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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/152

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la lecture à haute voix et ensuite la répétition mentale, généralement les écoliers préfèrent la première manière, plus machinale, mais l’expérience prouve que la seconde manière, qui demande plus d’attention, est celle qui a le plus d’efficacité.

Deux autres manières de répéter s’opposent également : l’une fragmentaire, l’autre globale. « Quand un enfant s’exerce librement à mémoriser une poésie, il découpe le morceau en strophes, et chaque strophe en une grand nombre de petits fragments qu’il cherche à se rappeler chacun pour son compte. Or, plusieurs expérimentateurs (Miss Steffens, Larguier des Bancels, Lobsien) ont démontré que ce procédé fragmentaire est défectueux et donne de moins bons résultats que le procédé global qui consiste à lire une série de fois, mais toujours d’un bout à l’autre, le morceau à apprendre. Ce procédé global est préférable, non pas parce qu’il assure la rapidité de l’acquisition, mais parce qu’il intensifie la conservation. » (Demoor et Jonkheere).

Mais pourquoi la méthode globale serait-elle supérieure à la méthode fragmentaire ? « Nous croyons, dit Binet, que la supériorité de la méthode globale tient à beaucoup de petites causes ; mais la principale, à notre avis, c’est qu’elle utilise la mémoire des idées, tandis que par l’autre méthode, on ne fait intervenir que la mémoire sensorielle des mots. » « Les souvenirs, écrit Piéron, tendent à s’effacer les uns les autres ; si vous savez un chapitre, le fait d’apprendre le chapitre suivant vous fera oublier le précédent… D’ailleurs, entre les fractions apprises, par cette dernière méthode, il persiste des entailles, où le bloc mnémonique se coupera, tandis que, dans la méthode globale, le bloc n’aura pas de fissures aussi marquées. » « Toutefois, affirment Demoor et Jonckheere, les expériences récentes que nous avons faites avec les enfants d’école primaire font accorder au procédé fragmentaire la même valeur qu’au procédé global, lorsque, au lieu de morceler la poésie à l’infini, les enfants utilisent des fragments qui expriment une idée. »

Il nous paraît possible de concilier les méthodes fragmentaire et globale. Qu’il s’agisse d’étudier un chapitre d’un ouvrage pour en retenir la teneur analytique ou une poésie que l’on veut apprendre par cœur, nous commencerons par une lecture totale qui nous permettra de saisir l’idée générale du morceau, de résumer ce morceau en une ligne ou en quelques lignes. Cette vue d’ensemble est forcément plus ou moins confuse et notre deuxième opération, comme la suivante, aura pour but d’approfondir l’étude et de se faire une idée plus précise du texte. Pour cela nous diviserons ce texte en quelques parties, assez peu nombreuses pour éviter la confusion, que nous devrons subdiviser à leur tour. Nous noterons ces divisions et subdivisions sur un papier, en ne négligeant ni l’emploi des accolades ni celui des encres de couleur différentes pour les titres ou idées essentielles. Si la succession des diverses parties n’est pas suffisamment nette, nous nous efforcerons de la rendre plus claire en recherchant pourquoi telle ou telle partie suit une autre partie et en précède une troisième. À l’occasion, si l’établissement d’enchaînements logiques paraît trop difficile, nous pourrons user de la topologie. Cependant, avant d’user d’un procédé mnémonique, il convient de s’efforcer de s’en passer dans la mesure du possible, il convient donc d’abord de voir si les deux parties que l’on désire enchaîner l’une à l’autre forment une succession, si la deuxième est le complément ou développement de la première, si elle est déduite de celle-ci ou s’il n’y a pas opposition entre ces deux parties. Lorsque nulle liaison naturelle ne paraît possible, lorsqu’on ne peut imaginer nulle prose de liaison que l’on pourrait intercaler entre les parties, il est alors bon, comme nous venons de l’écrire, de recourir à la topologie. Cette méthode de mémorisation fut recommandée par Cicéron et est par consé-

quent fort ancienne, elle consiste à choisir des lieux familiers placés dans un ordre invariable et à y accrocher les idées.

