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moire, il faut constamment « pratiquer » ce magasin ; au lieu de le remplir indéfiniment, au risque de n’y plus rien retrouver, mieux vaut se rendre capable d’aller toujours tout droit où se trouve ce que l’on cherche ». (Piéron).

L’intensification du souvenir. L’évocation.

Je connais le nom des rosiers de mon jardin ; mais il arrive parfois que je me trouve incapable de dire comment se nomme l’un d’eux, j’ai le nom « sur le bout de la langue » mais je ne peux le prononcer, je suis incapable de l’évoquer mais je ne l’ai pas oublié, je sais que si l’on prononce ce nom parmi d’autres je le reconnaîtrai et que je le reconnaîtrai aussi en feuilletant rapidement un catalogue où se trouve ce nom. La reconnaissance est un stade inférieur de la capacité d’utilisation du souvenir, il semble que ce soit une évocation inachevée. Pour qu’un souvenir soit facilement utilisable, il faut qu’il puisse être facilement évoqué.

L’évocation peut être automatique, comme dans le cas d’un écolier qui récite par cœur grâce à de simples associations de contiguïté. Elle peut être au contraire le résultat d’une association logique et réfléchie des idées.

Or, l’évocation automatique risque de nous faire prisonniers de notre mémoire. Si l’écolier qui a appris un résumé par cœur ne peut répondre à une question qui correspond à une phrase de ce résumé sans reprendre la récitation de ce résumé par le commencement, il se trouve être un tel esclave.

Il faut se dégager d’une telle contrainte en utilisant des études nouvelles. Il n’est pas bon de tout garder de nos acquisitions passées et il convient d’assouplir ce que nous voulons garder. C’est, dit Piéron, le jeu de l’activité intellectuelle assouplissante qui nous libère de la mémoire dans la mesure même où elle la développe.

Le développement de la mémoire. — Les premières manifestations nettes de mémoire apparaissent dès le troisième mois. Entre le 3e et le 6e mois l’enfant a un sentiment précis de familiarité. Vers 8 à 9 mois, l’enfant reconnaît les personnes de son entourage, après 3 ou 4 jours d’absence. À dix-huit mois cette reconnaissance se fait après plus d’une semaine d’absence. Avant deux ans l’enfant garde des souvenirs nets d’événements datant de plusieurs semaines.

Vers trois ans l’enfant peut localiser approximativement son souvenir dans le temps et dans l’espace mais ce n’est qu’entre sept et onze ans que les souvenirs commencent à s’ordonner en séries chronologiques.

La fixation des souvenirs débute dès les premiers mois et l’aptitude à la fixation croît avec l’âge. Si l’on énonce des séries de chiffres à des enfants de différents âges ils peuvent, en moyenne, en répéter 2 à 3 ans, 3 à 4 ans, 5 à 8 ans, 6 à 10 ans, 7 entre 12 et 15 ans. De même ils peuvent répéter six syllabes à trois ans, une phrase de dix syllabes à cinq ans, une phrase de seize syllabes à six ans, une phrase de vingt-six syllabes à quinze ans.

« La reconnaissance d’êtres ou d’objets croît également avec l’âge. » « Si on demande à des enfants de retrouver, parmi d’autres qu’ils ne connaissent pas, des dessins qui leur ont été présentés un instant auparavant on constate qu’ils peuvent en retrouver 5 à 6 ans, 6 à 7 ans, 7 à 8 ans, 8 à 10 ans. » (Vermeylen).

« Enfin la conservation se prolonge de plus en plus. Alors qu’à 2 ans l’enfant garde déjà le souvenir d’événements datant de plusieurs semaines, à 4 ans on voit ce temps de conservation s’étendre à plusieurs mois ; à 5 ans des événements s’étant passés à plus d’un an de distance sont retenus. » (Vermeylen). Cependant les événements de l’enfance laissent peu de traces en la mémoire, les premiers souvenirs conservés se localisent généralement entre deux et quatre ans. Cet oubli des événements enfantins paraît tenir à la transformation mentale qui se produit chez l’enfant entre 5 et 10 ans. « Pendant cette période la manière de penser de

l’enfant passe de la forme subjective et personnelle à la forme objective. Tout ce qui n’a pas été repensé sous cette forme nouvelle et définitive ne parvient plus à se conserver et s’efface alors progressivement. » (Vermeylen).

