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« sport » de domination. Le public a cessé de se passionner pour un Constant le Boucher ou un Laurent le Beaucairois. Il ne trépide plus qu’aux carnages du ring, lorsque des brutes échangent ces coups d’assommoir qui tuméfient les chairs et font, en quelques rounds « palpitants » s’écrouler les corps comme des masses anéanties. Les Carpentier, les Dempsey, les Tunney, encensés d’ailleurs par les trompettes « littéraires » de la démagogie journalistique sont — selon la réussite du droit ou de l’uppercut — ses idoles du jour. Et la boxe, autrement bestial, est parée pour lui du nom d’ « art » !…

Le jiu-jitsu est un système particulier de lutte importé du Japon, qui permet le triomphe de l’adresse et de l’agilité sur la force brutale. Le lutteur s’emploie à atteindre, avec plus ou moins de violence, certaines parties du corps plus particulièrement sensibles, dans le but de mettre l’adversaire hors de combat : coups du tranchant de la main à la tête, au cou, à l’avant-bras ; coups de coude à la figure, à l’estomac ; coups de genou au bas-ventre ; pressions douloureuses de la carotide ; torsion des jambes, des avant-bras, des poignets, des doigts, etc.

Par extension : Rixe dans laquelle on se prend corps à corps.

Figuré : Combat, guerre, dispute, controverse, conflit : sa vie entière fut une lutte et il fut infatigable. La douleur me tuerait ; il y a trop de lutte en moi contre elle (Mme de Staël). La doctrine de Luther occasionna une lutte violente entre les théologiens (Besch). La lutte du bon et du mauvais principe : Ormusd et Ahriman, dans le Zend-Avesta de Zoroastre…

Faire quelque chose de bonne lutte : la faire honnêtement, franchement. Emporter quelque chose de haute lutte : Venir à bout de quelque chose par force, par autorité. La lutte amoureuse : ébats et plaisirs de l’amour.

Lutte de classes : v. classe.

Lutte universelle : Titre d’un ouvrage très intéressant, de Félix le Dantec, qui porte en exergue : « Être c’est lutter, vivre c’est vaincre », et qui établit d’une manière remarquable que la vie universelle n’est qu’une façon de traduire la lutte universelle, et vice-versa.

« C’est, en effet, dans des phénomènes qui peuvent être ramenés à des luttes, à des « corps à corps » que se rencontrent toutes les particularités auxquelles on s’est adressé pour déclarer que les corps bruts sont vivants ; pour raconter ces « corps à corps », il faut naturellement douer de personnalité tous les objets qui nous entourent. Ce n’est là, sans doute, qu’un artifice de langage, mais qu’est-ce qu’un système philosophique sinon une manière de s’exprimer ?

« L’idée de lutte est tirée de l’observation des hommes, ou, tout au moins, des animaux ; quand deux hommes ou deux animaux luttent ensemble, c’est pour conquérir un certain avantage ; la notion de lutte est inséparable de la notion d’avantage, de bénéfice, notion qui ne saurait elle-même se passer de l’idée d’individu, de personne. Si donc l’on veut étendre à tous les corps de la nature une manière de parler primitivement réservée aux animaux, il faut douer de personnalité, d’individualité, les corps bruts aussi bien que les corps vivants. »

« L’idée de lutte résultant de l’observation des animaux, c’est chez les êtres vivants que nous devons essayer d’abord d’en préciser la signification. Il faudra d’ailleurs dès le début, faire intervenir des corps bruts dans la question, car le phénomène immédiat de la lutte se passe entre l’individu et son ambiance, bien plus souvent qu’entre l’individu et un autre individu. On peut même définir la vie : « l’envahissement du milieu par

l’être vivant » ou tout au moins « la résistance de l’être vivant aux actions destructives du milieu ». C’est là une lutte au sens rigoureux du mot. »

« Surtout dans les espèces dépourvues de squelette, la vie apparaît nettement comme une lutte de tous les instants entre l’hérédité gardienne des formes ou des propriétés individuelles et les actions extérieures destructives. La conservation de la vie établit le triomphe de l’hérédité, mais ce triomphe n’est jamais complet ; l’être vivant évolue. La vie est un compromis entre la tradition conservatrice et les influences révolutionnaires ; c’est ce compromis que l’on désigne d’un mot : « l’habitude » ; vivre c’est s’habituer.

« Si l’on passe de la vie individuelle à la vie spécifique, l’évolution, la transformation de l’espèce, empêchent également de considérer comme complet le triomphe des corps vivants sur les corps bruts ; l’hérédité rigide est corrigée par la transmission des caractères acquis. Il y a toujours lutte, il y a toujours victoire, tant que la lignée n’est pas interrompue, mais cette victoire ne s’obtient qu’au prix de concessions inévitables.

« Ainsi, l’étude des êtres vivants, si elle fait naître immédiatement en nous l’idée de lutte, nous montre aussi que cette lutte n’entraîne jamais un triomphe absolu. L’évolution enlève fatalement à l’hérédité ce que celle-ci a de trop précis ; l’hérédité n’est qu’une loi approchée. »

Alors que les autres animaux, hormis des circonstances exceptionnelles, pratiquent le respect de l’espèce, la lutte, au sein de l’humanité, jette les uns contre les autres individus et peuples, parfois pour le besoin, le plus souvent par convoitise avide et passion de lucre. Au lieu de diriger hors de l’espèce, pour garantir leur existence, des efforts conjugués et intelligents, les hommes s’entredéchirent, se ravissent entre eux jusqu’aux biens vitaux, accumulent et thésaurisent sans but, poussent l’illogisme imbécile et criminel jusqu’à laisser périr de famine des provinces entières, alors que les denrées salutaires pourrissent, amoncelées, dans les docks des accapareurs.

A la « lutte pour la vie » (pour la non-disparition), naturelle et normale, qui met aux prises les espèces, est venue s’ajouter, chez les humains, (la déformant et l’exacerbant, en décuplant la violence, sournoise ou brutale) la lutte pour le privilège et la prépondérance, pour la mainmise sur les richesses et le pouvoir sur les hommes. Dans cette lutte, les anarchistes ont leur place marquée sous le signe d’une logique équité. Ils sont avec le faible contre le fort, avec le pauvre contre le riche : ils sont contre les institutions et les mœurs qui consacrent un antagonisme absurde, douloureux et tenace. Ils s’efforcent de développer dans la conscience des opprimés la notion d’un droit primordial identique et de hausser leur volonté à une attitude en accord avec ces convictions intimes. A la lutte interhumaine, ils tendent à substituer une entraide avisée, une lutte commune pour le développement et le bonheur des hommes.

Dans l’Initiation individualiste anarchiste, E. Armand, considère ainsi le problème :

« La réaction au sein du milieu ou la rupture d’équilibre en un milieu donné constitue très probablement la forme élémentaire de la vie, dans tous les cas sa manifestation incontestable. Dans un milieu donné, répétons-nous, que nous supposons idéalement uniforme, apparaît un bouillonnement, une agitation, une fermentation. C’est un signe de réaction, le symptôme d’une forme de vie autre que celle du milieu : il y a rupture d’équilibre. Or, cette vie s’affirmera dans et par la lutte qui va désormais se livrer entre l’ambiance réfractaire, apathique, et cette activité nouvelle. Ne l’oublions pas, en effet, vivre c’est combattre, c’est batailler, c’est s’af-