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Si nous voulons bien nous souvenir d’une rose nouvelle, il nous faut observer attentivement sa couleur, son odeur, sa forme, sa grosseur, sa tenue (plus ou moins rigide), le soyeux de ses pétales, en utilisant nos yeux, notre nez, nos doigts même pour faire ainsi appel à la multiplicité des impressions. Mais nous rendrons nos souvenirs plus sûrs, plus précis encore si nous faisons appel à des associations d’images et d’idées. Si nous comparons la couleur de cette rose à la couleur d’autres roses ou même d’autres fleurs, si nous découvrons par exemple qu’elle est rouge coquelicot, etc. ; si nous observons, si nous réfléchissons également à propos de sa forme, etc., nos souvenirs gagneront en richesse. La mémoire ne peut rendre ce qu’on ne lui confie pas : si on confie à la mémoire d’un enfant des phrases incomprises, cet enfant ne peut se souvenir des idées correspondantes ; l’activité de la pensée est l’une des plus importantes conditions d’une bonne mémoire.

« Après l’attention, dit Atkinson, l’association des idées est le facteur le plus important de la mémoire. C’en est même un facteur nécessaire, à tel point qu’il ne peut y avoir, selon Piéron, d’acquisition de souvenirs isolés, d’images indépendantes, la loi de notre vie mentale étant d’être faite d’enchaînements. C’est, dit-il, avant tout par la multiplicité des liens associatifs que la mémoire humaine apparaît supérieure. Ce sont ces liens qui permettent d’évoquer les souvenirs. Mais ces liens, c’est l’intelligence qui les crée ou les découvre ; « il faut donc une pensée constamment active et qui laisse chaque fois entre les éléments de l’esprit comme les fils d’une gigantesque et précieuse toile, grâce à laquelle elle peut ensuite retrouver plus facilement la route déjà suivie. » (Ch. Julliot.)

Comment créer de tels liens associatifs ? Binet nous donne à ce sujet de précieux conseils ; « En premier lieu, on cherchera, toutes les fois qu’on veut acquérir un souvenir important, à effectuer des rapprochements entre ce qu’on apprend et ce qu’on sait déjà, afin que l’acquisition fasse corps avec le stock des connaissances… En second lieu, on cherchera à créer des associations entre le souvenir et des points de repère qui serviront à l’évoquer… En troisième lieu, ce qu’il faut éviter, ce sont les associations dangereuses, qui rapprochent ce que l’on doit tenir séparé. Une règle de pédagogie, malheureusement peu connue, servirait à éviter cette erreur ; c’est que c’est au moment de la formation d’un souvenir qu’il faut intervenir de la manière la plus active pour éviter les mauvais nœuds d’association… si vous enseignez l’orthographe, ne mettez pas en discussions l’orthographe des mots inconnus, ou ne relevez pas tout haut des erreurs commises, ou enfin ne donnez pas à vos élèves l’occasion de commettre des erreurs dans des dictées mal préparées… On évitera bien des erreurs, bien des confusions d’esprit, et bien du travail inutile, en se rappelant que la mémoire consiste à conférer d’abord à ce qu’on apprend une individualité ; c’est seulement lorsque le souvenir est bien individualisé qu’on peut risquer des comparaisons entre objets analogues ou peu différents. »

b) Le rythme dans la mémorisation. — Notre vie est soumise à des rythmes multiples : les alternatives de sommeil et de veille, la respiration, la circulation, le développement physique des individus avec ses périodes de croissance, etc. L’effort d’attention nécessaire, dans presque tous les cas, à la mémorisation ne saurait échapper à cette influence du rythme. L’état de nos forces est chose variable mais, en règle générale, nous pouvons dire que nous nous fatiguons de plus en plus pendant la veille et que nous réparons nos forces pendant le sommeil. Or, si l’individu fatigué peut encore se livrer à un travail machinal, il ne pourra que mal apprendre s’il veut se livrer à l’étude : les candidats surmenés qui préparent un examen gardent peu de

