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A l’école primaire, l’enfant coudoie des enfants du peuple comme lui-même. L’instituteur est aussi du peuple dont il forme l’élite. L’écolier ignore donc qu’Il existe d’autres écoles où les enfants riches reçoivent un enseignement différent du sien. Dans ses rêves ambitieux, l’élève studieux ne voit que les brevets primaires.

Telle qu’elle est, l’école primaire est encore supérieure au milieu familial moyen de l’enfant du peuple.

Il y apprend des éléments d’hygiène, une morale de bonté ; il est stimulé à l’étude.

Rentré dans sa famille, tout cela se trouve contredit. Ses parents contestent l’utilité de l’instruction ; ils raillent l’hygiène. L’enfant voit dans la maison ouvrière la brutalité et l’alcoolisme à tous les étages.

A treize ans, il demande lui-même à quitter l’école. Ses camarades sont entrés à l’atelier et il veut faire comme eux.

Les rudiments qu’il a acquis s’oublient très vite. A vingt ans, il ne lui reste plus de l’arithmétique que l’addition. Il est incapable de coordonner ses idées pour écrire la lettre la plus simple ; aussi, écrire une lettre constitue pour lui un effort qu’il ne fait pas volontiers. De l’histoire, il n’en faut pas parler ; des conscrits ont fait de Jeanne d’Arc la femme de Napoléon 1er. Seule la lecture demeure à peu près intacte sur les ruines de la formation primaire. On a dit avec raison qu’elle permet au prolétaire d’être trompé ; mais elle lui permet aussi de s’instruire. L’ouvrier des villes qui lit quotidiennement un journal est très supérieur au moujik russe, aux ouvriers espagnols et italiens ; il comprend l’action syndicale. Mais il est encore très ignorant et cette ignorance est le plus grand obstacle à son affranchissement.

Enseignement secondaire. — De même que l’enseignement primaire vise à former des esclaves, l’enseignement secondaire forme les futures classes dirigeantes.

Réservé à la bourgeoisie, il se donne dans les lycées et collèges de l’Etat ainsi que dans les établissements particuliers dont beaucoup sont congréganistes.

Il n’est pas gratuit. Les bourses, il est vrai, peuvent le donner gratuitement ; mais l’enseignement n’en reste pas moins bourgeois. Très rarement l’ouvrier pense à demander une bourse de lycée pour son enfant. Les boursiers sont des fils de la petite bourgeoisie : instituteurs, fonctionnaires, etc…

L’enseignement secondaire, bien que visant à la formation des maîtres, est loin d’être parfait. Il a de la peine à se défaire du préjugé des langues mortes que les élèves apprennent pendant de longues années pour arriver à ne les savoir que très mal. Les langues vivantes ne sont que commencées ; les élèves ne sauraient, avec ce qu’on leur a appris au lycée, tenir une conversation un peu élevée dans une langue étrangère.

Le lycée enseigne aux enfants, outre les langues mortes et vivantes, l’histoire et la géographie universelles, la littérature ancienne et moderne, la composition française, les mathématiques, les sciences physiques et naturelles, la philosophie, etc…

L’histoire n’est plus, comme à la primaire, une chronologie des rois et des guerres ; l’élève apprend les mœurs et les coutumes du temps passé ; l’évolution de la civilisation.

Malheureusement, l’enseignement, donné de façon mécanique, s’adresse beaucoup à la mémoire et peu à l’intelligence.

Mais on ne s’y donne pas pour but de former les jeunes esprits ; il habitue au contraire ses élèves à prendre une haute idée d’eux-mêmes.

A la distribution des prix du Concours général, les plus hauts dignitaires de la République ne dédai-

gnaient pas de venir couronner des lauriers scolaires les enfants des classes dirigeantes. Les lauréats, surtout les fils de grands bourgeois, ne croyaient pas alors trouver d’obstacles aux plus hautes visées d’avenir.

La moyenne des familles bourgeoises, cependant, tout en étant infiniment plus éclairées que les familles ouvrières, se désintéresse assez de la culture intellectuelle de leurs enfants.

Ce qui les pousse à les faire travailler, ce sont avant tout les sanctions de l’enseignement secondaire ; le baccalauréat, qui est exigé à l’entrée des écoles supérieures.

Entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur se placent les grandes écoles : École Normale Supérieure, École Polytechnique, École Centrale.

L’École Normale Supérieure prépare les professeurs de lycée et de facultés. Elle donne une culture très élevée dans les lettres et dans les sciences. Nombre d’hommes célèbres de la politique, de la science et de la littérature en sont sortis.

L’École Polytechnique forme des ingénieurs et des officiers d’artillerie ; c’est une école à demi-militaire ; les élèves ont un uniforme.

L’École Centrale, d’un niveau un peu inférieur, forme les ingénieurs qui seront employés dans l’industrie.

Les Grandes Écoles se recrutent par un concours d’entrée qui est très difficile. La préparation de ce concours exige un travail tellement intensif que l’élève en a ensuite, et pour la vie, le dégoût de l’étude.

Enseignement secondaire des Jeunes Filles. — Il se donne dans les lycées et collèges de jeunes filles. Son institution a été un progrès. Avant lui, les jeunes filles de la bourgeoisie étaient élevées dans des couvents où on les instruisait fort peu. Mais il restait très inférieur à l’enseignement des lycées de garçons. Comme pour l’enseignement primaire, son but était de comprimer bien plutôt que de développer les jeunes intelligences. On avait peur d’instruire les jeunes filles ; pensant, non sans quelque raison, que, une fois instruite, la femme voudrait s’affranchir.

L’enseignement secondaire des jeunes filles ne conduisait ni aux facultés, ni aux grandes écoles. Les facultés étaient d’ailleurs fermées aux femmes et les grandes écoles ne font que commencer à s’ouvrir pour elles.

L’étudiante entrait à l’Université avec un mauvais baccalauréat préparé à la hâte. Elle avait beaucoup de peine à se mettre au niveau des études, étant en but à l’hostilité des professeurs et à la haine des camarades.

Depuis peu de temps, l’enseignement des lycées de jeunes filles a été mis au niveau de celui des lycées de garçons. Nombre de jeunes filles de la bourgeoisie passent aujourd’hui le baccalauréat.

Enseignement supérieur. — Il est donné dans les Facultés : Droit, Médecine, Sciences, Lettres, etc…

Il prépare les élèves aux carrières dites libérales, ce qui fait que les facultés sont avant tout des écoles professionnelles.

Longtemps, le baccalauréat classique, avec latin et grec, a été exigé à l’entrée des facultés. Aujourd’hui, on est moins rigoureux. Un jeune homme ou une jeune fille sortis de l’école primaire peuvent, avec quelques années de travail patient, devenir étudiants dans une faculté.

Outre les facultés, il existe des écoles particulières comme le Conservatoire des Arts et Métiers, l’Ecole des Travaux Publics qui font des cours soit le soir, soit par correspondance. Le jeune ouvrier peut, s’il le veut, atteindre, grâce à ces établissements, à une culture intellectuelle assez élevée.