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LOU
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venu loup, se faisant chien par nostalgie de la société des hommes.

Les loups vivent solitaires, dans les steppes, les fourrées des grandes forêts, les ravins. Ils se reposent le jour, et la nuit entrent en chasse ; l’hiver, ils se réunissent en bandes et, pressés par la faim, s’attaquent aux bêtes les plus robustes, aux bœufs, aux chevaux, aux moutons, et aussi, aux hommes ; mais « une fois le besoin ou le danger passé, ils se séparent et retournent en silence à leur solitude. C’est en hiver que les louves deviennent en chaleur ; plusieurs mâles suivent la même femelle et se la disputent cruellement : ils grondent, ils frémissent, ils se battent, ils se déchirent, et il arrive souvent qu’ils mettent en pièces celui d’entre eux qu’elle a préféré. Ordinairement, elle fuit longtemps, lasse tous ses aspirant, et se dérobe pendant qu’ils dorment, avec le plus alerte ou le préféré. Le loup n’aboie pas, il hurle ; il a l’ouïe très bonne, la vue perçante et l’odorat exquis ; il chasse, portant partout le nez au vent, avec plus d’avantage que le chien. Toujours en garde contre les surprises, l’expérience lui a appris à se défier des hommes, et si l’on ne prend des précautions pour lui dérober le sentiment des pièges, si la moindre odeur d’homme ou de fer vient frapper son odorat, il évite les embûches. Fort et vorace, il attaque les animaux plus gros que lui. Naturellement poltron, il ne brave le danger que lorsqu’il est pressé par la faim. Il emploie la ruse pour approcher des troupeaux, saisir des moutons, des chèvres, des vaches, des chevaux. Le loup a beaucoup de force, surtout dans les parties antérieures du corps, dans les muscles du cou et de la mâchoire. » (Buffon).

Le loup fossile existe dans le diluvium des trois continents où il vit encore aujourd’hui, avec des formes variables mais suffisamment rapprochées de celles des espèces actuelles.

Outre le loup ordinaire, les naturalistes distinguent un assez grand nombre d’autres espèces : le loup noir, le loup odorant, le loup des prairies, le loup rouge, le loup du Mexique, le loup de Java, le culpeu, le Koupara ou chien crabier, le petit Koupara, le corsac, le Karagan et le Kenlic.

Nombreux dans les forêts du centre de la France et de l’Est, les loups, destructeurs des troupeaux, furent combattus comme un véritable fléau. Sous la royauté, leur destruction était confiée à l’un des grands officiers de la couronne, qui prenait le nom de Grand-louvetier. Cette charge disparut avec la monarchie et des primes importantes furent attribuées aux chasseurs pour chaque tête de loup. Le Dictionnaire universel de Lachâtre nous donne les prix suivants : 18 francs pour une louve pleine, 15 francs pour une louve non pleine, 12 pour un loup, 6 pour un louveteau. Il est à noter que c’est là à peu à peu près le seul profit que les chasseurs retiraient de leur travail, car la chair du loup est immangeable et dégage une odeur insupportable. Seule, la peau peut être utilisée pour faire des fourrures chaudes et durables, mais grossières.

« Le loup joue un grand rôle dans la fable et les traditions des peuples. Chez les Égyptiens, il était particulièrement adoré à Lycopolis (vile du loup), ce qui n’empêchait pas d’employer la figure de cet animal dans les hiéroglyphes comme le signe du voleur. Les Grecs voyaient dans le loup Lycaon, transformé par Jupiter en bête féroce. Chez eux, cet animal était consacré à Apollon ; chez les Romains, il l’était au dieu Mars ; Romulus et Remus, fils de ce Dieu, avaient été allaités par une louve. Il y a, au musée du Capitole, un groupe dit : louve de Romulus, représentant selon la légende, une louve allaitant Romulus et Remus exposés au pied du Palatin. Ce groupe avait été placé sur le Palatin, en 296 av. J.-C.

Le loup est le personnage le plus sympathique d’une

des meilleures fables de La Fontaine, Le loup et le chien, où le grand fabuliste (voir fable), oppose l’amour de la liberté, même dans l’incertitude du lendemain, à la sécurité et l’abondance dans la servitude :

« Attaché ! dit le loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? — Pas toujours : mais qu’importe ?
— Il importe si bien que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. »
Cela dit, maître loup s’enfuit, et court encore.

Le puissant écrivain, poète et philosophe : A. de Vigny, a consacré un de ses plus beaux morceaux à La mort du loup, et l’on connaît la fermeté hautaine et l’ultime fierté de l’apostrophe qui le clôture :

« Gémir, pleurer, prier est également lâche
Accomplis jusqu’au bout ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le sort a voulu t’appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler ».

Loup, est employé métaphysiquement dans nombre de locutions familières : Il fait un froid de loup : un froid très rigoureux. Marcher à pas de loup : silencieusement, et à dessein pour surprendre. Connu comme le loup gris, ou blanc : être bien connu de tout le monde. Entre chien et loup : sur le soir, au moment du crépuscule, pendant lequel on entrevoit encore les objets sans pouvoir les distinguer. Se jeter dans la gueule du loup : s’exposer, de soi-même, à un péril évident, qu’on pouvait éviter. Enfermer le loup dans la bergerie : mettre, laisser quelqu’un dans un lieu, dans un poste où il peut faire beaucoup de mal. Signifie aussi : laisser se refermer une plaie avant qu’il en soit temps, ou faire rentrer un mal qu’il fallait faire sortir au dehors. La faim fait sortir le loup du bois : la nécessité contraint à faire bien des choses pour se procurer de quoi vivre. La lune est à l’abri des loups : dans les rangs élevés de la société on n’a rien à craindre des personnes de « basse condition ». A chair de loup, sauce de chien : il faut traiter les gens selon leur mérite. Quand le loup est pris, tous les chiens lui lardent les fesses : symbole de la lâcheté générale ; quand un homme fort, ou redouté est tombé, tous ceux qui s’aplatissaient bassement à ses genoux et encensaient sa puissance sonnent l’hallali et se précipitent sur lui comme des chiens à la curée. Les hommes indépendants frappés par le pouvoir, les victimes des erreurs judiciaires connaissent cette lapidation morale et parfois physique de la foule avilie. Le loup mourra dans sa peau : il ne faut pas s’attendre à voir les méchants s’amender. Hurler avec les loups : s’accommoder aux manières, aux mœurs, aux opinions de ceux avec lesquels on vit on avec lesquels on se trouve, quoiqu’on ne les approuve pas entièrement et faire chorus avec eux. Les loups ne se mangent pas entre eux : les méchants ne font pas de mal aux méchants cette locution trouve sa justification dans l’état social actuel, où les maîtres évitent de se dévorer les uns les autres, même lorsque d’idées opposées, ils paraissent le plus se combattre. Quand il s’agit de duper ou d’exploiter le peuple, tous les politiciens se mettent d’accord.

L’homme est un loup pour l’homme : (Homo homini lupus) pensée de Plaute (250-184 av. J.-C. ; Asinaria, II, 4, 88) reprise et illustrée par Bacon et Hobbes, et qui revient à dire que l’homme fait beaucoup de mal à son semblable. Avec l’organisation actuelle de la propriété et l’État qui en est la conséquence nécessaire, l’homme est, en effet, un loup pour l’homme. La Fraternité est un mot vain, quand les produits du travail des multitudes peuvent être appropriés par quelques-uns ; car les possédants doivent pour conserver leurs privilèges, sans cesse lutter contre la tendance révolutionnaire des