MAGISTRAT, MAGISTRATURE. n. m. et f. (latin magistratus, de magister, maître). Ce terme de magistrature eut d’abord un sens étendu. Il s’appliquait, à Rome, à toute fonction revêtue d’une parcelle de l’autorité publique (potestas). Quand s’y ajoutait ‒ comme pour les consuls ‒ l’imperium (haut commandement militaire), la magistrature atteignait son degré suprême. Il y eut ensuite des magistratures ordinaires (celles des questeurs, des tribuns, des édiles, etc.). D’aucunes furent, à certains moments, électives. On vit aussi des magistratures extraordinaires (dictature, décemvirat). Les magistratures furent patriciennes (majores ou minores) ou plébéiennes, etc. Dans le droit romain, et dans un sens restreint, le terme de magistrat s’opposait à juge. Le premier avait ainsi la prérogative de la première phase de l’instance judiciaire. Il délivrait aussi la formule. Ses attributions variaient d’ailleurs avec le système de procédure…
En France, malgré l’expression conservée de « premier magistrat de la République » (le Président) ou de la commune (le maire), et d’un certain nombre d’autres de ce genre, le magistrat est surtout l’officier, le fonctionnaire revêtu d’un pouvoir judiciaire ; et la magistrature : la dignité, la fonction (et la durée de cette fonction) de magistrat, comme aussi l’ensemble des personnes attachées au fonctionnement de l’appareil judiciaire. La magistrature actuelle, dont la réorganisation date de 1810 (sous Napoléon), comporte deux branches : la magistrature assise (conseillers à la Cour de cassation, juges et présidents des Cours d’appel, juges et présidents des tribunaux civils) et la magistrature debout (le Parquet) qui comprend les procureurs généraux, les juges d’instruction, etc. La première est particulièrement honorifique et davantage soumise au choix, à la faveur, dans son recrutement et ses grades. Elle est réservée en quelque sorte à la bourgeoisie aisée et de vieilles familles nobiliaires ne dédaignent pas d’y installer leurs rejetons. L’autre, plus active, plus ouverte et d’un avancement plus rapide, est comparativement mieux rétribuée.
Certains établissent entre l’insuffisance actuelle, pour d’aucuns, des revenus de la charge et la corruption qui tend à gagner la maison de Thémis une relation de cause à effet. Cela nous paraît excessif et nous y verrions tout au plus un facteur d’aggravation. D’ailleurs, ne l’oublions pas, la rétribution relevée ne relèverait pas la fonction. Quelle que soit du reste la part du besoin dans des pénétrations qui accentuent un discrédit déjà ancien, ce corps, en apparence fermé et étranger aux secousses extérieures et regardé traditionnellement comme intègre, n’échappe ni aux petitesses de l’ambition, ni aux séductions de l’argent. La magistrature s’avère agitée, sous un vernis de distance et d’incorruptibilité, par les passions ambiantes et les remous de la politique…
Sous un autre angle, pressions du pouvoir et « persuasion » de la richesse, manœuvres toutes émanant du clan des maîtres et des favorisés du sort, viennent à point accentuer les tendances injustes et les préventions du juge que sa naissance prédispose à chercher le vice dans la pauvreté, la faute parmi les hommes déjà voués aux charges sociales. La magistrature, d’instinct ou par calcul, par une pudeur ou une prudence d’ailleurs immorale, couvre volontiers les forfaits de sa classe, tourne ses foudres vers « la lie populaire ». Particulièrement hostile ‒ par atavisme, par éducation, par toutes les attaches d’un milieu de tradition ‒ au changement et à l’innovation, elle ne peut manquer de se montrer à la fois incompréhensive et sévère à l’égard de ceux qui, souffrant, dans leurs fibres ou dans leur raison, des injustices qu’ils cou-
« Nul n’ignore, dit M. Georges Guy-Grand, qu’il y a chez les magistrats de carrière, de naissance et d’éducation bourgeoise, et héritiers des légistes de l’ancien régime, un esprit conservateur qui est en raison directe de leurs appointements, et que Tocqueville connaissait bien. Un magistrat inamovible, ou qui touche comme en Angleterre, 125.000 francs par an d’appointements, sera, certes, impartial vis-à-vis du pouvoir ; le sera-t-il vis-il-vis d’un « énergumène » qui voudrait transformer le régime économique qui lui assure une si belle situation ? »
La magistrature, comme la « justice » qu’elle départit, est conservatrice et contre-révolutionnaire par essence et par destination et les sentences inflexibles s’abattent, avec une cruauté rituelle, sur la misère pitoyable comme sur l’audace sensible et généreuse. Elle appelle impartialité le soutien du passé et le service des forts : elle opte pour le parti du Prince et pour les biens éloquents. Et elle n’a en rien cessé, n’en déplaise à M. Poincaré, d’être « doctrinaire, formaliste et réfractaire aux idées nouvelles ». Il ne faut pas se leurrer d’ailleurs. Comme le remarque M. G. Guy-Grand, « faire appel à « l’impartialité » des hauts magistrats et des hauts administrateurs, c’est toujours prendre dans quelque mesure un esprit de classe pour arbitre d’un autre esprit de classe : ne soyons pas trop surpris si de temps à autre des plébéiens résolus refusent de s’incliner devant les verdicts de personnalités ou de collectivités étrangères à leur genre de vie, qui, par tradition et par position, sont nécessairement conservatrices, et dont les arrêts ne peuvent signifier qu’une transaction passagère entre les forces qui continueront de s’opposer jusqu’à ce qu’elles arrivent ‒ si elles y arrivent jamais ‒ à la fusion définitive… N’y a-t-il que de la « démagogie » dans les récriminations qui flétrissent les « services » d’une magistrature de classe ? »
Il suffit de voir les poursuites engagées ‒ au mépris même d’une légalité pourtant favorable au régime ‒ contre les contempteurs de « l’ordre » établi, les opinions, jusqu’aux tendances (exactes ou prêtées) mises en cause en dehors même d’un commencement d’exécution, les sympathies déjà regardées comme un délit. Il suffit d’observer ces multiples procès de l’après-guerre, intentés, à tout propos et hors de toute garantie, aux anarchistes et aux révolutionnaires, aux bolchevistes en particulier (danger prochain et pour cela terreur des tenants actuels). Il suffit du spectacle des « complots » imaginaires montés par les ministres, de connivence avec une police à tout faire, et dont les magistrats, sachant leur qualité, se servent sans vergogne contre les accusés. Il suffit de savoir comment sont faites les recherches, de relever l’unilatéralisme des enquêtes, la complaisance des instructions aux conclusions fixées d’avance, de connaître le « scrupule » qui préside à la fabrication des dossiers… Il suffit de noter l’état fait des aveux arrachés par des procédés scandaleux, l’arbitraire des détentions préventives, l’atmosphère des audiences de bataille où les débats sont conduits avec une partiale agressivité, la défense contrariée par des manœuvres qu’on ne prend même plus la peine de masquer, la lumière systématiquement étouffée, les condamnations enlevées au pas de charge et soulignées comme un triomphe. Il suffit de constater l’attitude et la stratégie des robins modernes pour être pénétré jusqu’à l’évidence qu’on se trouve en présence d’une magistrature de combat et d’une « justice » de barricade…
Que demande-t-on au magistrat ? Un bagage léger de science juridique, une licence en droit dont on sait