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Ce vocable euphémique fait oublier aux citoyens d’Europe ou d’Amérique que la ruse, l’injustice et la cruauté sont à la base des entreprises coloniales et des impérialismes contemporains.

Quant aux missions scientifiques, qui tendent à faire progresser le savoir humain, nous les approuvons volontiers, à condition bien entendu qu’elles ne camouflent pas des visées nationalistes inavouées. Mais alors, sauf l’idée de voyage en terre lointaine, elles n’ont rien de commun avec les missions religieuses ou militaires ; seuls les caprices du langage ont pu les réunir sous un vocable commun. Si Marco Polo, au xiiie siècle, ne se désintéressait pas du commerce, ses voyages contribuèrent néanmoins au progrès de la navigation et de la géographie. Nous ne pouvons rappeler tous les explorateurs qui l’ont suivi, parfois simples aventuriers, parfois aussi animés des intentions les meilleures. L’histoire de ces missions se confond avec celle de la découverte du globe et du progrès scientifique. – L. Barbedette.


MOBILISABLE adj. « Qui peut être mobilisé », lit on dans les dictionnaires… C’est qu’en effet, au point de vue bourgeois, il n’y a guère plus à dire sur un tel mot, étant donné qu’un fils du peuple, ayant reçu l’éducation laïque et obligatoire (aussi bien d’ailleurs que celui qui reçut celle de l’école congréganiste) doit savoir ce qui lui reste à faire quand il plaît au gouvernement de déclarer la Mobilisation générale. S’il a été jugé bon pour le service, s’il a fait son devoir militaire, en un mot si rien n’est venu modifier ses aptitudes essentielles de mobilisable, il est possesseur d’un livret militaire sur’lequel sont indiqués les jour, heure et lieu où il doit se présenter pour être équipé, dressé, entraîné et dirigé pour servir et défendre la Patrie. Se dérober à cette obligation prend immédiatement un caractère de gravité dont la multitude des mobilisables redoute les conséquences matérielles et morales et le risque physique. Pour le jeune homme sous les drapeaux au moment de la mobilisation, c’est plus simple : il n’a qu’à se laisser conduire sans savoir où il va ; c’est absolument comme le troupeau qu’on mène à l’abattoir, mais ici le nom de la destination change : elle s’appelle le champ d’honneur.

C’est à ce champ d’honneur que le mobilisable – et cela est d’une inconscience effroyable – de lui-même, doit se rendre et être exact, surtout, au rendez-vous. Le grand souci de la plupart des mobilisables n’est-il pas toujours de savoir si la feuille du livret militaire leur donnant toutes indications est bien exacte ? Aussi, n’attendent-il pas, souvent, la visite du gendarme pour les rectifications possibles et s’en vont-ils, à leurs dépens, à la gendarmerie pour se renseigner et, bien souvent, se faire rabrouer par les aimables chiens de garde de l’Ordre, de l’Autorité et de la Propriété. Cela n’empêche nullement le mobilisable de se croire un citoyen conscient et de se prétendre même un homme libre !


MOBILISATION n. f. (rad. mobiliser). En toute logique, mobilisation ne peut signifier autre chose que l’action de remuer des choses ou des êtres. Cela peut signifier aussi les faire remuer par un ordre, un sentiment, une poussée. Le vent fait acte de mobiliser les feuilles en les chassant sur les chaussées des villes ou dans les champs, après les avoir plus ou moins violemment arrachées des arbres.

Mobilisation peut signifier encore retenir une chose ou plusieurs ; des bestiaux, des outils, des meubles et immeubles. C’est ce qui se fait en temps de guerre. Ne pas confondre avec réquisitionner (voir ce mot), bien qu’il y ait une sorte d’analogie dans l’action de mobiliser et dans celle de réquisitionner : c’est une question

de circonstances. Mais l’on se rend rapidement compte du sens différent : celui qui convient à l’un ne convient pas à l’autre de ces deux termes. La mobilisation se passe au début et la réquisition au cours de la guerre.

« En Droit : Mobilisation est l’action de déclarer dans un contrat qu’un immeuble sera considéré comme meuble et en prendra les caractères au point de vue juridique. On dit plutôt : ameublissement. »

« En Biologie et Physiologie : Mobilisation est « la transformation des réserves nutritives fixes en matières assimilables, ou directement utilisables, et leur transport au point où elles sont employées. »

« En Finances : Mobilisation est l’action de mobiliser. Ex. : Les valeurs mobilisées réalisent la mobilisation des affaires de commerce et d’industrie. » (Larousse)

Le contraire de mobilisation est immobilisation.

Au point de vue militaire, on sait bien que la mobilisation est l’opération ayant pour objet, d’après un plan établi, de faire se réunir une armée ou une fraction d’armée susceptible de se mouvoir pour se mettre en campagne.

La mobilisation consiste à fournir tout ce qu’il faut pour composer et entretenir un nombre déterminé de combattants et à rassembler ces combattants eux-mêmes en certains points de concentration pour les opposer à des armées ennemies envahissant ou ayant envahi le territoire… À moins que ce ne soit pour les lancer à l’attaque du pays adverse. En un mot, comme en trois : la mobilisation, c’est la guerre !

Certes, on s’en souvient, de cyniques politiciens, après avoir tout fait pour ne pas éviter la guerre, ont cru utile d’afficher, sur les murs du pays, ce mensonge : La Mobilisation, ce n’est pas la Guerre ! Mais, en même temps, dans chaque commune, dans chaque village, partout on apprenait officiellement par le tambour de ville, par l’affiche blanche et par le journal, la proclamation gouvernementale suivante : « La mobilisation générale est déclarée. Le premier jour de la mobilisation est pour le dimanche 2 août. Aucun homme ne devra partir avant d’avoir consulté l’affiche qui sera apposée incessamment ». Déjà, depuis plusieurs jours, les soldats permissionnaires avaient été rappelés, les officiers de réserve convoqués, la presse de toutes nuances chauffait à blanc l’opinion publique ; les manifestations patriotiques, les phrases historiques et grotesques débitées par les parlementaires infâmes se succédaient aux tribunes officielles, se répétaient, s’imprimaient. La folie, le fanatisme étaient au paroxysme partout. Ce qui avait débuté par ce mensonge : « La mobilisation, ce n’est pas la guerre », se continuait par l’affreux démenti, cruel en sa réalité : « La mobilisation, c’est la guerre ! »

Voilà donc ce qui se passa en ces inoubliables journées de 1914.

La Mobilisation s’opéra sans qu’il y ait eu de manifestations particulières ou collectives bien marquantes. Il y eut bien quelques-uns de nos camarades anarchistes qui osèrent revendiquer hautement leur droit de refuser de tuer. Il y eut bien quelques manifestations révolutionnaires contre la guerre, par des jeunes syndicalistes et par des antimilitaristes convaincus. Mais on étouffa tout sous la grandiloquence des professions de foi patriotardes et humanitaires. On faisait, disaient les uns, la guerre à la guerre en courant à la frontière. On la faisait, disaient les autres, pour donner la liberté à nos frères de tous les pays du monde… Que sais je ? Enfin, les troupeaux humains, bêlant pour la guerre du Droit, ou bêlant contre la guerre des Peuples, obéissant tous à leurs mauvais bergers, de chaque côté des frontières, opérant la Mobilisation, partirent à la boucherie.

Depuis bien des années, pourtant, une propagande incessante, acharnée faite chez tous les peuples pouvait