ceux qui recherchent la chose en soi ne seront pas satisfaits ; mais en dehors de ces métaphysiciens, on peut se demander si les lois naturelles sont immuables, si notre petite durée n’est pas insuffisante pour oser se représenter et comprendre à notre échelle le fonctionnement universel lui-même. A ceux qui doutent et tremblent ainsi devant ces problèmes formidables, il est bon d’opposer le spectacle réconfortant des innombrables esprits positifs cherchant à situer la position de l’homme dans la nature. Si l’on compare alors les misérables explications animistes des peuplades primitives, les sottes et dangereuses explications mystiques et religieuses des peuples soi-disant semi-civilisés, avec les magnifiques conquêtes de la méthode objective, on trouve une sorte d’abîme intellectuel entre ces deux représentations mentales de l’ordre des choses.
Avec la méthode objective tout apparaît cohérent, lié dans l’espace et dans le temps. Le transformisme situe et explique une évolution compréhensive des formes animales liées aux évolutions géologiques. Tout se tient, tout se coordonne, toutes les sciences concourent par leurs observations à la connaissance du fonctionnement universel.
La chimie, la physique, la géologie, la météorologie, l’astronomie, la paléontologie, la philogénie, l’ontogénie, la physiologie apportent leurs documents précieux et, par sa méthode déductive et inductive, l’homme remonte dans le temps, étend sa durée minuscule dans un passé prodigieusement éloigné, mesure des espaces stellaires et dans toutes ces investigations retrouve toujours les mêmes manifestations de la substance et du mouvement.
Il y a évidemment des cycles énormes dépassant la durée des êtres vivants et l’univers peut ainsi présenter des aspects tendant à fausser une compréhension trop étroite des phénomènes liés à ces cycles évolutifs. Ainsi en est-il du phénomène d’entropie, lequel consiste en une sorte de perte constante et inévitable de la tension énergétique se transformant en chaleur dans la manifestation des phénomènes. Comme la chaleur est un mouvement qui tend précisément à se diffuser, à perdre sa différence de tension, source et cause de tout phénomène, pour tendre à l’uniformité, l’on en déduit qu’il y a une évolution universelle vers l’immobilité.
Il est probable qu’il y a là une évolution dynamique en rapport avec la sénilité des systèmes stellaires faisant partie des cycles gigantesques où naissent et disparaissent des univers entiers. Notre vie n’étant peut-être compatible qu’avec cette dernière partie du cycle évolutif, où s’effectue l’entropie, on en déduit la fin et l’immobilité définitive du monde. Si, par contre, notre vie s’était manifestée au début du cycle évolutif, nous aurions probablement trouvé un accroissement progressif de l’énergie et déduit une tendance au déséquilibre et à l’instabilité perpétuelle.
Puisque rien ne se perd dans ces diverses transformations et que la quantité d’énergie reste la même, la quantité et la vitesse des mouvements doit également rester invariable et seule la direction de ces mouvements varie, rendant alors impossibles certains phénomènes jusqu’au nouveau cycle où se modifient ces directions.
Si l’humanité vieillit suffisamment dans sa voie expérimentale, accumulant observations et découvertes, elle connaîtra, peut-être, bien des enchaînements et des relations que nous ne soupçonnons point. Ces observations, ces découvertes, ces lois naturelles contrôlées, expérimentées, critiquées, transmises d’une génération à l’autre, soumises aux nécessités éliminatoires de l’utilisation pratique, constitueront le seul savoir humain, car écartant le coefficient individuel d’erreurs sensuelles ou psychiques par la participation de tous les hommes, elles permettront aux humains, dépouillés de tout mysticisme, d’adapter leur espèce aux meilleures con-
b) (de création humaine). L’examen impartial des lois créées et subies par les hommes offre quatre sujets d’études qu’il est intéressant d’approfondir avant de se prononcer pour ou contre leur utilité ou leur nocivité et, d’autre part, la connaissance de l’origine et de l’évolution de ces lois peut aider à la compréhension des formations sociales et à l’amélioration des relations entre les humains. Ces quatre sujets peuvent se formuler ainsi :
1° Pour quelle raison les hommes ont-ils stabilisé leur activité sous l’aspect de formules rigides et invariables, appelées lois, alors que la vie est si manifestement en perpétuelle évolution ?
2° Pourquoi ces lois sont-elles si différentes, si en opposition ou en contradiction d’un peuple à un autre ?
3° Comment se fait-il que certains hommes seulement, semblables aux autres et faillibles comme eux, peuvent être considérés comme seuls capables d’élaborer des principes supérieurs et d’où ces hommes faillibles tirent-ils l’infaillibilité de leurs lois ?
4° Enfin pourquoi les hommes jugés, ou se jugeant incapables de se conduire selon leur propre volonté personnelle obéissent-ils finalement à la volonté également personnelle d’un autre homme ? Ou, si l’on préfère, pourquoi des hommes ayant conçu des directives ont-ils besoin de se les faire imposer par d’autres hommes et placent-ils le motif de leur détermination dans la décision d’un autre homme plutôt qu’en eux-mêmes et pourquoi faut-il qu’ils extériorisent leurs désirs sous forme de lois intransigeantes et générales pour s’y conformer ensuite plutôt que de satisfaire leurs désirs directement et personnellement sans les objectiver ?
Avant tout examen de ces questions il paraît bien évident que les lois n’ont pas toujours existé et que des formes de vie très rapprochées de la vie animale ont précédé les groupements plus évolués. Si donc l’état primitif de ces pré-hommes ignorait la loi, celle-ci n’a pu se créer que sous l’influence des nécessités liées à l’évolution même des groupements humains et il est puéril et vain d’en nier le fait ou la nécessité, tout comme il est oiseux de s’élever contre l’utilisation du feu ou la création du vêtement. L’observation des sociétés encore primitives nous permet de saisir quelque peu la source de ces complications vitales bien que ces sociétés soient en réalité très éloignées des débuts véritables et des formes beaucoup plus simples des premiers groupements humains. Ce qui caractérise ces hommes primitifs, c’est une sorte de sens pratique, une appréciation très souvent exacte des faits tombant immédiatement sous les sens, avec une assez grande ingéniosité, jointes à un mysticisme explicatif sur l’origine, la cause ou les relations plus ou moins lointaines de ces faits.
Alors que l’esprit rationnel de l’homme évolue, cherche l’enchaînement des faits, la succession logique des phénomènes et que, par l’observation et l’expérience, il acquiert la connaissance du déterminisme· universel, l’homme primitif reste dominé par la crainte de l’inconnu et des puissances invisibles qui animent toutes choses et causent par leur volonté toutes sortes de biens ou de maux. L’intelligence humaine, beaucoup plus développée que celle des autres animaux, saisissant très facilement les rapports des choses sensuelles entre elles, ne pouvait aller au-delà du sensuel et les représentations mentales, associant entre eux des faits sans relations objectives véritables, firent dépendre quantité d’événements de causes qui leur étaient totalement étrangères. L’homme ayant conscience de ses vouloirs dota toute la nature de semblables vouloirs bienveillants ou hostiles et les rêves ou les hallucinations créant d’une part un monde fantomatique, certains phénomè-