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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/720

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LOI
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La plupart des humains sont encore mystiques et la raison purement objective, scientifique et expérimentale n’est qu’un acquis récent de l’humanité. Les hommes ne purent unifier leurs vouloirs que sur des choses communes, et ce qui leur fut le plus commun, ce furent la faim, la peur, le besoin d’explication et plus tard l’amitié.

Actuellement encore, ils s’unifient beaucoup plus sous les appels impérieux de la faim et du mysticisme que sous l’appel de la raison et le fétichisme est à peine dissimulé. Les mouvements de masse sont sentimentaux et s’effectuent en vertu de l’ancestrale morale héréditaire, source de la solidarité humaine, faisant responsable tout le clan de l’acte individuel.

Avant la loi écrite il y eut donc la loi non écrite, presque plus impérieuse et plus tyrannique que l’autre, car elle était écrite au fond de chaque conscience et ne permettait aucune dérogation. La tyrannie du tabou est d’ailleurs encore telle qu’on a vu maints primitifs l’ayant enfreint, plus ou moins volontairement, se laisser mourir de faim, terrorisés par l’ignorance, la peur et la superstition. S’il est parfois possible de tourner, plus ou moins, les lois écrites, il est presque impossible, en certaines régions, de heurter la coutume, les mœurs ou les traditions, car chaque membre social en est le gardien, l’observateur et le conservateur intransigeant et l’opinion publique est la plus incessante des tyrannies.

L’invention de l’écriture ne fit qu’attacher un caractère encore plus fétichiste à la tradition orale, déjà solidement matérialisée par tous les objets des cultes et des hiérarchies sociales, donnant un caractère mystique et sacré à toutes sortes de choses ou de matières, mortes ou vivantes, et une valeur toute conventionnelle à des attributs décoratifs et distinctifs, indiquant la supériorité ou lui suppléant largement.

Il serait sot d’affirmer que l’humanité ne pouvait évoluer autrement, mais il serait vain de soutenir que, cette évolution s’étant effectuée dans certaines conditions, elle pouvait s’accomplir autrement.

Nous pouvons maintenant répondre à nos quatre questions.

1° Si les hommes ont semblé stabiliser leur activité sous formes de lois, alors que la vie est mouvement, c’est que toute société présente la double activité d’une vie commune et de vies individuelles. La vie commune, déterminée par les nécessités collectives et les grandes lois biologiques, présente peu de variations parce qu’en fait, à travers tous les âges, les hommes furent toujours déterminés par les mêmes besoins physiques et psychiques, et que les lois naturelles peu variables dans leur ensemble ont modelé les hommes suivant un type collectif et spécifique. La lutte pour la subsistance, le déséquilibre entre les désirs conquérants et les moyens de les satisfaire créèrent toujours des méfaits identiques dans leurs résultats.

La vie est faite de conservation et de durée et il est tout naturel que l’expérience triomphante des anciens soit transmise aux jeunes générations. Mais chaque humain a son tempérament particulier ; son évolution personnelle de l’enfance à la vieillesse est beaucoup plus rapide que celle de son groupement et son activité propre peut osciller très rapidement d’une direction à une autre. De là cette impression de dynamisme, de variabilité, de vitalité opposés à la stabilité collective. Un milieu composé de gens de tous âges, de tempéraments très différents et d’activités très dissemblables ne peut présenter une continuité et une durée certaine que par une homogénéité déterminée par l’hérédité spécifique qui leur est commune, issue de l’adaptation de l’espèce aux lois naturelles.

Toute société présentera donc toujours des nécessi-

tés collectives susceptibles d’obligations ou de contrats variant selon l’importance et la durée de l’œuvre sociale envisagée ; mais, en même temps, chaque individualité conservera son activité personnelle par impossibilité d’association, ou son unicité. Si donc nous prenons tantôt l’activité individuelle, tantôt l’activité sociale, nous trouvons inévitablement une opposition entre le contrat (ou la loi) et l’évolution de la vie. Ce qui aggrave cette opposition, c’est la fixation, la cristallisation définitive de conventions momentanées, à caractère personnel et par conséquent transitoire et fortuit, se prolongeant dans le temps, hors des causes les ayant nécessitées. La vie est faite, nous l’avons vu, d’acquisition et de conservation et les sociétés ne peuvent vivre qu’en conservant une certaine continuité dans leurs directives, mais la vie est également faite d’élimination, de renouvellement et l’esprit trop conservateur, l’inertie, la passivité, la tendance au moindre effort des humains perpétuent des mœurs que nous savons néfastes, créées par l’ignorance, la peur et la bestialité !

Le caractère fétichiste des lois et leur intangibilité prolongent la torpeur intellectuelle des individus, entravent l’initiative et la responsabilité, nivellent les activités personnelles, s’opposent à toute transformation profonde et bienfaisante.

Tout contrat social devra donc éviter cet écueil malfaisant, cette cristallisation mortelle et résoudre le double problème, apparemment paradoxal, de conserver l’acquis social et de faciliter l’évolution indéfinie des individus, ce qui ne pourrait être résolu que par l’étude de ces nécessités biologiques délimitant le commun et le durable, du personnel et du fortuit.

2° La différence des lois et leurs contradictions sont évidemment les résultats des premiers efforts de l’imagination ayant contribué à l’explication mystique des choses et des difficultés vitales particulières à chaque habitat. L’imagination associant plus ou moins heureusement, comme nous le savons, des faits observés, peut varier à l’infini et il est tout à fait compréhensible que la diversité des croyances et des lois en soit résulté. L’important pour les hommes, c’était d’avoir un motif quelconque de coordination et tous les emblèmes de ralliement, indépendamment de leurs formes et de leurs couleurs, remplissent également bien cette fonction. Les croyances les plus utiles à ce but, et conséquemment les plus fidèlement transmises par la tradition, furent précisément celles dont l’impossibilité de vérification expérimentale permit les plus ineptes affirmations. Que ce soit le culte du totem, celui des ancêtres, de l’autel de la Patrie, de l’avenir du Prolétariat sinon celui de l’Humanité, les foules sentimentales auront longtemps encore, sinon toujours, besoin, pour les grandes coordinations (à défaut de sagesse et de raison) d’un emblème dépassant le cadre immédiat de leur activité, laquelle conduit, nous l’avons vu, à la divergence et à l’unicité.

Mais les étrangetés et les diversités mêmes des lois prouvent l’indifférence de leurs formes et le caractère artificiel de leur aspect exotérique. Sous ces apparences contradictoires et absurdes on retrouve toujours, chez les divers peuples, les nécessités vitales créatrices d’associations matérielles et l’explication mystique créatrice de liens psychologiques. Ici encore, si nous opposons les unes aux autres les formes presque toujours déraisonnables des lois, nous ne trouverons qu’absurdité et incohérence, inharmonie avec les conditions présentes de la vie. Plus l’individu évolue hors du mysticisme et de la bestialité primitive et plus l’écart s’agrandit entre le formalisme archaïque des lois et la raison. Celle-ci ne reconnaît que quelques règles de vie très simples, dictées par les nécessités objectives qui furent communes aux hommes pendant des millénaires et façonnèrent