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adversaires des « colonies » veulent qu’elles durent indéfiniment ? Où en est l’utilité ? Pourquoi serait-ce désirable ? Toute « colonie » fonctionnant dans le milieu actuel est un organisme d’opposition, de résistance dont on peut comparer les constituants à des cellules ; un certain nombre ne sont pas appropriées au milieu, elles s’éliminent, elles disparaissent (ce sont les colons qui abandonnent la colonie après un séjour plus ou moins prolongé). Les cellules qui résistent, aptes à vivre dans le milieu spécial, s’usent plus rapidement que dans le milieu ordinaire, en raison de l’intensité de leur activité. Il ne faut pas oublier que, non seulement, les membres des colonies ont à lutter contre l’ennemi extérieur (le milieu social dont l’effroyable organisation enserre le petit noyau jusqu’à l’étouffer), mais encore, dans les conditions actuelles, contre l’ennemi intérieur : préjugés mal éteints qui renaissent de leurs cendres, lassitude inévitable, parasites avoués ou cachés, etc… Il est donc illogique de demander aux « colonies » autre chose qu’une durée limitée. une durée trop prolongée est un signe infaillible d’amollissement et de relâchement dans la propagande que toute colonie est censée rayonner : telle est du moins l’expérience acquise.

À ceux qui proclament que l’échec, toujours possible, des « colonies » nuit à la propagande socialiste, anarchiste communiste, tolstoïenne, etc…, suivant le cas – les protagonistes et les défenseurs des colonies répliquent : « Est-ce que les échecs des hommes de science les ont empêchés de recommencer des centaines de fois peut-être l’expérience destinée à les conduire à telle découverte scientifique, entrevue en théorie seulement, et à laquelle manquait la consécration de la pratique ? Est-ce que les conférences anarchistes, etc… ont amené aux idées énoncées par les propagandistes un si grand nombre d’auditeurs qu’on puisse affirmer que leur propagande par la parole ait réussi ? Est-ce que les journaux, brochures, livres d’inspiration libertaire, etc… ont produit tant d’êtres conscients qu’on ne puisse les nombrer ? Est-ce que l’agitation dans la rue a amené la révolution dans les cerveaux et les mœurs d’une telle foule de militants que le milieu anarchiste, tolstoïen, communiste ou autre s’en trouve transformé ? Faites-nous l’addition de vos échecs, puis expliquez-nous ensuite pourquoi et comment vous n’avez pas abandonné causeries, conférences, écrits de toute sorte ? Après, nous entendrons vos objections. »

D’ailleurs, on ne comprend plus ce souhait de durée indéfinie, dès qu’on considère la « colonie » pour ce qu’elle est : un moyen, non un but. Nous ignorons absolument si « la colonie » communiste, individualiste ou coopérative a quoi que ce soit de commun avec une société communiste individualiste ou coopérative qui engloberait un vaste territoire ou la planète toute entière ; c’est pour nous pure folie que de présenter « une colonie » comme un modèle, un type de société future. C’est « un exemple » du résultat que peuvent déjà atteindre, dans le milieu capitaliste et archiste actuel des humains déterminés à mener une vie relativement libre, une existence où l’on ignore le moraliste, le patron et le prélèvement des intermédiaires, la souffrance évitable et l’indifférence sociale, etc… C’est également un « moyen » éducatif (une sorte de « propagande par le fait » ), individuel et collectif. On peut être hostile aux « Milieux libres », mais il n’est personne de bonne foi qui ne reconnaisse que la vie, dans une « colonie », porte plus à la réflexion que les déclamations ordinaires et les lieux communs des réunions publiques.

Je viens de parler de résultat ? – « Les partisans des Milieux libres ou Colonies ont-ils à leur actif des résultats ? » – C’est la question que pose toujours n’importe quel adversaire des tentatives de vie en commun.

On peut répondre par l’exemple fourni par les groupes des États-Unis, sur le territoire desquels – surtout de 1830 à 1880-1900 – s’est épandu un véritable semis de colonies ou communautés, s’échelonnant de l’individualiste extrême au communisme absolu ou dictatorial en passant par toutes sortes de tons intermédiaires : coopératisme (oweniste, fouriériste, henry-georgiste) ; communisme libertaire ; collectivisme marxiste ; individualisme associationniste, etc… Tout ce que la flore non conformiste est susceptible d’engendrer a peuplé et constitué ces groupements : sectaires dissidents et hérétiques, et athées ; idéalistes et matérialistes ; puritains et partisans de libres mœurs ; intellectuels et manuels ; abstinents, tempérants, omnivores ou partisans d’une alimentation spéciale, etc…, etc…

Tous les systèmes ont été essayés. Il y a eu le régime de la propriété privée, chacun étant propriétaire de sa parcelle, la cultivant et en gardant les fruits, mais s’associant pour la grosse culture, la vente et l’achat des produits. On a cultivé, vendu, acheté en commun et on a réparti aux associés ce dont ils avaient besoin pour leur consommation, chaque ménage vivant chez soi. On a vécu ensemble dans le même bâtiment, mangé à la même table, parfois dormi dans un dortoir commun.

La répartition des produits peut avoir lieu selon l’effort de chacun, mesuré, par exemple, par son temps de travail. On peut vivre chacun sur sa parcelle, propriété individuelle dans tout le sens du mot, n’avoir affaire économiquement avec les voisins qu’en basant ses rapports sur l’échange ou la vente. Enfin, la propriété du sol peut appartenir à une association dont le siège est au dehors de la colonie, les colons ne possédant la terre qu’à titre de fermage ou de concession à long terme.

Toutes ou presque toutes ces modalités ont été pratiquées dans les « colonies » des États-Unis. Le communisme absolu cependant n’y a pas été expérimenté, je veux dire le communisme poussé jusqu’au communisme sexuel, bien qu’à Oneida, il n’ait pas été très loin de se réaliser. Pourtant, il y a eu des colonies où la liberté des mœurs a été telle qu’elles ont ameuté contre elles la population environnante et provoqué l’intervention des autorités.

Eh bien, que disent de ces établissements et de leur population ceux qui les ont visités ?

Qu’en disait William Alfred Hinds qui y avait séjourné ? Quelles « inductions » tirait-il de ses constatations, malgré les « nombreuses imperfections » des associations ou communautés existant de son temps (American Communities, pp. 425 à 428) : – que le paupérisme et le vagabondage y étaient ignorés – ainsi que les procès et autres actions judiciaires onéreuses – que toutes les possibilités de culture morale, intellectuelle et spirituelle y étaient mises à la portée de tous les membres – que riches et pauvres y étaient inconnus, tous étant à la fois prolétaires et capitalistes – que leur prospérité ne dépendait pas d’une théorie unique des relations sexuelles, les communautés monogames ayant aussi bien réussi que celles admettant le célibat, et celles préconisant le mariage plural n’ayant pas eu moins de succès que les autres. – « Une communauté idéale, concluait-il, est un foyer agrandi – une réunion de familles heureuses, intelligentes, conscientes – un ensemble de demeures, d’ateliers, de jardins vastes, spacieux – de machines destinées à épargner le travail – toutes facilités destinées à améliorer et rendre plus heureuses les conditions dans lesquelles chacun coopère au bien commun. Pareil foyer se montre supérieur au logis ordinaire en tout ce qui rend la vie bonne à vivre, comme il le surpasse par les facilités offertes à ceux qui constituent cette société de camarades. Si, malheureusement, l’esprit de dissension pénètre dans une de ces associations, l’expérience