Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/709

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LOG
1315

l’art infaillible que certains espèrent.

Le moyen-âge fit un extraordinaire abus de la logique formelle et du syllogisme. Considérée non seulement comme un bon procédé d’exposition ; mais comme l’instrument par excellence de la recherche scientifique, la méthode scolastique dégénéra en arguties insensées ; elle devait régner en maîtresse, dans les écoles, jusqu’en plein xviie siècle. Aristote devint l’oracle souverain dont la parole n’était jamais mise en doute ; le professeur suivit servilement le texte de ses livres et la formule : « Magister dixit : le Maître a dit » fut l’argument suprême qui permit de sortir victorieux dans toutes les disputes. Or les exercices scolaires se bornaient, pour l’élève, à la soutenance « en forme », selon des procédés invariables et séculaires, de thèses fixées d’avance. Il y avait des termes rituels, des phrases consacrées, dont l’omission pouvait rendre un examen nul ; la Faculté de Paris faillit annuler une thèse de Bossuet parce qu’il avait passé un mot dans la formule de compliment prescrite au début. Nos sorbonnards, dont la sottise parfois déconcerte, ont de qui tenir on le voit ! Qu’on traitât de philosophie, de théologie, de droit, de médecine de physique, l’assaillant « disputans » et le candidat « respondens » déroulaient interminablement, selon des règles inflexibles, syllogismes, enthymèmes, etc. ; et les « concedo », les « nego », les « distinguo » pleuvaient au cours de la discussion ; le Diafoirus de Molière emploie tous les termes scolastiques avec une parfaite convenance. Ajoutons qu’on s’exprimait en un latin barbare, et qu’on s’en tenait en général à des jeux de mots, à des subtilités frivoles, négligeant le fond des problèmes. Sans jamais recourir au contrôle de l’expérience, même en physique, on prétendait vider le réel de son contenu tout entier, grâce à d’interminables raisonnements a priori, dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils étaient d’ordinaire parfaitement déraisonnables. Depuis Descartes on a compris que le syllogisme ne pouvait servir qu’à exposer ce qu’on savait déjà ; ce n’est pas un instrument de découverte puisqu’il se borne à passer du général au particulier, du contenant au contenu. Plusieurs l’accusent encore d’être un cercle vicieux, dont la vérité de la conclusion est nécessaire à la vérité des prémisses.

L’Église, ce monstrueux éteignoir, toujours désireuse d’étouffer la pensée libre, se devait de ressusciter la scolastique tombée dans un juste discrédit. Elle le fit dans la seconde moitié du xixe siècle. Dès son avènement au pontificat, en 1878, Léon XIII recommandait le retour au thomisme et, l’année suivante, par une Encyclique qui provoqua la démission de nombreux professeurs, il imposait son enseignement dans les Universités catholiques. Ce pape trouva un auxiliaire dans l’abbé Mercier, le futur cardinal, qui fut chargé en 1880 d’enseigner la philosophie thomiste à l’Université de Louvain. J’ai lu ses livres : ce sont d’indigestes mélanges, sans originalité, où le fatras d’une érudition peu profonde remplace le talent. Bientôt les scolastiques devinrent tout-puissants dans les séminaires et les écoles catholiques. Ils n’ont atteint le public que plus tard, grâce à des charlatans, dont Maritain est un beau spécimen présentement. Applaudis par la bourgeoisie, que ses intérêts ont converti à une religion de façade, ils ont vu leurs élucubrations insanes couronnées par l’Institut, propagées par les grands périodiques, et favorisées même par les universitaires. Ayant voulu présenter une thèse en Sorbonne où je malmenais le thomisme, à la fin de 1918, un professeur israélite me fit savoir que l’heure était par trop mal choisie, alors surtout que j’avais contre moi de n’être ni décoré de la croix de guerre, ni même simplement soldat. Peu après deux badernes philosophiques de Gand, admiratrices du Divin Thomas, devaient s’indigner non moins fortement devant l’audace de mes conclusions. Malgré journaux

et revues pseudo-littéraires, malgré les complaisances des éditeurs pour les écrivains catholiques, la vogue néo-scolastique sera sans lendemain ; les livres des Maritain sont promis à l’oubli.

