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athlétiques, etc., ceci tient pour une bonne part à l’Intérêt et à la répétition, mais il n’est pas vrai qu’on retienne aisément tout ce qui intéresse et notre magasin de souvenirs en renferme assez souvent qui ne nous intéressent que peu ou point. La complication de la mémoire apparaît surtout lorsqu’on étudie les anormaux, les surnormaux et les malades.

En 1861, Broca, à l’aide de deux autopsies, démontra que l’aphasie est liée à une lésion siégeant dans la partie supérieure du pied de la troisième circonvolution frontale du cerveau gauche. Ce serait dans cette partie du cerveau que serait localisée la mémoire des mots et par suite d’une lésion cervicale la mémoire des mots pourrait disparaître ou être affaiblie alors que la mémoire générale resterait intacte.

À la suite des travaux de Broca, d’autres savants s’efforcèrent d’établir de nouvelles localisations et différenciations ; c’est ainsi que selon Djérine il n’y aurait pas une mémoire verbale mais trois : la mémoire visuelle des caractères, la mémoire auditive des mots et la mémoire motrice d’articulation.

Mais il y eut des excès dans ces tentatives de localisation, soit par suite de l’interprétation abusive d’observations cliniques incomplètes soit parce que les lésions cérébrales observées étaient trop étendues ou sans limites précises.

Enfin les premiers observateurs ne tinrent pas assez compte de différences individuelles souvent fort importantes. Pour n’en prendre qu’un exemple, le centre de Broca se trouve d’ordinaire du côté droit chez les gauchers.

Se plaçant à un autre point de vue, des psychologues ont pensé qu’il y avait lieu de distinguer deux formes de la mémoire : la mémoire statique et la mémoire dynamique. Lorsque nous nous souvenons de la couleur ou de l’odeur d’une fleur, par exemple, il y aurait mémoire statique. Si au contraire nous avons une poésie à apprendre nous n’aurons pas à retenir des mots, que nous connaissons déjà, mais l’ordre de ces mots, notre souvenir sera réduit à une nouvelle série d’associations entre des souvenirs-états (souvenirs statiques) précédemment acquis.

Mais c’est tout à fait arbitrairement que l’on peut ainsi diviser la mémoire et opposer l’image statique et l’enchaînement dynamique ; cette distinction, comme celle des diverses étapes de la mémoire que nous allons voir plus loin, est nécessaire pour apporter plus de clarté à l’étude mais n’est pas l’image exacte de la réalité.

Le langage et les enchaînements dynamiques interviennent en effet sans cesse dans les souvenirs sensoriels qui n’existent à l’état pur que chez le tout petit enfant. Si je veux me souvenir de la couleur d’une rose, j’observerai, par exemple, que sa couleur est intermédiaire entre le jaune de l’orange et le jaune du citron ; j’intellectualiserai ainsi mon souvenir et ferai appel à des enchaînements dynamiques. Ceci a une grosse importance au point de vue de l’utilisation de la mémoire, les procédés mnémotechniques employés ont pour but de remplacer la mémoire des sensations par la mémoire des idées.

On oppose aussi parfois mémoire sensorielle et mémoire verbale, mémoire brute et mémoire organisée. Toutes ces oppositions sont également quelque peu arbitraires et, bien qu’il n’y ait pas équivalence absolue entre les termes, on peut dire, d’une part : mémoire statique, sensorielle ou brute, et d’autre part : mémoire dynamique, verbale ou organisée. Mais, comme nous l’avons déjà dit, la forme statique, sensorielle ou brute de la mémoire n’existe, à l’état pur, que chez le tout petit enfant et on peut même dire que toute mémoire est associative car le rappel même des éléments purement sensoriels est le résultat d’une excitation de nature associative.

Lorsque l’on parle des formes de la mémoire il ne faut pas oublier la mémoire affective. Les souvenirs affectifs sont d’ailleurs, en partie, produits par des associations intellectuelles.

Les étapes de la mémoire ‒ Comment se servir de sa mémoire. — Si nous examinons l’évolution d’un souvenir, nous pouvons distinguer ‒ mais cette distinction est quelque peu arbitraire ‒ quelques étapes. L’évolution des souvenirs est soumise à des lois, que nous indiquerons à propos de ces étapes, dont la connaissance est utile à tous ceux qui veulent apprendre à se servir de leur mémoire.

L’acquisition. — L’acquisition peut être spontanée sans que l’individu le veuille ou même malgré sa volonté. « Elle dépend alors de l’intensité de l’excitation, de sa valeur affective, des dispositions d’esprit plus ou moins réceptives dans lesquelles le sujet se trouve, de la répétition de l’excitation. »

Souvent l’acquisition est voulue et nécessite un effort d’attention plus ou moins prolongé du sujet.

a) Les facteurs de la fixation. — L’acquisition d’un souvenir se fait d’autant mieux et d’autant plus vite qu’on y consacre un plus grand effort d’attention. Pour rendre les enfants aptes à apprendre vite et bien il faut développer leur capacité d’attention par l’éducation. L’attention est nécessaire pour acquérir des impressions vives et des notions claires. Pour se souvenir d’un fait, il faut l’avoir bien observé. C’est une erreur que d’agir envers la mémoire de l’enfant comme envers la panse d’un ruminant en voulant y accumuler des notions confuses que l’on supposerait devoir être assimilées plus tard. La mémoire de l’enfant ne peut retenir et utiliser de telles notions.

Les états affectifs, plaisir, peine, passion, augmentent la vivacité de l’impression et « l’action fixatrice de certaines émotions paraît dépasser de beaucoup celle que peut posséder l’attention la plus vive. » (Piéron).

En dehors de la volonté, le plus puissant levier de l’attention est l’intérêt qui, surtout chez les enfants, est « le facteur le plus efficace de l’acquisition rapide des souvenirs. » En un certain sens, l’art de se souvenir est donc l’art de s’intéresser à quelque chose ; de ce point de vue des études superficielles sont condamnables, on ne s’intéresse pas à ce que l’on ne comprend pas ou que l’on comprend mal, mais l’intérêt vient et s’accroit au fur et à mesure qu’on approfondit les sujets d’études.

Cette importance de l’intérêt justifie par là même la nécessité d’aller toujours du facile au difficile, les progrès rapides servent de stimulant.

Si vous avez à faire appel à la mémoire des enfants, songez avant tout à obtenir la vivacité de l’impression et la clarté de la notion à enseigner et pour ceci sachez utiliser l’intérêt extrinsèque : images des livres, récompenses, compositions, etc., mais songez qu’il ne vaut pas l’intérêt intrinsèque qu’il importe avant tout d’obtenir (voir au mot intérêt). Un autre moyen d’augmenter la vivacité de l’impression, c’est de faire appel à la multiplicité des images coexistantes. « L’expérience a appris qu’une multiplicité de sensations, à la condition bien entendu que toutes se réfèrent au même objet, favorise la mémoire. » (Binet). Plus il y aura de sens à enregistrer une impression, plus celle-ci sera vive et durable.

Ceci ne veut pas dire qu’il faut faire également appel à tous les sens. Chacun de nous a d’ordinaire un sens qui prédomine, il faut avant tout se servir de ce sens mais il ne faut pas s’en servir exclusivement. Chez la plupart des individus on peut constater une réelle supériorité de la mémoire visuelle, de là l’utilité des gravures, des graphiques, des schémas, des caractères qui diffèrent par la grandeur, la couleur, etc., des mots soulignés, etc.