Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ENS
696

L’enseignement des facultés ayant pour but la carrière se préoccupe très peu de la culture générale des élèves. Il s’adresse beaucoup à la mémoire et très peu à l’intelligence. L’élève studieux s’abrutit dans la préparation des examens ; il n’a même pas le temps de lire autre chose que ses manuels. Le professeur d’Université dans les grandes villes ne connaît pas ses élèves. L’étudiant est presque sans direction intellectuelle.

L’enseignement est tout entier à réformer.

Le Cartel des Gauches avait mis dans son programme de 1924 L’École Unique, qui devait fondre ensemble le primaire et le secondaire et supprimer l’enseignement de classe. Mais, une fois élu, le Cartel a trouvé toutes sortes d’empêchements à l’École Unique et il est probable qu’elle servira encore longtemps de tremplin électoral.

L’enseignement, dans la société future, aura pour but la culture intellectuelle de l’individu et non le désir de gagner de l’argent. La formation de l’esprit humain prendra toute l’importance qu’elle doit avoir.

Doctoresse Pelletier.

ENSEIGNEMENT. C’est l’action, l’art, la profession de fournir des connaissances en vue d’un certain but ; ces connaissances elles-mêmes.

On le divise généralement en enseignement primaire, enseignement secondaire et enseignement supérieur ; il compte en outre des écoles spéciales ou professionnelles.

L’enseignement primaire fournit les quelques connaissances nécessaires et suffisantes pour le peuple : lecture, écriture, etc… Dans la plupart des nations civilisées, il est obligatoire (de six à treize ans en France), ce qui a tenu les gouvernements de le rendre gratuit, ou payant proportionnellement aux ressources des parents. Enfin, il est généralement laïc, c’est-à-dire neutre, concernant la religion.

La bourgeoisie complète ordinairement son instruction dans les collèges ou lycées. Cet enseignement secondaire, qui se termine par le baccalauréat, sert de transition entre l’enseignement primaire et l’enseignement supérieur. Celui-ci embrasse les hautes études : lettres, sciences, langues (vivantes et mortes), philosophie, médecine, droit et théologie. En France, il se donne dans les Universités, et chaque branche d’enseignement forme une Faculté. Certains cours sont publics. Une série d’établissements scientifiques et d’enseignement supérieur relèvent directement du ministre de l’Instruction publique ; tels le Collège de France, l’École normale supérieure, l’École polytechnique, et l’Institut de France, réunion des cinq académies : Française ; des Inscriptions et Belles-Lettres ; Sciences morales et politiques ; des Sciences ; des Beaux-arts.

Chacun tend à durer, et réclame un enseignement correspondant à ses besoins. Le dévot demande à l’enseignement des exemples de piété pour édifier et fortifier l’âme ; l’artiste, les connaissances techniques indispensables pour s’adonner à l’art. L’homme du monde s’intéresse à ce qui fait briller, le « sauvage » à ce qui lui procure l’indépendance. Chacun abonde dans son sens. Suivant son intérêt ou ses opinions, il favorise plus ou moins la culture de la sensibilité, de l’intelligence ou de la volonté. De là, la tendance de toute institution à avoir un enseignement particulier, et les luttes dont l’enseignement a été et sera le théâtre. Ce fait explique aussi pourquoi chaque gouvernement n’est susceptible que d’un certain degré de rationalisme dans son enseignement, degré proportionnel à son libéralisme, et qu’il ne dépasse pas, sous peine de suicide, même quand la science et l’expérience ont démontré la nécessité d’une réforme.

L’enseignement officiel est donc foncièrement conser-

vateur ; quant à l’enseignement privé — qualifié de « libre » — il n’est guère donné que par des sectes religieuses franchement réactionnaires. On comprend pourquoi l’enseignement est, d’une part, encombré d’un fatras inutile et désuet, et d’autre part, muet ou mensonger sur des chapitres de la plus grande actualité : on préfère la fortune à la révolution ! Il y a quelques années, en Hollande, j’eus l’occasion de causer tour à tour avec plusieurs soupirants au baccalauréat. Au sujet du socialisme, tous, de l’air supérieur de celui qui sait, me dirent à peu près la même chose : « Heu ! si chacun recevait un jour vingt florins comme sa part de la fortune générale, l’inégalité serait rétablie dès le lendemain, les uns ayant dépensé leur avoir, les autres ayant fait profiter le leur… » L’année suivante, un jeune bachelier français me dit la même chose ; à l’école primaire, j’ai entendu le même jugement de la part de mon instituteur ; cet « argument » avait fait sur la classe une grande impression, sur laquelle plusieurs élèves sont sans doute restés. Le socialisme mériterait pourtant qu’on l’examinât d’un peu plus près ! Quant à l’anarchisme, l’histoire fournit l’occasion d’exprimer l’opinion officielle à son sujet, grâce à l’assassinat du président Carnot : « Ce sont des criminels ne reconnaissant ni gouvernement ni patrie. » (Histoire de France, E. Lavisse.) Je serais pourtant curieux de savoir comment on en parle dans la République prolétarienne russe…

Pour le personnel récalcitrant, l’État dispose de mesures disciplinaires allant jusqu’à la révocation. On connaît le cas typique de l’illustre Michelet, dont les cours au Collège de France furent plusieurs fois suspendus et repris, suivant le flux et le reflux des événements politiques. C’est d’ailleurs le plus souvent avec fierté que l’instituteur se met au service de la conservation sociale. Sortant du peuple, il a le respect du bourgeois ; il est fier de raisonner comme lui, et affiche beaucoup de dédain pour l’ouvrier… Il montre volontiers patte blanche à ses supérieurs, à cause de l’avancement. Rappelé à ses origines ces dernières années par le malaise économique, il semble acquérir peu à peu une conception plus élevée de sa valeur : nous verrons ce que vaut cette évolution quand la pitance sera redevenue suffisante.

Puisque chacun conçoit l’enseignement au mieux de ses intérêts personnels ou de classe, il convient d’y regarder à deux fois avant que d’avoir recours à l’enseignement donné par ses ennemis. Les catholiques l’ont très bien compris, qui multiplient partout leurs écoles primaires, secondaires et supérieures, malgré toutes les garanties de neutralité données par l’État. C’est qu’un enseignement n’est jamais neutre ; on peut toujours interpréter les faits de manières diverses : il suffit de constater la division des savants, la contradiction de leurs théories et de leurs méthodes pour en être convaincu. Les anarchistes ont aussi effectué plusieurs tentatives sur ce terrain. L’École moderne, de Ferrer, la Ruche de Sébastien Faure, l’Avenir social de Madeleine Vernet, mais ces entreprises, bien que très intéressantes, ne sont qu’individuelles. Beaucoup de camarades croient avoir tout fait en arrachant l’enfant à l’influence du clergé : c’est un tort. La routine intéressée, la morale pestilentielle du christianisme gangrène presque autant l’enseignement de l’État : il faut en préserver nos enfants. (Voir à ce sujet l’étude substantielle de Stephen Mac Say : La Laïque contre l’Enfant).

Je ne pense pas qu’on puisse « faire des hommes », selon l’expression courante, mais par contre, je suis certain que la négligence des parents en empêche beaucoup de le devenir. L’homme d’avant-garde devrait réfléchir à ce fait et, avant que de s’abandonner au