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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/173

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Il faut, comme première condition, que deux corps, objets de mesure équivalents à un troisième par rapport à la propriété étudiée, soient encore équivalents, par rapport à la même propriété, vis-à-vis de tout autre corps. Cela ne se réalise pas pour certaines grandeurs complexes et mal définies. Sous le nom de dureté nous comprenons à la fois la résistance à la rayure et la résistance à la déformation. Si l’on mesure la dureté des différents corps à l’échelle de Mohs (rayures) ou à la bille de Brinell (surface de l’empreinte laissée par une bille d’acier de 10 m/m de diamètre sous 3.000 kg.), le classement n’est pas le même. La dureté, grandeur susceptible de plus et de moins, est sujette à l’appréciation et non à la mesure. Cette simple appréciation est cependant une connaissance scientifiquement indispensable à l’industrie. Au contraire, deux corps qui produisent le même effet sur une balance se comportent de même vis-à-vis d’un peson à ressort. La grandeur poids est mesurable.

Une seconde condition est encore obligatoire : l’additivité. « La juxtaposition de plusieurs corps semblables doit permettre de constituer un système équivalent, par rapport à une propriété donnée, à un autre où cette propriété est plus développée. »

Par exemple une longueur de 22 centimètres peut être constituée par l’adjonction de 22 éléments de un centimètre. La longueur est mesurable. Au contraire une température de 22° ne peut être obtenue par la réunion de 22 corps à un degré. La température n’est pas directement mesurable, au sens strict du mot. On ne peut même pas dire qu’une température est le double ou le triple d’une autre. C’est pour cela, par exemple, que la réfrigération devient de plus en plus coûteuse à mesure qu’on se rapproche du zéro absolu. B. Brunhes disait que la difficulté qu’il y aurait à descendre de 10° à 5° absolus est du même ordre que celle qu’il y aurait à obtenir à l’autre bout de l’échelle une température double (comme chiffre) de la plus haute température obtenue jusqu’ici.

Mais la température est repérable ; on peut en effet la caractériser d’une façon univoque par l’intermédiaire d’une propriété mesurable qui varie dans le même sens ; par exemple la dilatation d’une barre de métal, d’un gaz, d’une colonne de mercure.

Les grandeurs qui satisfont à la deuxième condition sont des extensivités. Celles qui se comportent comme la température sont des intensités.

Nous voyons que notre connaissance des grandeurs comporte des degrés : Appréciation, repérage, mesure. Et tous ces modes de connaissance d’une précision croissante et tous utilisables peuvent être qualifiés de scientifiques. En fait, les sciences les plus complexes, la biologie, la sociologie, la psychologie ne sont pas celles qui nous intéressent le moins et si elles ne sont guère encore accessibles à la mesure mais seulement à l’appréciation ce n’est pas une raison pour les considérer comme restant en marge de la science et pour manifester trop de scepticisme à l’égard des enseignements qu’elles nous offrent aujourd’hui. – G. Goujon.

MESURE — Les hommes se sont toujours efforcés de connaître leur milieu de vie pour s’y adapter et surtout pour l’adapter à leurs besoins.

Ils ont connu ce milieu, grâce il leurs organes des sens ; à leurs oreilles, à leurs yeux, etc. Mais ces organes ne leur ont permis d’avoir que des connaissances imparfaites et fragmentaires. « L’œil, par exemple, ne perçoit pas la dixième partie du spectre lumineux ; s’il pouvait distinguer les radiations émanées de tous les êtres vivants en raison de leur température, il les verrait clairement pendant la nuit. L’être que nous percevons est une forme fictive créée par nos sens. Si nous parvenions a le contempler tel qu’il existe réellement entouré de la vapeur d’eau qu’il exhale, du rayonnement que sa tem-

pérature engendre, ce même être nous apparaîtrait sous l’aspect d’un nuage aux changeants contours. » (Dr Gustave Le Bon.)

Même dans le domaine qui leur est accessible, nos organes des sens nous induisent souvent en erreur ; lorsque nous nous ennuyons le temps nous paraît plus long ; si, avec notre main, nous voulons comparer les poids d’une boîte de carton et d’une balle de plomb, nous risquons fort de nous tromper car les objets plus gros paraissent plus légers que les objets de même poids, mais plus petits, etc.

Il est un premier moyen de nous préserver contre les erreurs dans les rapports que nous font nos organes des sens, c’est d’éduquer ces organes. Par l’exercice nos sens se perfectionnent : « Un marin distingue la forme et la structure d’un navire sur la mer, quand le passager ne voit encore qu’un point trouble et informe. Un Arabe dans le désert distingue un chameau et peut dire à quelle distance il se trouve, alors qu’un Européen ne voit absolument rien. » (Dr E. Laurent.)

Il est d’autres moyens de nous garder contre les erreurs et d’accroître nos connaissances ; ce sont d’abord : le contrôle du rapport d’un organe des sens par le rapport d’un autre organe (ou de plusieurs) : l’œil, par exemple, en nous renseignant sur la nature d’un objet peut nous prémunir contre l’illusion de poids que nous venons de signaler ; la comparaison plus minutieuse grâce au calcul et à l’expérimentation : Jean et Pierre ont chacun un sac de billes, ils voient bien qu’ils en ont autant ou presque autant, en les comptant ils seront plus exactement renseignés ; ces mêmes bambins viennent à l’école en suivant des sentiers et des chemins différents, quel est celui qui a la plus longue distance à parcourir ? Pierre est convaincu que c’est lui, mais Jean fait observer que sur son chemin à lui il y a des arbres, des maisons, une mare, etc. qui attirent l’attention, distraient l’esprit et font paraître plus court le temps passé a parcourir ce chemin comme aussi ce chemin lui-même, enfin nos bambins, pour la même raison, décident de mesurer leur chemin, comme ils ont mesuré le contenu de leurs sacs de billes ; chacun d’eux comptera le nombre de pas qu’il doit faire pour venir à l’école. Ces deux cas suffisent pour nous montrer que la mesure est une opération imaginée par l’homme pour rendre ses comparaisons moins imprécises et moins subjectives.

Mais l’on ne passe pas tout d’un coup de l’imprécision à la précision, de la subjectivité à l’objectivité… Imaginons que les enfants, dont nous parlions tout à l’heure, réalisent leur projet et que Pierre et Jean nous disent le lendemain combien chacun d’eux a fait de pas pour venir à l’école ; si les nombres sont quelque peu rapprochant nous resterons dans le doute, car nous savons que le pas du premier est plus (ou moins) long que celui du second. Nous arriverions à un peu moins d’imprécision si un seul de ces enfants, s’efforçant de marcher d’un pas égal, comptait le nombre de pas qu’il doit faire pour parcourir chacune de ces deux distances, la mesure en ce cas serait ainsi moins subjective que dans le cas précédent. Cette mesure serait pourtant loin d’être précise, il est difficile de marcher d’un pas égal, surtout s’il se trouve un bout de chemin accidenté, pierreux ou creusé d’ornières. En définitive, les mesures naturelles – le pas, le pouce, le pied, la brassée, la poignée, la pincée etc. – suffisantes pour certaines nécessités de la vie pratique et qui, à cause de cela, sont encore utilisées journellement, n’apportent qu’une documentation tout approximative. Et leur précision devient de plus en plus insuffisante à mesure que la civilisation se développe.

Un progrès fut réalisé par l’étalonnage de ces mesures naturelles. Si, pour en revenir à notre exemple, ni Pierre, ni Jean ne peuvent marcher d’un pas exactement égal, ils peuvent convenir de couper une baguette de la