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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/679

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LIT
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les réponses obtenues, sur l’aspect de l’école et l’attitude du maître qu’ils étayent leurs rapports. Gare aux négligences, aux lacunes voulues, découvertes ou soupçonnées, qu’au besoin même révélera l’élève ! De l’impression qu’emportent les inspecteurs dépend le jugement des hauts dignitaires. L’avancement en est influencé, les récompenses en découlent… comme aussi le blâme et la mise à l’index. » Pour étayer la vérité de ce qu’affirme Stephen Mac Say, la « Fraternité Universitaire » pourrait sortir des dossiers effroyables, relatant le martyre des éducateurs laïques qui voulurent faire vibrer leur classe à l’ambiance des préoccupations les plus hautes de la conscience humaine.

En tous domaines, dans celui de la pensée comme de l’activité sociale, ce ne sont que lisières, dressées intentionnellement par la société afin de domestiquer les individus. Ne soyons pas étonnés que les pouvoirs publics pourchassent tout esprit d’indépendance, même et surtout chez les membres de l’enseignement… Mais nous ne pouvons, quant à nous, accepter qu’on légitime les lisières qui retiennent les hommes en tutelle, de l’enfance au tombeau : « Emile n’aura ni bourrelets, ni lisières. » disait J.-J. Rousseau. Mais l’éducation générale et les mœurs les tiennent prêts pour l’enfant dès sa naissance. Il reprend avec eux le sentier de la tradition, de l’esclavage et de l’impuissance. Des lisières sans nombre canalisent sa vie vers l’obédience et l’esprit de groupe. Et tout se ligue autour de lui, tout conspire ensuite pour l’y maintenir… Écartons du jeune âge les lisières, ouvrons-lui les voies fécondes de l’expérience et de la liberté, c’est la pressante besogne de ceux que l’individualité soucie…


LITTÉRATURE n. f. On entend aujourd’hui, par littérature, « la science qui comprend la grammaire, l’éloquence et la poésie et qu’on appelle autrement belles-lettres » (Dictionnaire de l’Académie Française). C’est la définition scolaire, celle de tous ceux qui ne voient dans la littérature qu’une forme relative et spéciale de la pensée. Voltaire, plus largement et avec plus de raison voyait en elle « ce qu’était la grammaire chez les Grecs et les Romains », la connaissance de tout ce qui était écriture, depuis l’art d’en tracer les caractères jusqu’à la pensée que ces caractères fixaient ou pouvaient fixer dans toutes les branches du savoir. C’est le sens du mot latin : litteratura.

Bonald a appelé la littérature « l’expression de la société ». Avec plus d’étendue il faut voir en elle « la manifestation intellectuelle de l’humanité » (Larousse), si on veut comprendre son véritable caractère, ne pas s’en faire une idée fausse, incomplète et se perdre dans des considérations bornées et trop particulières. Pour Villemain elle était fort justement « une science expérimentale au plus haut degré, qui s’étend, se renouvelle, se rajeunit suivant tous les accidents de la pensée humaine ». Chaque peuple a ou a eu sa littérature particulière ; mais toutes n’ont été et ne sont que des rameaux de l’arbre immense de la pensée universelle, l’héritage commun à tous les hommes et dont on ne peut détacher des tronçons sans qu’ils soient voués à un rapide épuisement. L’étroite notion de patrie est fatale à la littérature comme à tout ce qu’elle sépare du fond commun de l’humanité et, dans cette forme de l’esprit comme dans toutes les autres, elle « ne contente plus un individu d’intelligence quelque peu développé » (Ibsen).

Il est aussi faux de prétendre qu’une littérature est née spontanément, à une certaine époque et sur un certain territoire, qu’il est faux de croire à la création du monde selon la Bible. La pensée humaine est comme le monde, le produit d’une très longue et discontinue élaboration qui a commencé avec la vie elle-même

et dont on ne peut se rendre compte qu’en recherchant ses développements dans le passé, en remontant aussi loin que possible aux origines de l’humanité. L’évolution de la pensée a été celle de l’espèce. La littérature est née lorsque « l’esprit de l’ordre universel » a fait trouver à l’homme son premier bégaiement, lorsque s’est manifestée en lui « l’âme diffuse à l’origine des temps, dissoute dans l’éclosion printanière du monde, l’âme qui, d’audace et de foi virile devait construire une arche allant de la matière à la source de l’être » (Ibsen, Brand). Elle s’est formée, développée avec l’art et la civilisation, et elle a été toute l’activité intellectuelle. Il n’y a pas plus eu, à un moment quelconque de l’humanité, de littérature toute formée qu’il n’y a eu de langue originelle parlée par un premier homme (Voir Langage et Langue). Il a fallu des milliers d’années pour que l’homme, découvrant peu à peu des idées ; apprit à parler pour les exprimer. On n’a aucune notion exacte de ce que put être le langage humain jusqu’au moment où il fut fixé par l’écriture. On estime à des milliers de siècles le temps écoulé entre l’apparition de l’homme et la première forme de l’écriture. Celle-ci est encore inconnue ; peut-être ne la retrouvera-t-on jamais. On la suppose d’après les plus anciens documents idéographiques découverts : dessins, peintures, ornements, hiéroglyphes, qui ne remontent pas à plus de dix mille ans.

Jusqu’à la découverte de l’écriture, les manifestations intellectuelles et leur transmission furent toutes verbales. Celui qui avait une idée la communiquait à d’autres ; ils la discutaient et la faisaient connaître à de plus nombreux, la modifiant, l’amplifiant, la complétant suivant la pensée de chacun. Ainsi se sont formés collectivement, pendant une longue suite de siècles, les récits légendaires d’où sont sorties les premières formes littéraires connues. Grossis de milliers d’alluvions, ils sont devenus la littérature de peuples et de continents entiers. Ils ne sont de personne particulièrement et ils sont de tous, chacun ayant apporté la part de son observation, de ses goûts, de son imagination, suivant son caractère et son milieu. Ils sont comme ces énormes masses géologiques que le temps et les éléments ont composées avec les matériaux les plus différents venus des régions les plus diverses. La littérature est ainsi comparable à la géologie. On peut d’autant plus l’appeler la géologie de l’esprit humain qu’elle est sous une dépendance étroite de la nature, comme l’homme qui l’a produite. Les hommes, quoi qu’ils fassent pour être de « purs esprits », ne peuvent s’abstraire des forces telluriques et il y a toujours un rapport direct entre ces forces et leur pensée. L’homme est sorti de la terre à laquelle il retourne ; il est le produit de son milieu, selon le principe formulé par Hippocrate il y a plus de deux mille ans, et il ne fut jamais, même dans ses manifestations les plus spirituelles, que « la nature prenant conscience d’elle-même » (E. Reclus). C’est la pensée de l’homme qui lui permet d’être cette conscience de la nature. Elle est « une force éternellement active qui brave les temps et les distances, résiste à la force brutale » (Ph. Chasles), force de plus en plus intelligente, active et bienfaisante dans sa marche vers la vérité et que ne peuvent arrêter, quoi qu’ils fassent, les puissants (gouvernants) et les sophistiqueurs (prêtres). Depuis le premier souffle de l’homme elle marche avec lui et avec la vie. Aussi, l’étude de la littérature ne peut-elle se séparer de celle de toutes les formes de la vie. On a rapetissé, méconnu la littérature en l’enfermant dans les belles-lettres, en en faisant une branche de « l’art pour l’art ». Dans le temps même où elle avait sa signification la plus vaste, dans l’antiquité grecque, les sophistes la confinèrent dans l’abstraction rhétoricienne. Ce fut le temps