sentiments, des désirs, des passions, des habitudes de l’activité réfléchie : on dira d’un homme qu’il est à la lisière de la sagesse ou de la folie ou du

crime. Mais ce vocable peut encore désigner les frontières que codes et décalogues prétendent tracer entre le bien et le mal, entre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Singulière prétention qu’ont les autorités sociales et religieuses ; une duperie de mots au demeurant. « Parce que les dirigeants rêvaient de prestige ou de rapine, n’a-t-on pas vu récemment des millions d’hommes s’entretuer, au nom de l’honneur national et de la liberté ? Dans la bouche des autorités qui commandent aux consciences, les ambitions de la Haute Banque ne se transforment-elles pas chaque jour en devoir moral ? Une savante alchimie du langage suffit à rendre vertueuse une action coupable et mauvaise une action généreuse : houille, fer, pétrole, acquièrent un prix surnaturel et qui meurt pour leur conquête reçoit la couronne des héros ou des saints ; mais c’est un affreux gredin celui qui sème, parmi les hommes, des idées de fraternité. Comme le changement de couleur des verres de lunette modifie l’aspect d’un objet, les louanges ou le blâme dont on les couvre, font varier pour nous la physionomie d’un sentiment et d’une action » (Le Règne de l’Envie). Tracer des lisières artificielles, qu’il est interdit de franchir, s’avère le travail préféré des moralistes officiels, des législateurs, et aussi des éducateurs que les pouvoirs publics chargent de préparer des générations obéissantes et aveugles.

Cette triste besogne, Stephen Mac Say en donne un véridique et saisissant tableau dans La Laïque contre l’Enfant : « Il n’existe pas, en dépit des tirades démocratiques, d’atelier laïque où se ferait l’apprentissage de la liberté, mais des prisons dont les geôliers n’ont point la licence de laisser grandes ouvertes les portes et se permettent tout juste le risque d’allonger d’un « oubli » la promenade. Et si les instituteurs abandonnent à l’entrée le fouet du dompteur et veulent, en grands frères, éveiller un à un ces petits êtres, le désordre de la cage aura tôt fait de les dénoncer à la vindicte des chefs… L’esprit ne peut se mouvoir que dans le cadre fermé, exclusif, de cette salle de classe, milieu factice et claustral qui comprime, refoule vers les sources, sous la pesée écrasante de son silence, toute la vie bouillonnante qui entre… Enchaîner sous prétexte de délivrance les instituteurs seront, qu’ils le veuillent ou non, les complices de ce paradoxe criminel. Ils ne feraient pas impunément l’expérience de rendre cet essaim vibrant à la vibrance du dehors. Et ce sont les programmes enjoignant, dans leur détail même, les matières, stipulant les haltes permises, les insistances nécessaires et ne souffrant pas qu’on porte atteinte au déroulement préconçu. Et l’emploi du temps les secourt, fige la dernière élasticité, qui prescrit jusque dans les heures de chaque jour la science obligée du répertoire immuable. Les instituteurs n’auront guère entamé le code du savoir parce qu’ils auront osé l’omission d’un passage plus nocif ou bousculé l’ordre du spectacle. Et ce petit jeu de passe-passe et d’interversion n’ira pas loin d’ailleurs. Car toute une hiérarchie de chefs est là qui surveille leurs évolutions. Ce sont d’abord les directeurs dont ils ont à subir le contrôle immédiat et que, d’ordinaire, l’âge et l’intérêt ne prédisposent guère à tolérer qu’on sorte de l’ornière. Ensuite les inspecteurs primaires, les « commis-voyageurs en pédagogie », aux apparitions espacées quelquefois mais dont la visite possible est toujours une menace : les inspecteurs « chargés, disent les textes officiels, de renseigner l’inspecteur d’Académie sur la façon dont les programmes, les règlements sont appliqués et dont les divers enseignements sont dirigés ». Ils assistent à la classe, questionnent les enfants — leurs interrogations portent sur l’ensemble du programme. Et comme il leur faut un moyen de contrôle rapide, ils tablent sur la quantité et se prononcent sur des apparences. C’est en effet sur