souvenirs de ce qu’ils ont appris étant en cet état. Il semblerait donc que l’étude du matin serait plus fructueuse que l’étude du soir. Mais il y a des différences individuelles, certaines personnes sont mal disposées à l’étude le matin et enfin pendant le sommeil notre inconscient travaille et il le fait le plus souvent avec les matériaux qui lui ont été fournis peu de temps auparavant, « quelques personnes ont remarqué que si on lit la leçon le soir, on la trouve sue au réveil… » (Binet). Il est donc essentiel de choisir l’heure de l’étude après avoir recherché à quel moment de la journée l’effort de mémorisation est le plus profitable pour nous.

La durée de l’effort n’est pas non plus sans importance et varie également selon les individus. Pour faire un travail quelconque nous devons d’abord nous mettre en train et cette période de mise en train est une période de rendement faible mais croissant qui précède une période de rendement maximum, suivie elle-même, lorsque le travail se prolonge et amène la fatigue, d’une période de rendement décroissant.

Il convient donc d’éviter : d’une part, une durée trop courte qui serait prise entièrement ou presque par une période de mise en train ; d’autre part, une étude trop longue amenant la fatigue, c’est-à-dire un rendement défectueux en quantité et en qualité.

Il faut, certes, faire effort et se défier des acquisitions rapides car ce qui est vite appris est vite oublié, mais il faut aussi ménager l’effort et savoir prendre des repos, « la fixation d’un souvenir comporte un processus physiologique qui évolue assez lentement dans l’intimité de la substance nerveuse ; il faut attendre, avant de faire un nouvel effort, que l’effort précédent ait donné à peu près tout son effet. De même les bons rameurs ne précipiteront pas leurs coups d’avirons, mais ne pèseront à nouveau sur la rame que lorsque l’effort précédent aura rendu ce qu’Il pouvait rendre, se réglant sur un rythme optimum » (Piéron). Binet évalue la durée d’étude optimum à un quart d’heure environ et Piéron écrit : « Le rythme optimum sera atteint pour un intervalle de dix minutes entre les efforts successifs. » Mais il est évident que ces durées sont approximatives et qu’elles dépendent des individus comme aussi de la difficulté de l’effort à accomplir. Mais que faut-il faire pendant les intervalles entre les efforts ? il est bon de se reposer ou de faire un travail machinal ; car cette phase qui suit un travail actif n’est du repos que par l’apparence ; en réalité, à ce moment là les souvenirs qu’on vient de fixer s’organisent, ils deviennent plus stables, ils entrent définitivement dans la mémoire, comme un liquide trouble qui se dépose. (Binet).

« Allons plus loin ; si, après avoir exercé sa mémoire on ne peut pas trouver le repos qui est nécessaire à l’organisation des souvenirs qu’on vient de fixer, il faut tout au moins prendre une précaution, ne pas se livrer à un travail analogue à celui qui vient de nous occuper ; quand on veut apprendre par cœur un morceau de musique, on compromettrait l’œuvre de la mémoire si aussitôt après on se mettait à lire ou à chanter d’autres airs de musique. Des expériences nombreuses de Cohn, Bourdon, Münsterberg, Bigham, mettent ces effets hors de doute, et V. Henri, qui rapporte en détail ces recherches de laboratoire, y ajoute une remarque bien intéressante. Si nous nous rappelons mieux le matin une leçon apprise la veille au soir que si nous l’avions apprise le matin et cherchions à la réciter le soir, c’est parce que dans le premier cas nous nous sommes reposés pendant l’intervalle, tandis que dans le second cas l’intervalle a été rempli par un grand nombre d’impressions, qui ont nui au travail d’organisation des souvenirs. » (Binet).

Comment faut-il répéter un texte que l’on veut apprendre par cœur ? Il y a diverses manières : d’abord