Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ENF
685

qui veulent que chaque enfant réalise un idéal qu’ils se sont créé sans souci des intérêts et des possibilités de l’enfant lui-même ; de l’autre, des éducateurs ennemis de toute contrainte et qui laissent l’enfant agir selon son caprice.

Ces éducateurs ont besoin de la leçon du jardinier. Lorsque cet artisan veut amener un arbre à fruit, il s’informe de son espèce, il étudie son mode de végétation, car il sait que les poiriers ne se traitent pas comme les pêchers, que parmi les poiriers certaines variétés exigent une taille ou plus courte ou plus longue et qu’enfin deux arbres d’une même variété présentent toujours des différences dont ils doivent tenir compte.

Or le jardinier ayant étudié chacun de ces arbres ne les laisse pas à l’abandon, il courbe, pince, taille, mais n’allez pas croire qu’il taille tout ce qui n’est pas bourgeon à fruit, il sait que chaque bourgeon à fruit ne devient pas tel du jour au lendemain et que tel bourgeon pourra devenir bourgeon à fruit ou bourgeon à bois selon la taille qu’il appliquera au rameau tout entier.

Ainsi font les bons éducateurs qui considèrent les enfants en leur devenir, en leurs possibilités. Pas plus que le jardinier ne se disait : ce bourgeon n’a pas de fruit, il faut le couper, ils ne se disent : cette tendance, cet intérêt ne sont pas utiles à l’homme, il faut les supprimer ; mais quels rôles peuvent-ils jouer dans l’évolution de l’enfant, de cet enfant ?

Pour faire vraiment des hommes libres aux individualités fortes il faut d’abord se rendre compte de ce qui caractérise vraiment la liberté et la volonté et il faut ensuite savoir ce que peut chaque enfant, quels germes sont en lui qu’il faut soigneusement cultiver, développer pour le rendre capable d’être libre et lui apprendre à vouloir.

Être libre, ce n’est pas faire tout ce qu’on veut mais vouloir tout ce qu’on fait et la liberté de chacun est limitée par la liberté des autres. Ceux qui ont une forte individualité ne sont pas ceux qui font tout ce qui leur passe par la tête, mais ceux qui sont capables de faire un choix raisonné parmi un certain nombre d’actions possibles et de se conformer à ce choix. Vouloir n’est pas seulement agir, c’est d’abord juger, déterminer l’action à faire en tenant compte des possibilités, des probabilités, des nécessités, etc., et c’est ensuite juger et déterminer encore à propos des moyens d’action à employer.

Par suite laisser à l’enfant — qui n’a pas encore acquis le développement intellectuel nécessaire — la liberté de faire tout ce qu’il lui plaît, rien que ce qui lui plaît et quand cela lui plaît, ce n’est pas lui donner la possibilité de vouloir et c’est sûrement lui faire acquérir l’habitude d’agir selon ses impulsions, le rendre esclave de ses tendances bonnes ou mauvaises.

L’homme esclave des mauvais penchants que lui ont légués l’hérédité et le milieu n’est pas plus notre idéal que l’homme esclave de la Société.

Il est un juste milieu entre la contrainte extérieure, l’abus de l’autorité et l’entière liberté qui apparaît clairement lorsqu’on considère l’enfant comme un être qui évolue. Pour préparer des hommes libres, des individualités fortes il faut tenir compte de la nature même des enfants. Il faut saisir toutes les occasions d’amener les enfants à agir, à se décider par eux-mêmes, à faire preuve d’initiative. Il faut par conséquent ne les guider, les servir, les commander, les dispenser d’efforts que dans la mesure où la chose est indispensable.

Les enfants doivent acquérir progressivement une capacité croissante d’efforts choisis et déterminés par eux. Parce qu’ils ne sont pas encore capables de juger

et de se déterminer en toutes choses il est nécessaire que les adultes, dans leur intérêt, jugent parfois à leur place mais il doivent leur permettre de faire preuve d’initiative toutes les fois que la chose est possible.

Il est souhaitable que les enfants aient conscience que les ordres reçus ne résultent pas du caprice des parents ou des maîtres, qu’ils en comprennent les raisons et qu’enfin il leur soit laissé la plus large initiative dans le choix des moyens.

Les ordres bien définis, auxquels les enfants doivent obéir immédiatement devront être aussi rares que possible et il est désirable que les enfants comprennent qu’ils résultent d’une réelle nécessité ; par suite il faut éviter les ordres capricieux, irréguliers et contradictoires.

Les jeunes enfants, lorsqu’ils sentent qu’on les aime et qu’on les commande dans leur intérêt sont rarement désobéissants. L’enfant qui se sent incapable de bien juger obéit aisément, ce n’est que l’adolescent plus apte à reconnaître, à discuter et à raisonner qui obéit avec peine lorsqu’on n’accompagne pas l’ordre des raisons de l’exécuter.

La plupart des désobéissances des jeunes enfants proviennent des maladresses des parents qui n’ont pas su agir de telle façon que les enfants sentent qu’on les commande dans leur propre intérêt.

A vrai dire certains parents sont des tyrans égoïstes mais ce ne sont pas les seuls qui ne savent pas user de leur autorité.

Certains parents multiplient les ordres et interviennent à tout propos dans la vie de l’enfant, ne lui laissant nulle occasion d’agir de sa propre initiative ; d’autres substituent sans cesse des contre-ordres aux ordres donnés, soit que les contre-ordres du papa s’appliquent aux ordres de la maman ou vice-versa, soit qu’ils marquent la faiblesse de l’adulte en présence des pleurs, cris ou révolte de l’enfant.

Il ne suffit pas que les éducateurs permettent aux enfants de juger, de raisonner, de choisir, de se déterminer et d’agir d’après leur propre initiative toutes les fois que leur développement intellectuel et affectif le leur permet. Les éducateurs doivent encore s’ingénier à fournir aux enfants des occasions de développement. Ils doivent organiser un milieu éducatif dans lequel l’enfant pourra agir et où ses qualités individuelles et sociales pourront se développer.

Chaque enfant a des tendances, des intérêts qui pour le bon éducateur sont des points de départ ; il s’agit pour l’adulte de voir où ils peuvent mener l’enfant et de placer sur le chemin de ce dernier de multiples occasions d’agir, et par conséquent d’apprendre à juger, à se déterminer, à vouloir, conformément à ces intérêts. Il est évident que ces occasions que l’éducateur offre ainsi à l’enfant ne sont pas des occasions quelconques, qu’elles résultent d’une sélection faite par l’éducateur qui choisit tout ce qui peut stimuler l’épanouissement de l’individualité enfantine dans le sens convenable.

En résumé, l’adulte ne renonce pas à intervenir dans la vie de l’enfant, mais il y intervient le moins possible, toujours dans l’intérêt de ce dernier et il s’efforce de développer progressivement la capacité de vivre sans l’autorité d’une contrainte extérieure.


Les psychologues divisent l’enfance en un certain nombre de périodes mais suivant le point de vue auquel ils se sont placés leurs subdivisions varient. Enfin les divisions et les subdivisions sont approximatives en raison des variations sexuelles et individuelles.