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LIV
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jours été particulièrement éprouvées, tant par les vols commis par des gens « distingués » à qui elles ont prêté leurs livres en faisant confiance à leur réputation, que par les actes de vandalisme, commis dans leurs salles mêmes, par de véritables malfaiteurs qui arrachent des pages des livres ou les souillent d’encre et d’expectorations.

Il nous reste à parler des bibliothèques. L’homme qui avait eu le souci de fixer la pensée par l’écriture, devait avoir aussi celui de conserver les monuments et objets sur lesquels il avait écrit. Aussi, constitua-t-il des bibliothèques bien avant qu’il eût composé des livres proprement dits. Les légendes babyloniennes de la création du monde disent qu’à Eridu les observatoires furent établis et les tablettes furent recueillies avant que « la graine d’humanité ne fut semée » (Elisée Reclus). Il y eut des bibliothèques dans plusieurs villes de la Chaldée il y a six ou sept mille ans. Celle de Nippur fournit à celle qu’Assurbanipal fit constituer à Ninive la matière de plus de 500 volumes de 500 pages dans le format in-quarto moderne (E. Reclus) Les temples égyptiens étaient des bibliothèques par leurs inscriptions murales. Leurs « pierres éternelles » parlaient pour les temps à venir. On s’en rend compte par un bas relief du grand temple de Medinat Habu que les vandales ont épargné et dont les inscriptions constituent une véritable encyclopédie des connaissances de l’ancienne Égypte.

La première bibliothèque qui réunit des manuscrits aurait été celle d’Osymandias, en Égypte. Elles furent nombreuses dans cette contrée où l’on eut un culte si grand de la pensée et de l’étude. La plus importante et la plus célèbre fut celle que fonda Ptolémée et qui devint la Bibliothèque d’Alexandrie. Elle compta jusqu’à 700.000 volumes répartis en deux monuments, le Bruchion, le plus ancien, et le Sérapéion. Le Bruchion fut détruit avec ses 400.000 volumes quand César conquit Alexandrie. Le Sérapéion, qui s’était augmenté de la bibliothèque de Pergame donnée par Antoine à Cléopâtre, fut saccagé avec ses livres en 390 par les chrétiens que l’évêque Théophile excitait. Une légende tenace, répandue entre-autres par Mennechet dans son Cours de littérature grecque, a attribué aux Arabes la destruction de la Bibliothèque d’Alexandrie en 641. La vérité est que le fanatique Amrou, dont l’esprit concordait si peu avec celui de sa race, ne détruisit que les restes de la bibliothèque du Sérapéion. Il y a des témoignages indiscutables de la destruction accomplie par les chrétiens, celui entre-autres du prêtre Orose, ami de saint Augustin, qui a vu à la fin du ive siècle les ruines du Sérapéion et a déploré dans son Histoire Universelle la dévastation de la bibliothèque.

Pendant le moyen-âge barbare, acharné à détruire les bibliothèques grecques et romaines, ce furent les Arabes qui s’employèrent à sauver les documents de la pensée humaine et à les reconstituer. Ils fondèrent des bibliothèques dans tout l’empire musulman. Celle de Fez, au Maroc, réunissait 100.000 volumes. Celle de Cordoue en possédait 600.000 richement reliés. L’Espagne comptait 70 bibliothèques publiques et de nombreuses collections privées. Au xe siècle, à la bibliothèque des Fatamites, au Caire, il y avait deux millions et demi de volumes, avant que la ville fût pillée par les Turcs.