Mémoire enfantine et mémoire adulte. — L’opinion la plus répandue est que l’enfant a une meilleure mémoire que l’adulte. Cependant les expérimentateurs qui ont mesuré la capacité mnésique des enfants et des adultes ont constaté un accroissement progressif de cette capacité au cours du développement de l’enfant.

Cependant il ne semble pas que la mémoire se développe vraiment avec l’âge, Binet pense même qu’elle est à son apogée dans l’enfance et en conclut que c’est alors qu’il faut surtout la cultiver « et profiter de sa plasticité pour y imprimer les souvenirs les plus importants, les souvenirs décisifs dont on aura le plus besoin plus tard dans la vie ».

Mais si les premiers souvenirs sont mieux fixés et persistent plus aisément chez les enfants que chez les adultes, le développement de l’attention et du jugement, la multiplication des liens associatifs permet à ces derniers de mieux se servir de leur mémoire ; aussi le nombre des souvenirs emmagasinés et le pouvoir d’évocation associative croissent avec l’âge.

Mémoire, témoignage et mensonge. — L’étude du témoignage et du mensonge se rattache étroitement à celle de la mémoire.

Nous renvoyons aux mots mensonge et témoignage pour de plus longs développements, mais nous voulons dès maintenant faire observer que la mémoire n’est pas toujours fidèle. L’imagination qui l’aide parfois à renforcer les souvenirs les combine, les amalgame et y ajoute souvent une part d’invention ce qui fait du tout une conception parfois irréelle. Ceci est d’autant plus à craindre que l’esprit critique fait d’autant plus défaut et que l’affectivité est vive.

Or les enfants sont tout à la fois des affectifs et des imaginatifs sans esprit critique. Leur suggestibilité est partant d’autant plus forte qu’ils sont plus jeunes.

Il convient donc d’une part de n’accorder qu’une valeur toute relative aux témoignages des enfants et d’autre part de ne pas considérer comme mensonge ce qui n’est pas vraiment altération volontaire de la vérité mais erreur due soit à des perceptions erronées, soit à l’imagination, soit à la suggestibilité, soit au manque de développement intellectuel, soit à l’affectivité. ‒ E. Delaunay.

MÉMOIRES n. pl. Par extension du sens du mot mémoire qui indique la faculté de se souvenir, on appelle Mémoire, avec une majuscule, un plaidoyer écrit et Mémoires, au pluriel, des récits d’événements auxquels l’auteur a été directement mêlé ou dont il a été témoin.

Parmi les Mémoires les plus célèbres pour soutenir des causes devant des juges ou devant l’opinion publique, il y a ceux composés par Voltaire pour les défenses de Sirven, de Calas, du chevalier de La Barre, et aussi ceux de Beaumarchais où l’on trouve de curieuses indications sur les mœurs judiciaires, celles des juges et des plaideurs, à la veille de la Révolution française. Proudhon a expliqué qu’en écrivant ses deux Mémoires contre la Propriété, il avait eu pour but de « refaire toute la législation en substituant de nouveaux principes aux anciens », et il a défini ainsi le « genre Mémoire » qui lui paraissait lui convenir : « Moitié science, moitié pamphlet, noble, gai, triste ou sublime, parlant à la raison, à l’imagination et au sentiment : je crois que je ferai mieux de me tenir à cette forme. La science pure est trop sèche ; les journaux trop par fragments ; les longs traités trop pédants ; c’est Beaumarchais, c’est Pascal qui sont mes maîtres. Mais quel avantage j’ai sur eux ! Je fais intervenir le monde entier dans mes écrits ; il n’est pas une question de philosophie, de mo-