Imaginez par exemple que vous quittiez votre maison et suiviez un chemin bien connu ; sur ce chemin se trouvent, je m’imagine, un arbre, une maison, etc., qui peuvent servir de points de repère. Accrochez donc la première partie de votre texte à l’arbre, la deuxième partie à la maison, etc., puis essayez, si cela vous paraît utile, d’accrocher les parties secondaires à des parties des choses ou objets de rappel ; aux branches, au tronc de l’arbre ; aux fenêtres, aux portes, à la cheminée, au toit, etc., de la maison. L’emploi de la topologie est justifié par la supériorité de la mémoire visuelle.

Après avoir classé et associé les différentes parties, il faut pousser l’effort d’analyse plus avant en procédant à l’étude des phrases et des mots employés.

S’efforcer d’exprimer les mêmes idées sous des formes différentes, essayer de remplacer certains mots par des synonymes et voir si cela va mieux ou plus mal et apprécier la différence de sens qui résulte de ces changements, se demander pourquoi l’auteur a employé tel terme plutôt que tel autre, pourquoi il a employé certaine répétition ou pourquoi il l’a évité sont des moyens de développer l’esprit et d’enrichir la mémoire.

Nous avons bien classé, bien associé et approfondi l’étude du sens et de la forme, il nous faut répéter : en choisissant, si cela se peut, le moment favorable ; en donnant aux efforts de mémorisation la durée optimum et en les espaçant comme il convient. Il s’agit alors de savoir si nous voulons retenir la teneur littérale du texte, apprendre par cœur, ou nous contenter de sa teneur analytique, ou même procéder à une sélection et ne nous efforcer de retenir que certaines parties que nous voulons associer à des connaissances passées pour enrichir notre savoir sur un sujet donné. S’il s’agit avant tout de retenir des idées, c’est à la répétition mentale qu’il convient surtout de faire appel. Mais si nous voulons apprendre par cœur, il nous parait préférable de répéter à voix haute en donnant l’accentuation convenable ‒ après avoir recherché les mots importants ‒ et accompagnant cette lecture de gestes, qu’il faudra soigneusement choisir lors de la première lecture, en évitant de changer ces gestes aux différentes répétitions.

Il faudra aussi s’efforcer peu à peu de se passer du livre en ayant soin de vérifier fréquemment au début si la récitation est restée conforme au texte.

L’évanouissement.

« Peut-être aucun souvenir ne se perd-il complètement comme semblerait le prouver la reviviscence dans certaines circonstances exceptionnelles d’images qui semblaient oubliées. Mais pratiquement il ne faut envisager que la conservation efficace des souvenirs. C’est-à-dire que ne peuvent être considérés comme vraiment conservés que ceux qui peuvent être rappelés sans trop de peine au moment opportun. De ce point de vue on peut dire que la capacité de conservation est très limitée… L’oubli, entendu non comme une perte de l’expérience antérieure mais comme l’incapacité de l’évoquer dans les conditions favorables, s’étend donc à de larges tranches de notre passé. Sauf peut-être dans une période précoce de la vie il peut être considéré comme une condition de la mémoire et un allègement nécessaire de notre vie mentale. » (Vermeylen). « Il y a quelque vérité dans l’opinion que la mémoire, non seulement se fatigue, mais s’oblitère. Si un souvenir ne chasse pas l’autre, on peut du moins prétendre qu’un souvenir empêche l’autre et qu’ainsi pour la substance cérébrale, chez l’individu, il y a un maximum de saturation. »

Il faut donc se défier de l’oubli et repasser fréquemment ce que l’on veut retenir. « Pour trouver facilement le souvenir que l’on possède dans le magasin de sa mé-