Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MAT
1479

Limbous de l’Inde, alors que les filles restent propriété de la mère, constitue peut-être une forme de passage.

Dans les sociétés à filiation utérine, la femme jouait certainement un rôle important ; chez les peaux-rouges, elle avait la première place dans la vie domestique et disposait des provisions ; d’après Wright, malheur au mari, mauvais chasseur, qui revenait sans venaison suffisante. Mais, sauf de rares exceptions, l’influence des femmes n’était pas prépondérante dans le gouvernement de la cité. Chargées de tout le travail industriel et agricole, elles avaient un sort peu enviable dans les tribus américaines ; toutefois, elles intervenaient dans la vie politique chez les Iroquois et c’était un conseil composé de quatre femmes qui, chez les Wyandots, élisait le chef du clan. Chez les Natchez, au début du xviiie siècle, la plus proche parente du chef ou soleil, mère de l’héritier présomptif de ce dernier, s’appelait femme-chef ou femme-soleil et avait droit de vie et de mort sur les membres de la tribu. En Afrique la filiation utérine s’allie à l’omnipotence du mari qui traite sa conjointe en véritable esclave. La femme n’ayant pas la force physique suffisante pour diriger le groupe, c’est à son frère que revenait souvent l’autorité principale. Tacite remarquait que le parent le plus proche d’un enfant, chez les Germains, c’était l’oncle maternel ; Lubbeek fait la même remarque touchant les peaux-rouges : « Bien que le frère de la mère d’un individu, écrit-il, s’appelle son oncle, il a en réalité plus de pouvoir et de responsabilité que le père. Le père se trouve classé au même rang que le frère du père et la sœur de la mère ; l’autorité paternelle est exercée par le frère de la mère. En résumé, quoique les termes expriment la parenté suivant la coutume du mariage, les idées reposent sur l’organisation de la tribu. »

Au matriarcat succédera le patriarcat, fondamental dans la législation romaine ; Il n’admettait que la parenté par les mâles. De même qu’on ne peut avoir aujourd’hui qu’une nationalité, de même, à Rome, on ne devait appartenir qu’à une famille, celle du père. Le droit moderne reconnaît la parenté aussi bien dans la ligne maternelle que dans la ligne paternelle ; néanmoins, influencé par la tradition judéo-chrétienne et par les écrits des légistes romains, il favorise singulièrement le père au détriment de la mère ; c’est le premier qui donne son nom à l’enfant et qui exerce l’autorité dans la famille ; la femme, éternelle mineure, reste constamment sous la tutelle de son mari. Pourtant la filiation maternelle est facilement constatable, alors que la filiation paternelle ne saurait être démontrée scientifiquement dans l’état de nos connaissances biologiques. De plus, dans la reproduction, c’est à la femme qu’incombent les charges pénibles ; alors que l’homme se borne à jouir, la mère a les ennuis de la grossesse, les douleurs de l’accouchement ; et c’est d’elle encore, de son lait et de ses soins, que le tout jeune enfant a besoin. Aussi, révisant les idées consacrées par les codes modernes, plusieurs revendiquent présentement pour elle le privilège de donner son nom à ses enfants, et d’être chargée de leur éducation, du moins tant qu’ils demeurent privés de la raison. Une réforme de ce genre aurait l’avantage de supprimer l’abominable distinction, établie par nos lois bourgeoises, entre l’enfant issu de relations libres et celui qui est né du mariage ; entre les unions dites légitimes parce que les conjoints passent à l’église ainsi qu’à la mairie, et celles que les bien-pensants réprouvent comme contraires aux règles édictées par le pape et les parlements. De cette vue d’ensemble sur les relations familiales dans l’humanité primitive, retenons encore que les rapports sexuels entre maris et femmes ont singulièrement changé au cours de l’évolution. Et suivons avec sympathie les efforts de ceux qui veulent innover dans ce domaine particulièrement difficile et dangereux. L’insuffisance

