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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/115

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MAT
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matériels une identité de substance avec une différence de formes. Au commencement du xviie siècle, Hobbes pensait que la substance formée d’éléments infiniment petits crée par le mouvement de ses parties les diverses modifications que nos organes sensuels perçoivent comme accidents et qui sont relatifs à notre sensibilité. Il songeait que la sensation est produite par le mouvement de la substance vivante impressionnée par les mouvements objectifs. La logique déductive partait de l’expérience et de l’induction. A la même époque Spinoza composait son Éthique célèbre dans laquelle il dote la substance de tous les attributs que la raison connaît sous forme d’étendue et de pensée. Il ramène Dieu, l’Être parfait à la substance en soi, ce qui revient à le supprimer. Locke, contemporain de Spinoza, combattit les idées innées, démontra le développement progressif de l’intelligence chez l’enfant par l’acquisition sensorielle et, conséquemment, l’origine strictement sensuelle des idées. Nous ne connaissons de la substance que des attributs, perçus avec une certaine constance, dans un certain ordre et ces abstractions forment nos idées. Sa philosophie est exprimée dans : « Essai sur l’entendement humain ». Leibniz écrivit : « Nouveaux essais sur l’entendement humain » pour réfuter Locke et démontrer que les idées ne viennent point des sens. Ne pouvant expliquer les rapports de l’âme et du corps il inventa l’Harmonie préétablie, faisant jouer à chaque monade matérielle ou spirituelle (sortes de points métaphysiques doués de vertus plus ou moins chimériques) un rôle déterminé depuis le commencement des mondes, en sorte que, tout comme dans un orchestre, le matériel et le spirituel, tout en s’ignorant, s’accordent chacun de son côté avec son associé inconnu. Ce parallélisme extravagant créait un univers immuable, et enfermait en chaque monade tout le devenir possible, tout le passé écoulé, sans justifier aucunement le libre arbitre puisqu’au fond chaque monade ne pouvait que se conformer aux volontés de son créateur.

Dès le début du xviiie siècle, nous trouvons deux sceptiques bien distants l’un de l’autre. Le premier, Berkeley, voulant détruire les témoignages des sens ruinant la foi, imagina la négation du monde extérieur et la seule existence de l’esprit ne connaissant et n’affirmant que lui-même, ignorant l’existence d’autres moi. Cela n’empêcha point cet idéaliste qui doutait de tout d’admettre Dieu et de vouloir démontrer — à qui ? — que l’univers n’existait pas. Hume reprit toute l’argumentation des sceptiques et affirma qu’il n’y avait rien en dehors de la perception et que les idées de cause, de nécessité, de réalité objective n’étaient qu’une habitude. Les mathématiques ne correspondent à rien de concret ; la science objective n’est qu’une nomenclature de phénomènes et le monde extérieur le sujet inconnu de la sensation. La Mettrie par son Histoire naturelle de l’âme, son Homme-machine et son Homme-plante mérite d’être considéré comme un des précurseurs des mécanistes actuels ramenant tout au jeu de la substance universelle. Voltaire attaqua surtout le fanatisme et Diderot, plus positif, paraît avoir eu l’intuition des découvertes scientifiques modernes et conçu le grandiose transformisme. Kant voulut supprimer la métaphysique oiseuse, mais son point de vue, uniquement subjectif, prit la connaissance humaine hors de son évolution biologique et s’englua dans le rationalisme. Il admettait une raison pure, antérieure à l’expérience, ne nous faisant connaître que des phénomènes par l’intermédiaire des sens, mais non les noumènes ou choses en soi. Max Stirner attaqua la métaphysique kantienne et ramena toute chose à l’intérêt de l’individu, seule réalité tangible et indestructible. Schopenhauer, contradictoirement sceptique et idéaliste affirma : « le monde est ma représentation » et conclut que le monde n’est : « qu’un phénomène intellectuel ».

Vers la fin du xviiie siècle et le commencement du xixe siècle, Lamark créait avec son ouvrage « Philosophie Zoologique », la philosophie transformiste, tandis que Lavoisier venait de fonder la chimie moderne. La méthode objective s’élaborait lentement. Auguste Comte refit une classification de nos connaissances et rejetant tout a priori, fit de la méthode expérimentale la base unique du véritable savoir mais son Positivisme ne put éviter l’écueil métaphysique et religieux. Il rejeta le matérialisme expliquant « le supérieur par l’inférieur » et, croyant rester dans le pur domaine scientifique construisit une sociologie hiérarchique et théocratique dans laquelle le grand Être Collectif (humanité) remplaçait les vieilles divinités. Stuart Mill, partant d’un scepticisme inutile pour la compréhension des choses conclut à l’unique réalité des sensations et émit cette surprenante conception : « La matière est une possibilité permanente de sensation ; si on admet cela je crois à la matière, sinon je n’y crois pas mais j’affirme avec sécurité que cette conception de la matière comprend tout ce que tout le monde entend par ce mot ».

La philosophie évolutionniste avec Darwin, Spencer, Bain, Büchner, Hæckel, Romanès, Karl Vogt et maints autres penseurs délaissa l’explication subjective pour la recherche expérimentale, l’analyse scientifique, la déduction et l’induction appuyées sur l’observation. Avant d’examiner quelques philosophies plus récentes remarquons que jusqu’alors les efforts des penseurs, vers la compréhension du monde, peuvent se ramener à deux méthodes différentes : l’une qui paraît s’appuyer exclusivement sur les concepts subjectifs et comprend toutes les spéculations de l’esprit telles que : spiritualisme, idéalisme, rationalisme, parallélisme, dualisme, criticisme et néo-criticisme, vitalisme, etc. L’autre, beaucoup plus influencée par les faits objectifs apparaissant nettement déterminés, s’oriente davantage vers le témoignage des sens, vers les résultats de l’expérience et comprend : l’empirisme, le matérialisme, le positivisme, l’évolutionnisme, le transformisme, le monisme et la philosophie mécaniste.

Alors que la première méthode est essentiellement personnelle et garde un irréductible élément d’appréciation subjective indémontrable ; la deuxième ne peut être que scientifique, expérimentale et impersonnelle dans toutes ses hypothèses et affirmations.

Entre ces deux formes extrêmes de la connaissance d’autres systèmes se sont interposés pour essayer d’en concilier les avantages ; tels sont : le scepticisme, l’agnosticisme et plus récemment le pragmatisme, l’intuitionnisme et le pluralisme. Il semblerait que les efforts malheureux et infructueux des philosophes passés dussent servir d’exemples aux constructeurs contemporains et pussent leur éviter les erreurs de leurs prédécesseurs ; mais chaque méthode est à ce point influente et déterminante que, quelle que soit la valeur de ses adeptes, elle conduit inévitablement aux mêmes résultats. Le subjectivisme aboutit à un acte de foi : l’objectivisme à la simple constatation de ce qui est expérimentalement démontré. Le premier voulant expliquer les choses au delà du compréhensible n’explique rien, car un acte de foi n’est pas une explication. Le deuxième n’expliquant qu’un aspect de ce qui est, est accusé de ne rien expliquer du tout.

L’esprit humain est encore si primitif et si superstitieux qu’il doute des plus élémentaires certitudes mais accorde un crédit illimité aux œuvres de pure imagination. Examinons quelques philosophies subjectives.

Vers le milieu du xixe siècle, Charles Renouvier fonda le néo-criticisme, modifiant le criticisme de Kant lequel admettait le déterminisme universel du monde phénoménal. Ce néo-criticisme devint le Personnalisme qu’il est intéressant d’étudier rapidement car, réfutant le matérialisme, et bien que fortifié par les innombra-