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fondu, dont la supériorité pendant la guerre de 1870 fut tellement marquée que, depuis, tout le matériel de guerre des nations est construit en acier fondu.

La presse hydraulique naquit à son tour du besoin de forger des lingots de plus en plus lourds, qui, même, dépassaient les 100 tonnes et pour lesquels les marteaux-pilons devenaient insuffisants ou leurs fondations se révélaient trop fragiles.

En 1879, un clerc de notaire anglais, Thomas-Gilchrist, allait de nouveau provoquer une révolution dans la technique métallurgique en trouvant le moyen de réduire le phosphore dans le convertisseur Bessemer par le procédé basique. Cette découverte rendit utilisable les minerais phosphoreux – tels ceux de la Lorraine – jusqu’alors impropres à la production de l’acier. Elle assura définitivement le passage de l’âge du fer à l’âge de l’acier.

Depuis cette époque jusqu’à la guerre 1914-1918, la métallurgie s’est enrichie de multiples perfectionnements qui ont accru sa production dans des proportions considérables, en même temps qu’ils en abaissaient le prix de revient. Ainsi la métallurgie a transformé des villes entières comme Essen, en Allemagne, le Creusot, en France, Birmingham, en Angleterre ; Pittsburg, aux États-Unis en vastes usines essentiellement métallurgistes.

En un siècle, quelles transformations de toutes sortes ? Car l’évolution technique en a entraîné bien d’autres, avec des conséquences sociales telles, que le contemporain du stückofer en eût été effrayé au seul énoncé.

Avant la machine à vapeur, le rayon d’action de la métallurgie n’allait que très rarement au-delà du centre où elle était établie. Les besoins étaient réduits et, à débouchés restreints production faible et technique stagnante. La machine à vapeur, en augmentant le nombre et la capacité des débouchés, élargit le marché et force la métallurgie à sortir de sa pratique routinière en cherchant des procédés de fabrication plus rapides et moins chers. La métallurgie, sous le fouet des nécessités, trouve cette nouvelle technique ; mais pour la mettre en pratique il lui faut des sommes fabuleuses bien supérieures aux ressources individuelles des Maîtres des Forges de l’époque. Allait-elle être arrêtée par un obstacle de cette nature ? Non pas ! Ce qu’un seul ne put faire, l’association le fit. Sous la forme de sociétés par actions, les entreprises se constituèrent par la réunion de capitalistes, quelquefois étrangers à l’industrie elle-même. Aussi a-t-on pu dire avec raison que l’industrie était la mère de l’un et de l’autre.

Alors, largement pourvue de capitaux, la métallurgie put abandonner les régions forestières pour s’installer sur le minerai ou la houille, avec un outillage nouveau et plus apte à la grosse production. La facilité des échanges, due au développement des chemins de fer et de la marine de gros tonnage, stimula autant qu’elle créa la production, car combien de produits n’auraient jamais vu le jour si les moyens de transports rapides et peu coûteux ne les eussent rendus utilisables. Si bien que les marchés, de régionaux devinrent nationaux. Et bientôt les cadres de la nation eux-mêmes se révélèrent trop étroits et la métallurgie réclama l’univers comme marché.

Il ne faut tout de même pas croire que cette évolution se soit accomplie sans à-coup. Bien des résistances furent à vaincre avant d’aboutir à la constitution des grandes entreprises et des puissants organismes de la métallurgie que nous connaissons aujourd’hui. Aussi nombreux se trouvèrent les rebelles à la tendance de double concentration capitaliste et industrielle, qu’il y en avait eus aux progrès techniques. Et l’on compta souvent plus de vaincus par la nécessité de se soumettre ou de disparaître, que de convaincus par les faits d’un caractère nouveau. Ce n’est donc que lentement que la métallurgie se développa dans le cadre na-

tional. Mais bientôt surgit une nouvelle difficulté. La coexistence de plusieurs grandes entreprises dans un même pays aboutissait à une concurrence effrénée dont bénéficiait le consommateur (c’est-à-dire l’industrie de transformation mécanique) et souvent la métallurgie étrangère.

C’est pour obvier à ce double inconvénient que naquirent les syndicats nationaux de production. Dans ces organismes chaque entreprise adhérente garde son autonomie intérieure mais se soumet à certaine réglementation : 1° Production maxima limitée ; 2° Zone de vente indiquée et strictement limitée ; dans cette zone l’entreprise jouit d’un monopole de fait ; 3° Prix de vente uniforme et fixé en commun. Ainsi – théoriquement – la concurrence est éliminée dans le cadre national puisque le consommateur rencontrera partout le même prix de vente, et dans sa région un seul fournisseur. Mais pratiquement le système s’avéra insuffisant en dépit des amendes qui frappaient les infractions au règlement susmentionné. Comme un retour en arrière n’eût point résolu le problème, c’est donc un pas en avant dans l’organisation que fit la métallurgie. Elle compléta le syndicat national de production par le Cartel de vente. Celui-ci s’interposa entre le producteur et l’acheteur ; il devint, nationalement, l’organe commercial de la métallurgie en même temps qu’il faisait de celle-ci une industrie nationale.

Pourvue de cette unité, la métallurgie se trouve en face de deux problèmes angoissants, dont les peuples ont payé et payeront encore de leurs souffrances et de leur sang la solution toujours temporaire.

Le premier de ces problèmes est celui de l’approvisionnement en matières premières : houille ou minerais, dont le sous-sol national est trop chichement doté par la nature. Le second est celui des débouchés, car rien ne sert de produire si l’on ne peut vendre pour amortir et faire fructifier les capitaux. Alors, identifiant les intérêts de la métallurgie, devenue industrie nationale, aux intérêts de la patrie elle-même, les Cartels, usant et abusant du pouvoir politique que leur confère leur puissance économique, exigèrent des gouvernements une politique de soutien qui, si elle leur est profitable, n’est pas sans peser lourdement sur les peuples. Pour se défendre contre la concurrence étrangère, les Cartels exigèrent d’abord l’édification d’un réseau de barrières douanières, qui leur fût accordé. Par un paradoxe ironique, à l’abri de ce réseau dont fut proclamée la nécessité pour la protection de la Nation, les Cartels vendirent leurs produits beaucoup plus cher à leurs nationaux qu’aux, étrangers, sûrs qu’ils étaient de ne pas être gênés par la production des autres pays métallurgiques. Cette opération qui consiste à vendre souvent très cher sur le marché national et à vendre souvent à perte sur les marchés internationaux porte le nom de dumping. Mais en même temps, les Cartels nationaux des pays industriels émettaient la prétention d’écouler l’excédent de leur production non absorbée par le marché national, dans les pays neufs et, par conséquent, peu industrialisés. Naturellement la conquête de ces débouchés nouveaux suscita une compétition exaspérée entre les différents Cartels nationaux. Toujours forts de leur puissance économique, à laquelle ils n’hésitèrent pas quelquefois à joindre leur capacité de corruption, ceux-ci firent entreprendre par leurs gouvernements respectifs des guerres de conquête coloniale, au nom de la toujours sainte patrie et de ses intérêts vitaux. À la vérité, il faut dire que la métallurgie ne fut pas seule à suivre cette voie : d’autres industries firent de même, et cette pratique donna naissance à ce qu’on a appelé le nationalisme économique auquel s’ajouta l’ambition d’accroître son patrimoine de pays à production complémentaire, ambition qui caractérise ce qu’on nomme ordinairement l’impérialisme. Les impérialismes et les