de l’éthique actuelle éclate aux yeux des moins prévenus ; éclipsé à notre époque par les préoccupations d’ordre économique, le problème sexuel s’imposera avec une acuité particulière après l’effondrement définitif de la morale religieuse. Aucune expérience ne doit donc être dédaignée ; toute tentative intéressante mérite d’être accueillie sans prévention. Mais lorsque certaines féministes prônent le matriarcat, dans le but avoué d’assurer la prépondérance politique aux femmes, je reste sceptique. Non que je refuse aux épouses des droits égaux à ceux des maris ; seulement, nantis de l’autorité, elles prendront les défauts des tyrans masculins. ‒ L. Barbedette.

Ouvrages a consulter. ‒ Summer Maine, Les Institutions primitives. ‒ Engels, Les Origines de la Famille. ‒ Le Play, Réforme sociale. ‒ Letourneau, L’Évolution du Mariage et de la Famille. ‒ Starcke, La Famille primitive. ‒ Lubbock, Les Origines de la Civilisation ; L’Homme préhistorique. ‒ Frazer, Le Totémisme, etc.


MATURITÉ. n. f. (du latin maturitas, de maturus, mûr). La nature ne connaît pas l’immobilité ; tout change, tout varie, tout se transforme dans l’univers. Et dans le domaine de la vie et de la pensée, la maturité caractérise l’état de complet et d’harmonieux développement de l’être. Après l’enfance, l’homme passe par l’adolescence, puis arrive à l’âge mûr, époque du complet épanouissement de ses forces physiques et mentales. C’est en général à ce moment qu’il donne la mesure de sa valeur et produit des œuvres durables, s’il en doit produire. Les exercices scolaires et les travaux de jeunesse peuvent fournir tout au plus des indications. Ajoutons que les cerveaux les plus précoces sont loin d’être toujours ceux qui aboutissent aux résultats les meilleurs, de même que les premiers fruits n’ont généralement pas la saveur de ceux qui mûrissent tardivement. Or, dans l’Université, tous les avantages sont pour les esprits précoces ; concours d’entrée pour les grandes écoles, examens divers ne sont accessibles qu’aux jeunes, aux très jeunes même. Et comme la législation moderne se refuse à reconnaître le mérite de l’homme dépourvu de parchemins, il en résulte que les esprits profonds, n’obtiennent pas d’ordinaire les places auxquelles ils auraient droit et que les hauts postes sont occupés par des médiocres, dépourvus de tout pouvoir créateur et jaloux des talents supérieurs. Il est vrai qu’aux grands dignitaires de l’enseignement, l’autorité demande moins de sélectionner les meilleures intelligences que d’écarter les esprits frondeurs, jugés dangereux par l’ordre social. On conçoit que la campagne menée par La Fraternité Universitaire, pour que l’on juge les hommes à l’œuvre, d’après leurs travaux effectifs plutôt que d’après leurs diplômes scolaires, n’ait pu plaire aux gouvernements. C’est que les fils de la bourgeoisie, supérieurs non par la puissance cérébrale, mais par les droits légaux qui sanctionnent les longues années d’étude consacrées à la conquête d’un parchemin, se verraient souvent rejetés au second rang. Ils cesseraient d’avoir le monopole des postes de commandement ; ce qu’on veut éviter à tout prix.

Les races et les peuples ont, comme les individus, une enfance, une jeunesse, un âge mûr, et, disons-le, une vieillesse et une mort. Clameurs et discours patriotiques ne purent empêcher l’inévitable en Grèce et à Rome, ils n’y réussiront pas davantage à notre époque. La géologie démontre, de son côté, que les espèces animales disparaissent après un temps plus ou moins long, cédant la place à des organismes nouveaux. Notre espèce a-t-elle atteint sa maturité ? Non assurément, elle sort à peine de l’enfance. L’humanité grandie ne connaîtra plus les injustices de l’ordre économique, les