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conventions étroites et fausses d’écoles, de chapelles, de boutiques littéraires ; ils s’isoleraient de la vie commune par une vanité de caste, des superstitions séniles que la vie déborde tous les jours. Le goût immodéré de la forme les pousserait à ces « désordres monstrueux et inconnus » constatés par Baudelaire. Certes, il y en a eu, il y en a encore, sachant s’évader de cette cage et mériter l’attention reconnaissante de tous les hommes. Mais combien a été plus nombreuse la foule bruyante et encombrante, quand elle n’était pas malfaisante, des parasites qui n’ont pas plus inventé qu’ils n’ont pensé, la multitude des rhéteurs ne se comprenant pas eux-mêmes, des surhommes qui n’ont été que d’orgueilleux imbéciles, des goujats qui se sont pris pour des maîtres, des mystificateurs et des hurluberlus qui ont voulu élever

            « des poissons dans les airs,
A l’aide des vautours ouvrir le sein des mers »

(A. Chénier).

Sur ceux-là qui ne firent que moudre du vent et furent ces littérateurs qui n’étaient aux yeux de Malherbe « pas plus utile à l’État qu’un bon joueur de boules », nous disons: « Paix à leurs cendres, et que leur règne finisse !… »

Nous passons sur la pré-Renaissance qui se manifesta à plusieurs reprises à l’occasion des premières rencontres de l’Occident et de l’Orient.

La Renaissance proprement dite naquit en Italie dès le milieu du xive siècle ; elle s’y développa durant le xve pour se répandre à l’étranger au xvie. Des hommes comme Pétrarque et Boccace avaient nourri leur esprit de l’antiquité mutilée; ils commencèrent à la ressusciter en même temps que les philosophes et les artistes. L’épuration du latin employé par les savants provoqua celle des langues nationales. Les littératures particulières, mises en rapport direct avec la pensée antique par des études critiques de plus en plus dépouillées de scolastique médiévale, se replongèrent aux sources de la vraie beauté classique. Cette révolution « humaniste » aurait pu avoir les conséquences les plus humaines si elle n’avait pas été détournée de ses véritables voies par l’esprit individualiste et aristocratique d’une part, la Réforme religieuse d’autre part, pour l’empêcher de présider à un ordre nouveau favorable à tous les hommes. La Réforme fut la principale cause d’avortement. Au lieu de briser définitivement le vieux moule des règles religieuses qui craquait de toute part, elle établit, en prétendant s’appuyer sur le libre examen et la liberté de conscience, des disciplines nouvelles plus étroites et plus lourdes. Alors que la Renaissance « profondément humanitaire tendait à l’émancipation complète de l’esprit, à la destruction des sottes croyances du christianisme, à l’émancipation des masses populaires du joug nobiliaire et princier, le mouvement de la Réforme, fanatiquement religieux, théologique et, comme tel, plein de respect divin et de mépris humain, devait nécessairement devenir l’ennemi irréconciliable et de la liberté de l’esprit et de la liberté des peuples » (Bakounine). Après avoir entraîné les peuples, particulièrement les paysans, d’Allemagne qui s’étaient levés au cri de : « Guerre aux châteaux, paix aux chaumières ! », contre l’Église et les princes, la Réforme contribua à les soumettre à un joug plus écrasant lorsqu’elle se fut fait sa place parmi les puissances gouvernantes. Luther, « théologien plus soucieux de la gloire divine que de la dignité humaine » (Bakounine), trahit la révolution qu’il avait soulevée, et Munzer put lui dire avec raison : « Tu as fortifié le pouvoir des scélérats impies, sot moine, et tu as perdu le peuple ! » Entreprise pour ramener le

christianisme à des mœurs plus pures, « la révolution protestante ne tint aucun compte de la personnalité humaine qui avait été le pivot même de la grande révolution chrétienne » (Delacour). Elle n’aboutit qu’à apporter des formes nouvelles à l’esclavage.

Si grand que fut le mouvement de pensée provoqué par la Renaissance, il n’eut donc pas toutes les conséquences qu’on en pouvait attendre. Dans le domaine littéraire, il engendra les premières grandes œuvres modernes ; elles sont demeurées parmi les plus belles de tous les temps.

En Italie, la grande époque littéraire a été le siècle du Trecento, le xive. Dante y acheva le moyen-âge en lui donnant son expression la plus magnifique. Pétrarque et Boccace y commencèrent la Renaissance qui devait rapidement se corrompre en « précipitant les mœurs italiennes de la barbarie dans la mollesse » (Ph. Chasles). Après un xve siècle qui fut surtout d’érudition et dont la plus remarquable figure fut Savonarole, fanatique adversaire des mœurs nouvelles, l’Italie connut au xvie tout l’épanouissement de la Renaissance européenne. Ce fut le siècle de l’Arioste, de Tasse, de l’Arétin et surtout de Machiavel.

En Espagne, les cantares de gesta et les cronicas avaient donné naissance au romancero qui prolongea dans ce pays, à partir du xve siècle, la poésie populaire et constitua la véritable littérature espagnole. La Renaissance y fut d’inspiration profondément catholique dans la survivance du roman chevaleresque qui alla jusqu’à Cervantès, mais demeura arabe dans la poésie lyrique. Durant le moyen-âge, les Arabes avaient enseigné à l’Espagne leur art et leur littérature ; ils lui avaient communiqué la violence et la passion de leur poésie. La liste des poèmes arabes qui est conservée à l’Escurial ne comprend pas moins de vingt-quatre volumes. De Cervantès à Calderon, la Renaissance espagnole se manifesta surtout au théâtre. Elle donna aussi un grand développement à l’histoire et à la littérature mystique ; Calderon fut le plus grand poète catholique. La grandeur politique de l’Espagne alors maîtresse du monde et qui ne voyait pas le soleil se coucher sur son empire, favorisa cette brillante période littéraire. Dans le pays voisin, en Portugal, Camoëns écrivait les Lusiades, « la plus neuve et la plus grandiose des épopées modernes » (Ph. Chasles).

Jusqu’au xive siècle, l’Angleterre n’eut, d’une part que les ballades populaires qui manifestaient la résistance anglo-saxonne à la conquête normande, d’autre part les imitations de la poésie française que les trouvères avaient apportée avec les conquérants. La Renaissance coïncidant avec la fixation de la nouvelle nationalité anglaise aida à l’éclosion d’une littérature nationale qui fut particulièrement vivante et variée lorsque la langue, longtemps influencée par les éléments les plus disparates, eut ses formes définitives. Chaucer, au xive siècle, fut le premier grand poète anglais. Deux siècles après Spenser et nombre d’autres donnèrent à la poésie un vif éclat. Tout un mouvement dramatique se créa qui aboutit à Shakespeare. Le philosophe et historien François Bacon fut l’Aristote du xvie siècle. Tous firent de la seconde partie du xvie siècle appelé « siècle d’Elisabeth », la plus glorieuse époque de la littérature anglaise.

En Allemagne, le développement intellectuel avait été longtemps retardé par les luttes féodales. La formation de la langue fut longue. Perfectionnée par Luther qui traduisit la Bible, cette langue n’atteignit sa forme définitive qu’avec Gœthe. Le xiiie siècle avait été, comme en France, une belle période littéraire avec les minnesingers, trouvères et troubadours allemands. Il sortit d’eux, au xive siècle, les associations bourgeoises de meistersingers (maîtres-chanteurs) qui s’organisè-