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LIV
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nes, dans les fouilles de Ninive, une partie de la bibliothèque qu’Assurbanipal constitua sept siècles avant J.-C. d’après les textes akkadiens réunis il y a sept mille ans à la bibliothèque de Nippur.

Les pierres écrites d’Égypte ne sont pas moins nombreuses et importantes pour l’histoire de l’humanité. Tous les monuments, temples et tombeaux, de ce pays constituaient, par leurs inscriptions et leurs peintures, de véritables bibliothèques qui ont été stupidement détruites.

Les manuels scolaires chinois disent que dans la haute antiquité, on écrivait en nouant des cordes. L’écriture idéographique chinoise se modifia avec les matériaux employés et fut plutôt de la peinture sur des fragments de bambou, sur des écorces et des pellicules, sur le papier. Les Chinois employèrent l’imprimerie et le papier bien avant que les Européens les découvrissent. Ils abandonnèrent les caractères mobiles trop peu pratiques au moment où l’Europe les adopta. Depuis le xiiie siècle, ils usent de la reproduction xylographique. Le résultat en est qu’il n’est pas de pays où il paraisse autant de livres, sur de si bon papier et à meilleur marché qu’en Chine. (A. Ular, Revue Blanche, 1er septembre 1899).

Les runes des peuples nordiques étaient gravées sur la pierre ou le bois, et leurs signes paraissent dérivés d’un ancien alphabet dont on retrouve les traces apportées par les Scandinaves jusqu’en Asie Orientale. Les anciens Mexicains peignaient leurs hiéroglyphes sur les feuilles des « arbres à papier », le maguey ou autres, et les gravaient sur le bois ou la pierre.

La Grèce reçut l’écriture alphabétique des Crétois et des Cadméens. Les Crétois gravaient leurs lois sur des tables de bronze. Les lois romaines des Douze Tables furent écrites sur l’airain. Grecs et Romains écrivirent sur des tablettes de bois, enduites de cire, avec un stylet, puis sur le papyrus au moyen de l’encre. Ils délaissèrent le papyrus pour le parchemin. Les deux prévalurent pour la commodité qu’ils présentaient d’être enroulés en volumes qui tenaient moins de place que les tablettes de métal ou de bois. Les rayons d’une bibliothèque de volumes enroulés présentaient l’aspect de ceux d’une boutique de papiers peints ; une inscription sur la tranche, ou front, indiquait le titre du livre. Déjà, en ce temps-là, les Chinois fabriquaient du papier avec de la soie. Les Arabes en firent avec du coton ; ils en apportèrent la fabrication et l’usage en Espagne, au xie siècle. Mais l’emploi du papier pour le livre ne fut réellement adopté qu’avec l’imprimerie. (Voir ce mot et aussi Ph. Chasles : Le Moyen Age, l’atelier de Gutenberg).

Le véritable art du livre s’est formé et développé avec l’usage du manuscrit sur papyrus et sur parchemin. Pour les livres sur parchemin, à peu près les seuls qui soient parvenus jusqu’à nous, cet art consistait d’abord dans la préparation des peaux d’animaux. Le mot parchemin vient du nom de Pergame, ville d’Asie Mineure où cette préparation atteignit sa plus glande perfection. Les parchemins étaient de trois couleurs : blancs, jaunes ou pourprés. Leur fabrication ne fut pas toujours assurée selon les besoins qui devinrent considérables en Europe lorsque l’Égypte ne lui fournit plus de papyrus, à partir du viie siècle. Le résultat fut désastreux pour les lettres antiques, car on se mit à gratter les anciens manuscrits pour y transcrire les textes nouveaux. Cela explique la rareté des manuscrits antérieurs au viie siècle qui subsistent encore. Les manuscrits grattés furent appelés palimpsestes par les Grecs qui, les premiers, se livrèrent à cette détestable besogne. (Voir Vandalisme). Les manuscrits palimpsestes sont reconnaissables à ce qu’ils portent des traces de la première écriture.

L’industrie et la vente du parchemin prirent une très grande extension. Jusqu’au moment où l’imprimerie adopta le papier, la fabrication du parchemin n’arriva pas à satisfaire les besoins. Aussi, était-il cher. L’Université surveillait le commerce de la corporation des parcheminiers qui ne devinrent indépendants qu’en 1545, lorsque le papier commença à concurrencer leur marchandise.

On ne peut préciser l’époque des premiers manuscrits. Il en a été écrit un nombre incalculable pendant des siècles ; il n’en est resté qu’un nombre infime. Le peu de soins qu’on en a encore aujourd’hui, malgré la vénération dont on les entoure, fait qu’ils disparaissent peu à peu, surtout dans des incendies. Il n’y a que quelques mois, le 23 avril 1929, le feu a détruit à la bibliothèque de Dunkerque un manuscrit du Trésor de Brunetto Latini du xive siècle, ainsi que plusieurs autres des xvie et xviie siècle. Les odieuses reliques de la guerre et de la puissance criminelle des despotes sont mieux gardées et préservées dans les musées que les trésors de l’art et de la pensée humains. Les vieux manuscrits, qui sont parfois uniques, ne pourraient-ils pas être conservés à l’abri du feu, dans des coffres, comme les titres de propriété du premier « bourgeois » venu ?…

Les plus anciens manuscrits encore existants sont des papyrus égyptiens qui ont plus de trois mille ans. Il en reste bien peu de l’antiquité. Leur disparition a eu des causes diverses, mais la guerre a toujours été la principale, guidée par la haine sauvage des sectaires religieux plus acharnés contre la pensée que contre les hommes eux-mêmes. On a conservé de plus nombreux manuscrits du moyen-âge, mais leur nombre est loin de compenser la qualité de pensée des livres anciens à jamais détruits. Ce sont presque tous des ouvrages religieux, des copies des lourds produits de la métaphysique scolastique que les moines répandaient avec autant de zèle qu’ils en avaient mis à détruire la pensée profane. Le travail des manuscrits se fit uniquement dans les couvents jusqu’au jour où des corporations laïques de maîtres-écrivains se formèrent pour les besoins de la nouvelle littérature.

La besogne des copistes des manuscrits se complétait de celle des enlumineurs. Lorsqu’elle était bien exercée, elle faisait des manuscrits, non de simples reproductions de textes, mais des œuvres d’art précieuses. Les enlumineurs décoraient les manuscrits d’ornements colorés, entre autres de miniatures qui ont été la première forme de la peinture moderne, celle-ci ayant été pratiquée par les primitifs selon les procédés des miniaturistes. Les Grecs se livraient déjà à l’ornementation des livres et semblent l’avoir apprise des Égyptiens. A Rome, l’art des enlumineurs atteignit une véritable magnificence pour décliner pendant la décadence. Il retrouva un grand éclat dans l’empire byzantin et se développa ensuite en Europe selon le goût propre à chaque peuple. L’amour des beaux livres qui se manifestait à la fin du moyen-âge fut certainement dû à leur ornementation. La plus belle époque des enlumineurs fut le xve siècle. Leur art déclina peu à peu devant le développement de l’imprimerie pour disparaître ensuite. Il a été remplacé par la gravure et les autres procédés de ce qu’on appelle aujourd’hui l’illustration du livre.

La production du papier fit naître une industrie encore plus importante que celle du parchemin, Les usages de plus en plus nombreux qu’on en fit dépassèrent de beaucoup l’art du livre, et l’avilissement où sa qualité tomba arriva à faire employer pour le livre un papier dont un épicier n’aurait pas voulu pour envelopper ses cornichons. Le papier de coton et de chiffons de lin ou de chanvre a été de plus en plus