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précations des prophètes se terminant par le rêve édénique d’un temps où le fer des lances sera fondu en socs de charrues, jusqu’à la justicière Internationale qui conduira aux Heureux Temps. Tout ce que le prolétariat peut vouloir réaliser comme action sociale lui a été dit dans ces vers lapidaires :

Ouvrier, prends la machine,
Prends la terre, paysan.

Tout ce qu’il peut rêver dans l’espoir lumineux d’une fraternité qui ne peut être qu’universelle lui a été chanté par Beethoven dans son Hymne à la Liberté. Il ne s’agit pas d’opposer une « littérature prolétarienne » à la « littérature bourgeoise », une classe à une autre classe, une haine à une autre haine. Il s’agit de supprimer toutes les classes et toutes les haines. Les hommes ont plus de littérature qu’il ne leur en faut pour se décider à passer à l’action. Il est inutile d’augmenter le nombre des sophistes. Non seulement ils sont déjà assez nombreux pour « affaiblir la société », mais ils sont trop qui contrarient et paralysent la volonté d’action prolétarienne par leurs sophismes malfaisants. Lorsque les hommes auront su établir une harmonie sociale en supprimant toutes les classes, le besoin naîtra tout naturellement en eux et chez tous d’une littérature nouvelle qui dira leur joie du bien-être et de la liberté conquis. Jusque là, il sera plus noble et plus utile aux hommes d’agir que d’ajouter aux millions de volumes dans lesquels ils ont répandu de tout temps leurs rêves impuissants.

Lorsqu’on ajoute au mot « littérature » un qualificatif et qu’on parle de littérature philosophique, religieuse, bourgeoise ou prolétarienne, on ne fait qu’en indiquer l’esprit, la tendance, on ne peut dire qu’elle est à l’usage des philosophes, des religieux, des bourgeois ou des prolétaires. La littérature, quelle qu’elle soit, est pour tous les hommes ; c’est à eux à lui faire un sort. Une littérature est toujours le reflet de son temps. A toutes les époques, « la marque infaillible de la civilisation a été dans le degré de loisir qu’a eu un peuple pour se créer une littérature » (Larousse). L’esclavage, la misère, la souffrance, n’élèvent pas les sentiments humains et n’excitent pas le travail de l’esprit. Sauf de rares exceptions, se rencontrant de moins en moins dans la vie moderne qui tue plus rapidement que jamais l’individu désarmé, la dépendance, la privation, la douleur annihilent les facultés humaines. L’homme absorbé par la nécessité du pain quotidien n’a pas le temps de s’instruire. L’organisation sociale est faite de telle sorte qu’elle l’empêche de penser, même quand il s’amuse. Aussi, ne peut-il y avoir une littérature prolétarienne faite par des prolétaires.

Il y a une littérature aristocratique et bourgeoise, parce que l’homme riche a le temps de cultiver son esprit, de réfléchir et d’exprimer sa pensée dans des directions qu’il a la liberté de choisir. Cette littérature intéresse généralement tous les privilégiés ; ils y trouvent l’expression de leurs sentiments et s’y voient vivre agréablement. Elle est la manifestation de la béatitude de leur égoïsme, mais aussi de leur inquiétude devant l’incertitude d’un bonheur illégitimement fondé sur le malheur d’autrui. De là, cette tendance chez elle vers cette hyper-analyse qui est, a dit Barbusse, « un des signes de la décadence artistique actuelle ». Mais il n’y a pas de littérature prolétarienne parce que rien dans la vie du prolétaire n’exalte ses sentiments et qu’il n’aime pas se voir vivre. Il a besoin, il a hâte d’échapper, au moins par l’imagination, à sa misère, au travail sale, laid, meurtrier, auquel il est condamné et qu’il fait sans goût, au foyer sans confort où son repos est sans joie. Cela explique les échecs répétés de

toutes les tentatives littéraires qui ont prétendu lui faire aimer sa condition. Cela explique aussi la facilité avec laquelle il s’abandonne à l’usage des poisons que ses maîtres ont inventés pour lui procurer un peu de rêve qui l’anesthésiera davantage et dont les formes « littéraires » sont la chanson de café-concert, le roman-feuilleton, le cinéma. En dix ans, le cinéma a plus fait pour l’abrutissement du prolétariat que cent ans de littérature religieuse, patriotique et politicienne.

Est-il rien de plus triste que les roulades d’un oiseau en cage, la mélopée d’un esclave tournant la meule, le chant d’un prisonnier ? Seuls, des esthètes malades, à qui il faut de la souffrance, surtout celle des autres, pour faire de la beauté, peuvent aimer ces appels du désespoir adressés à la vie et à la liberté. Quand les hommes auront l’énergie de faire leur vie libre et belle, la pensée refleurira sur leurs lèvres pour des poèmes et des chants immortels, et la littérature ne sera plus le produit morbide de leurs turpitudes. — Edouard Rothen.


LIVRE Ce mot vient du latin liber, du nom de l’enveloppe membraneuse de certain roseau sur laquelle on écrivait et qui était le papyrus. Bien avant d’employer le papyrus, on avait écrit sur la pierre, la brique, l’ivoire, le plomb, le bois, particulièrement celui de cèdre que l’amertume de sa substance préserve de la destruction des vers ; ensuite, sur des peaux préparées dont on était arrivé à faire le parchemin, et sur des toiles de lin. Le livre proprement dit a été le recueil des papyrus ou des parchemins qu’on enroulait sur eux-mêmes et qu’on appelait volumes (de volvere, enrouler), puis des feuillets carrés réunis ensemble dans un morceau d’étoffe ou un étui en bois.

Le premier livre de l’homme a été la pierre, avant même qu’il la couvrit d’inscriptions. V. Hugo a écrit : « Depuis l’origine des choses jusqu’au xve siècle inclusivement, l’architecture est le grand livre de l’humanité, l’expression principale de l’homme à ses divers états de développement, soit comme force, soit comme intelligence. » L’architecture commença cette expression par l’utilisation de la pierre, dont elle fit le premier alphabet, en lui donnant différentes positions, en la groupant de diverses manières. « On retrouve la pierre levée des Celtes dans la Sibérie d’Asie, dans les pampas d’Amérique. » Le menhir, le dolmen, le cromlech, le tumulus, le galgal, sont des mots et des phrases. Les pierres de Karnac sont tout un livre sinon une bibliothèque. Les cathédrales furent la suprême expression de l’écriture architecturale. Celle-ci fut tuée par l’imprimerie au xve siècle. « Ceci tuera cela. » (V. Hugo : Notre Dame de Paris).

Les pierres écrites les plus anciennes qu’on a retrouvées étaient en Iranie. La stèle de Hourin-CheihkKhan, près de Kalman, avait été déjà restaurée il y a 56 siècles. On voit au musée du Louvre l’obélisque du roi Manichtuou sur lequel est gravé un titre de propriété datant de 57 siècles. Sur une autre pierre, le code des lois du roi Hammurabi est vieux de 40 siècles. Les négriers qui exploitent « l’empire colonial » de « l’Europe civilisée » pourraient y apprendre à traiter humainement les esclaves, et les féministes y trouveraient des arguments pour leur propagande. Les stèles quadrilingues de Bisutun, en écriture cunéiforme, qui disent la gloire de Darius, le « roi des rois », ne remontent qu’à 500 ans avant J.-C. et paraissent modernes à côté des milliers de tablettes écrites que les savants ont retrouvées dans les décombres des monuments écroulés et sur lesquelles ils cherchent à démêler les origines de la civilisation des régions du Tigre et de l’Euphrate. On a découvert parmi ces rui-