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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/716

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LOI
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titue la recherche stérile de la chose en soi, sorte de casse-tête et de passe-temps métaphysique issus de l’ignorance et du verbalisme pur.

En effet la recherche de la chose en soi peut se comprendre, soit comme la représentation ultime des choses hors de l’étendue et de la divisibilité, hors des rythmes et des vibrations, c’est-à-dire hors de l’espace et du temps qui sont des données essentiellement sensibles, et on se demande ce qu’une telle représentation peut signifier pour l’intelligence humaine ; soit comme une représentation sensuelle, une attribution des modalités synthétiques de l’objectif sensuel à l’extra-sensuel analytique et insaisissable.

Ces deux conceptions aboutissent à deux absurdités manifestes. La première vient de l’impossibilité de sortir de soi-même et de séparer de nos représentations l’élément sensuel ou image, ce qui reviendrait à faire de l’imagination sans image. La deuxième vient de cette proposition qui suppose que le tout est semblable à la partie, les corps synthétiques égaux à leurs éléments analytiques ; ce qui égale l’affirmation que chaque cellule du corps humain ressemble à un homme.

Si nous voulons alors comprendre la nature de notre connaissance sensuelle et ce que l’on peut entendre par réalité et même par explication, nous devons chercher tout d’abord ce qu’est la vie elle-même, car la vie précède toute connaissance et toute explication.

L’observation d’un œuf vivant nous montre ce germe formé d’éléments chimiques connus empruntés au milieu, soumis aux mêmes phénomènes physico-chimiques que tous les autres corps, mais réagissant selon les caractéristiques de toute matière vivante qui est l’assimilation et l’accroissement. Chaque cellule vivante possède sa formule chimique et son ou ses rythmes, ses résonances, lesquelles conquièrent, lorsqu’elles le peuvent, les autres substances susceptibles de vibrer selon leurs propres modalités et, modifiées à leur tour par cette assimilation, se trouvent en équilibre avec les autres phénomènes physico-chimiques du milieu ambiant. Ce milieu n’étant nullement homogène mais, au contraire, hétérogène, présente des conditions d’existence très variables, parfois opposées au fonctionnement vital et à sa durée. Nous voyons qu’entre la substance vivante et le milieu il y a une étroite dépendance puisque l’être vivant est formé de la substance et de l’énergie de ce milieu, qu’il en subit tous les phénomènes et se comporte comme un transformateur de substance et d’énergie. Nous pouvons admettre même que les sensations viennent uniquement de l’influence du milieu sur l’être vivant et que les sens correspondent à une réaction spéciale de la substance vivante déterminée par un état particulier du milieu objectif. Nos sens ont donc été créés par le milieu et leur diversité indique la diversité des phénomènes objectifs.

Les variations du milieu influent donc inévitablement sur l’être vivant, accélérant son rythme, le ralentissant ou le détruisant. Tout être vivant actuel est le descendant d’ancêtres dont les réactions ont été favorables à leur conservation, à côté de maintes autres réactions fatales à d’autres espèces ou individus.

La sélection est donc le résultat final de ces rythmes qui se heurtent, s’harmonisent ou se détruisent, ne laissant précisément subsister que ceux dont les successives modifications ont rendu la coexistence possible. Il ne faut pas entendre autrement l’adaptation sous peine de tomber dans un finalisme spiritualiste et mystique.

Tout être vivant lutte donc sans arrêt et, lorsqu’il ne meurt pas immédiatement, conserve les traces, les souvenirs de ses luttes ou de ses victoires. Ces souvenirs représentent les variations du milieu et les réactions particulières du survivant. Chaque variation du milieu, bonne ou mauvaise, ne se présente jamais bru-

talement mais avec une intensité et une durée variables, de telle sorte que les souvenirs antérieurs, liés les uns aux autres et mis en action par les phénomènes objectifs, déclenchent l’action compatible avec la conservation de la vie. Comme celle-ci est la résultante précisément de cette double action du milieu sur l’individu et de l’individu sur le milieu, créant une suite ininterrompue d’équilibres et de déséquilibres, nous voyons qu’il est absolument nécessaire, pour que les réactions de l’être vivant soient favorables à sa conservation, que les variations du milieu correspondent à des variations connues antérieurement ou peu différentes. Toute variation, même nouvelle, contient donc une part de connu déterminant une réaction pouvant être en équilibre ou en déséquilibre plus ou moins néfaste avec la part d’inconnu ; il peut en résulter une modification avantageuse ou nuisible, mais si toutes les variations objectives se présentaient de telle sorte qu’elles ne pussent correspondre à aucun souvenir, à aucune classification connue dans l’espace et dans le temps, la vie serait impossible par difficulté d’adaptation de l’être vivant au milieu.

Cet exposé rapide nous fait voir que nous ne sommes vivants que parce que les variations du milieu présentent une certaine constance dans l’espace et dans le temps.

C’est uniquement cette constance qui pour nous constitue la réalité. Qu’il s’agisse de la substance elle-même classée en corps simples ou de ses modifications engendrant des phénomènes physico-chimiques, nous cherchons toujours à retrouver, pour affirmer un fait, une constance, une ressemblance, un souvenir rattachant ou identifiant le fait présent au fait antérieur.

L’ordre, la régularité, la succession, la durée, la nature des phénomènes se sont imposés aux êtres vivants, les ont déterminés et façonnés de telle sorte que les survivants des réactions ancestrales portent dans leur système nerveux les seules réactions en équilibre avec ces phénomènes, ce qui constitue la connaissance du milieu. L’évolution cérébrale de l’homme s’effectuant surtout vers le développement des facultés associatives et abstractives, cette particularité psychique s’est caractérisée chez lui par des représentations symboliques de cette constance dans l’espace et dans le temps. Les lois naturelles sont donc des représentations symboliques déterminées par la constance des phénomènes objectifs s’imposant à tous les êtres vivants. Comme nous savons que nos sens correspondent à des états différents de l’objectif, nous recherchons dans chaque canton sensuel cette constance favorable à notre adaptation et notre curiosité — issue de la nécessité de projeter les représentations du passé dans le présent et d’en imaginer l’avenir pour lutter contre le soudain — nous fait étendre les divers rapports de chaque canton sensuel aux autres cantons pour trouver entre eux une relation, un lien logique satisfaisant notre désir d’explication. Celui-ci apparaît donc comme une nécessité psychique de décomposer les synthèses sensuelles fournies par nos sens pour en connaître les éléments sensuels particuliers et leur ordre de groupement et de succession, en supposant que la dernière analyse nous donnera une constance dans l’espace (représentation qualitative de la chose analysée) et dans le temps (représentation dynamique d’ordre et de mouvement). Expliquer quelque chose, c’est en somme faire connaître les différentes qualités des éléments composant cette chose (en les comparant à des éléments déjà connus) et l’ordre, l’agencement, le dynamisme particulier de ces éléments se comportant selon des mécanismes également connus. De la succession de deux faits, de l’antériorité de l’un et de la postériorité de l’autre, nous déduisons les relations de causalité et d’effet, lesquelles engendrent inévitable-,