Les bibliothèques publiques et privées se sont multipliées depuis l’invention de l’imprimerie ; jusque-là elles furent rares hors des couvents. La première que l’on vit en France fut celle de Charles V réunie au Louvre et qui était à la disposition des savants. Elle comptait environ 900 volumes dont Gilles Malet dressa l’inventaire. Dispersée ensuite, la bibliothèque royale fut rétablie par Louis XI et considérablement

augmentée par Charles VIII. Après diverses aventures, la bibliothèque du roi fut définitivement constituée sous Louis XIV. Au commencement du xviiie siècle, elle possédait 70.000 volumes. Un arrêt du 31 mai 1689 obligea les imprimeurs à lui fournir deux exemplaires de tout ce qu’ils imprimaient. Cette bibliothèque s’enrichit ainsi de tout ce qui parut et aussi de l’apport de nombreuses et précieuses collections particulières. La Révolution de 1789 lui apporta les trésors d’un grand nombre de bibliothèques des couvents et des émigrés. Demeurée bibliothèque royale et privée jusque-là, elle devint la Bibliothèque Nationale publique. Cette bibliothèque est la plus importante de France et peut-être du monde. A côté d’elle d’autres spéciales sont rattachées aux différents ministères et corps savants. En province, il est peu de villes qui n’aient leurs bibliothèques publiques où sont parfois des ouvrages anciens de la plus grande valeur.

La première grande bibliothèque publique fut en France celle de Mazarin, appelée aujourd’hui la Mazarine. Il l’ouvrit au public en 1643. Elle fut la quatrième en Europe qui n’était pas fermée, après celles de Milan, d’Oxford et de Rome.

Les plus célèbres bibliothèques d’Europe sont, avec celles de Paris, où la Bibliothèque Sainte-Geneviève tient la seconde place, celle du Vatican, la plus ancienne, avec ses archives de la papauté, celle de Munich qui possède 12.000 incunables, celle du British Muséum à Londres, celle de l’Escurial à Madrid, fondée par Charles Quint, celles de Milan, de Vienne, de Saint-Pétersbourg. La bibliothèque des Birmans, aux Indes, est la plus ancienne de celles existant actuellement. Elle renfermait déjà 370.000 volumes en 502. Leur nombre doit être aujourd’hui prodigieux.

Toutes les bibliothèques sont ou devraient être accessibles aux travailleurs soucieux de s’instruire ou seulement de se distraire intelligemment. Malheureusement, trop souvent l’incurie administrative les ferme à ces travailleurs. Les bibliothèques ne sont ouvertes parfois qu’à des heures où ils ne peuvent y aller. Certaines sont fermées le soir pour manque de personnel ou même d’éclairage ! Ajoutons toutefois que les procédés routiniers de l’administration ne sont que la conséquence de l’indifférence du public. Si les travailleurs voulant fréquenter les bibliothèques étaient plus nombreux, il leur serait facile, par quelques protestations, de faire modifier des règlements désuets. Une longue expérience nous a montré que, sauf certains rond-de-cuir abrutis et hargneux qu’il ne serait pas impossible de ramener dans les voies de la civilité, le personnel des bibliothèques ne demande qu’à faciliter le public. Les bibliothécaires, gardiens des bibliothèques publiques, sont généralement des bibliographes et des bibliophiles sinon toujours savants, du moins amis des livres et accueillants à ceux qui les aiment. Suivant que les bibliothécaires sont plus ou moins instruits, intelligents et actifs, les bibliothèques sont des centres intellectuels clairs et vivants mis à la portée de tous les travailleurs, ou des capharnaüms poussiéreux, abandonnés aux rats et aux filous qui découragent toute volonté de travail.

Il y a aussi des bibliothèques populaires. A Paris, un ouvrier lithographe, Girard, en eut la première idée et s’occupa de la première réalisation. Elles se formèrent et se développèrent dans tous les arrondissements parisiens et elles sont nombreuses en province. Elles ont pour les travailleurs l’avantage du prêt du livre. Ils peuvent l’emporter chez eux et l’ont ainsi à leur portée aux moments de loisir. Actuellement, Paris compte 83 bibliothèques populaires municipales. Elles ont prêté en 1927 un million et demi de livres. Ce chiffre, qui paraît considérable, est ridicule