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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/717

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LOI
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ment, par là réversibilité des faits, les concepts d’équivalence et de conservation ou de constance des éléments constituant les faits. S’il n’en était ainsi, si l’effet ne se proportionnait, ni ne se relativisait point à la cause, rien ne nous paraîtrait cohérent dans l’univers et tout y serait imprévisible et chaotique. Le concept d’équivalence s’impose donc de lui-même et nous pouvons dire que la mentalité humaine issue du fonctionnement des choses n’est qu’une résonance subjective des phénomènes objectifs. Nous n’inventons ni lois naturelles, ni raisonnement, ni logique, ni mathématique, car toutes ces choses se trouvent incluses dans les rapports des éléments entre eux et nous ne faisons que les constater et les découvrir par l’expérience et l’observation.

On peut alors se demander, s’il en est ainsi, pour quelles raisons l’explication mystique a précédé l’explication objective et même pourquoi celle-ci ne s’est pas uniquement imposée à l’entendement humain. La cause de cette interprétation erronée des faits paraît provenir de la faculté d’analyse intérieure fournie par la conscience, laquelle ne nous fait rien connaître des causes antérieures subjectives ou objectives déterminant nos vouloirs. Ceux-ci nous apparaissent alors hors du déterminisme objectif. Les conséquences de cette analyse introspective et consciente sont considérables, car l’absence de nécessité déterminante et la constatation d’actes volontaires apparemment inexplicables ont imprimé aux premières explications abstraites, dépassant le cadre immédiat de l’expérience vitale, un caractère mystique excluant les nécessités mécaniques qui apparaissent dans toute observation.

De là, ce mélange curieux, chez les peuples primitifs et chez nombre de nos contemporains, de connaissances réellement positives et pleines de bon sens concernant la plupart des actes usuels de la vie, et adaptant celle-ci aux nécessités objectives, et d’absurdité et de fétichisme concernant les modifications des choses dans l’espace et dans le temps, hors des possibilités fournies par l’expérience et la réalité observable.

C’est en se débarrassant de cet état d’esprit mystique, qui imprègne malheureusement la plupart des théories sociales, que nous pourrons connaître les conditions réelles déterminant les phénomènes individuels et sociaux.

Dans le domaine purement spéculatif les sciences établissent des représentations assez satisfaisantes du fonctionnement universel. L’analyse minutieuse des phénomènes paraît, à première vue, nous transporter hors du sensuel, dans le domaine chicanier de la métaphysique ; mais il n’y a pas de science sans observation et toute observation repose sur des sensations. Aussi loin que nous poussions nos recherches, nous finissons par trouver une limite au-delà de laquelle il n’y a plus de sensuel. Le sens qui nous sert le mieux en la circonstance est celui de la vue. L’odorat permet bien de déceler des quantités infimes et des rapports très subtils des substances entre elles, mais il se prête très mal à des mesures quantitatives.

Comme l’étude objective effectuée par la vue et le tact conduit à la conception mécanique et cinétique de l’univers, Alfred Binet trouve illogique cette déformation représentative de l’objectif, qui pourrait, dit-il, être aussi bien olfactive ou auditive. Son point de vue serait exact si l’univers pouvait en effet se comprendre et s’expliquer aussi bien et même mieux de cette façon, mais non seulement il faut voir dans l’explication mécaniste une commodité, comme le pensait Henri Poincaré, mais encore nous devons penser que cette représentation psychique n’est produite en nous par le milieu que parce qu’elle correspond à quelque chose de permanent dans tous les phénomènes, c’est-à-dire le mouvement. Si en définitive nous trouvons toujours du mouvement dans tout ce qui vient à notre contact, s’il nous paraît tou-

jours exister dans la lumière, l’électricité, la radioactivité, la chaleur, le son, le parfum, la sapidité, etc., alors que souvent quelques-unes de ces caractéristiques font défaut dans notre perception de l’objectif, il est tout naturel d’en déduire qu’il est la cause des différentes sensations que nous percevons.

Si nous constatons que des vibrations, des rotations, des ondulations, des chocs se produisant à des vitesses, des amplitudes, des fréquences, des déplacements précis, correspondent à des perceptions sensuelles précises, nous aurions tort d’aller chercher ailleurs la cause de ces sensations qui ne sont que les réactions de la matière vivante contre ces divers mouvements. Il est alors compréhensible que des mouvements différents, pris synthétiquement, soient irréductibles entre eux dans leur synthèse, ce qui est le cas pour le son et la lumière par exemple qui ne peuvent s’expliquer, ni se comprendre sensuellement, l’un par l’autre, puisque ces deux mouvements ne se produisent point à la même échelle. Les vibrations lumineuses s’effectuent à raison de 500 millions de milliards par seconde, tandis que celles du son varient entre 35 et 75.000. Vouloir les percevoir par le même sens reviendrait à peu près à vouloir regarder en même temps un grain de sable et une montagne.

Si nous ajoutons que l’étendue n’est qu’une propriété synthétique de la substance impressionnant nos sens et la divisibilité notre faculté d’analyse s’exerçant sur cette étendue, nous voyons qu’au-delà du sensuel il nous est interdit d’employer les mêmes images et les mêmes processus analytiques, car nous ignorons totalement, nous l’avons déjà vu, ce que sont les choses hors de nos sens.

Et c’est une faute d’expression que d’avoir baptisé Ether une sorte de nécessité explicative des choses extra-sensuelles. Les soi-disant contradictions de cet éther, de cette nécessité sans masse mais, paraît-il, plus rigide que l’acier, sont évidentes lorsqu’on suppose que cet inconnu, cet élément analytique a les mêmes propriétés que les corps synthétiques connus. Si, au contraire, nous admettons que ce qui est hors de nos sens a des propriétés absolument différentes, comparables à rien de connu ; si nous admettons même que le fait de nous représenter un millimètre cube d’hydrogène avec ses 36.000.000 de milliards de molécules ne correspond à rien de précis pour notre imagination sensuelle ; si nous continuons à admettre que chacune de ces molécules est encore un monde extrêmement compliqué dont chaque élément peut aussi se décomposer en systèmes également complexes, nous éviterons d’appliquer comme cause, à ce monde inconnu, les propriétés matérielles et cinétiques qui en sont au contraire les effets.

Mais notre méconnaissance de l’au-delà sensuel ne nous autorise en rien à douter de notre connaissance sensuelle. Si la nature ultime du mouvement et de la substance nous sont inconnues, nous en constatons les effets et leur déterminisme absolu. L’enchaînement des phénomènes, l’équivalence énergétique, la constance des lois naturelles nous permettent d’utiliser usuellement toutes les formes de mouvement depuis la vieille énergie mécanique et la chaleur millénaire jusqu’à la radioactivité, les ondes hertziennes, les rayons X, sans oublier l’électricité, le magnétisme, la lumière et la mystérieuse pesanteur, source peut-être de toutes les autres énergies.

Par des observations extrêmement ingénieuses, par des mesures, des calculs, des raisonnements déductifs et inductifs, des humains parviennent à trouver et découvrir le fonctionnement, les relations, l’ordre, les équivalences, les constances des mouvements de la substance constituant l’espace et le temps. De ce que cette connaissance, à notre échelle, est exacte, pouvons-nous en déduire que les explications déterministes sont de nature à satisfaire toutes les curiosités ? Nous savons déjà que