Mais, à côté de la logique formelle, il y a place pour la logique appliquée ou méthodologie. Presque inconnue au moyen-âge, cette dernière s’est beaucoup développée au cours du xixe siècle ; elle suit le progrès des sciences particulières et constitue l’une des branches essentielles de la philosophie contemporaine. Son but est de fixer les procédés requis pour connaître scientifiquement les divers objets étudiés par l’esprit. Or tantôt nous créons un monde abstrait, dégageant les règles idéales de toutes choses réelles ou possibles, tantôt nous observons le monde sensible et précisons les lois que l’expérience y découvre. D’où les sciences mathématiques d’une part et, d’autre part, les nombreuses sciences qui, de la physique à la sociologie, se partagent l’étude de l’univers observable. Les premières ont une méthode déductive et a priori, la démonstration ; les secondes, malgré les variations résultant de la diversité de leur objet, ont en commun une méthode a posteriori, expérimentale, inductive.

Négligeant la qualité, les mathématiques s’en tiennent à la seule quantité, soit continue soit discontinue, figures et nombres ; elles étudient les lois de variations corrélatives entre les grandeurs. A l’origine leur méthode fut tributaire des données sensibles : c’est l’expérience qui révéla aux anciens la mesure de la circonférence par le diamètre, la valeur, toujours égale à deux droits, de la somme des angles d’un triangle quelconque, etc. Mais aujourd’hui les mathématiques, devenues sciences exactes, ne procèdent que déductivement, par démonstration. Partant des définitions des nombres et des figures, créations de l’esprit suggérées par l’expérience, elles tirent par raisonnement et sous le contrôle d’axiomes évidents mais indémontrables, toute la splendide floraison de lois rigoureuses qui constituent leur domaine. Le principe d’identité s’avère l’ossature de leurs constructions ; leur vérité consiste dans un constant accord de la pensée avec elle-même. Sur l’origine des nombres et des figures, purement expérimentale selon les uns, purement rationnelle selon d’autres, à la fois l’une et l’autre d’après beaucoup, les logiciens discutent ; de même sur la valeur exacte des définitions et sur le rôle des axiomes. Les plus graves dissentiments concernent les postulats, propositions spéciales à la géométrie, synthétiques, indémontrables, d’une évidence moins immédiate que les axiomes, avec lesquels on les a confondus parfois. On connaît celui d’Euclide : « Par un point pris hors d’une droite, on ne peut mener qu’une parallèle à cette droite ». Lowatchewski l’a nié, puis a construit une géométrie non moins cohérente, non moins logique, non moins vraie, du point de vue de l’identité, que l’ancienne. On peut mener, par un point, une infinité de parallèles à une droite donnée, parallèles qui se rencontrent à l’infini ; et les trois angles d’un triangle sont inférieurs ou supérieurs à deux droits. Riemann, d’autre part, a imaginé un espace ne possédant pas trois dimensions, largeur, hauteur, profondeur, comme le nôtre, mais un nombre de dimensions moindre ou plus grand, 1, 2, 3, 4, 5, n, dimensions. On a encore contesté l’homogénéité de l’espace et son uniformité. De nombreux métagéomètres ont travaillé dans ces diverses directions et les théorèmes qu’ils ont déduits n’ont rien d’absurde. Seule l’expérience nous apprendra laquelle de ces géométries est physiquement vraie, c’est-à-dire s’accorde avec l’univers observable. Il semble, en tout cas, que certains animaux, souris japonaises, lamproies par exemple, perçoivent un espace ayant moins de dimensions que le nôtre. Et des expériences répétées font croire que nos