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donner l’impression de l’impossibilité d’une guerre européenne. Mais, en 1914, la Mobilisation presque parfaitement accomplie, nous a dessillé les yeux sur la grande illusion. Qu’étaient devenues toutes les créatures si hautement conscientes ? Dans les congrès ouvriers, dans les congrès socialistes, en toute occasion, en toutes circonstances, on avait proclamé notre haine de la guerre et fait voter des ordres du jour, selon les formules audacieuses suivantes : « L’ouvrier n’a pas de patrie ! » « À l’ordre de mobilisation, nous répondrons par la grève générale ! », avaient affirmé les syndicalistes… « À une déclaration de guerre, nous répondrons par l’insurrection », avaient proclamé les révolutionnaires. « À la Mobilisation, nous opposerons l’Immobilisation », disaient les travailleurs, en mesure d’arrêter tout trafic, dans chaque pays. S’ils avaient été capables de s’entendre et d’oser le geste salutaire, ils auraient déclenché la révolution sociale et internationale et l’auraient opposée à la guerre, puisqu’elle était déclarée. De tout cela, hélas ! rien ne fut réalisé, ni même sérieusement tenté, il faut bien le reconnaître.

La Mobilisation fut une réussite inespérée, surprenante pour les gouvernants.

Après cela, il n’y avait plus qu’à attendre les résultats d’un si joli début. Ce fut la guerre horrible, interminable, faisant des millions de victimes et laissant partout des vides immenses, reculant pour longtemps les frontières de la Raison, de la Justice sociale et de l’Humanité…

Après une telle hécatombe, il ne devrait plus y avoir, semble-t-il, de propagande à faire contre l’Idée de Patrie, contre le Militarisme, contre la Guerre ! La misère des vainqueurs et des vaincus ; le sang versé, les cadavres enfouis, les larmes désespérées, les deuils, les pertes irréparables, les milliards dépensés durant ces quatre années de meurtre collectif entre pauvres gens qui ne se connaissaient même pas ! Un tel résultat ne devrait-il dessiller à jamais tous les yeux ? Ceux qui croyaient se battre et mourir pour une idée sont morts pour le profit de bandits internationaux et, aussi, dans chaque nation, pour la vanité de quelques guerriers à galons et à décoration, pour la gloire aussi de fourbes politiciens…

C’est l’acte initial de la Mobilisation qui a mis au tombeau les millions de nos frères abusés ou peureux, que les profiteurs traitent de héros…Après tout cela, est-ce qu’une nouvelle Mobilisation devrait être possible encore parmi les peuples tant éprouvés ? – G. Yvetot

Nota. – On sait que, faussant le caractère des idées et des méthodes exposées par Jaurès dans l’Armée Nouvelle (système d’ailleurs contestable encore qu’il vise des nations à régime socialiste), le Robespierre en simili – Paul-Boncour – a tenu à attacher son nom à une conception, soi-disant nouvelle, de la mobilisation, qui n’est, au fond, qu’une consécration légale et une extension à des catégories jusque-là tenues en dehors de l’activité pro-guerrière. En vertu de la législation inaugurée sous ses auspices, seront mobilisés, « pour la défense de la patrie, tant au titre civil qu’au titre militaire, tous les individus valides, sans distinction d’âge ni de sexe ». Cette emprise des préoccupations et des exigences guerrières étendue à toute la population d’un pays (et assimilée, par habile démagogie, aux milices levées pour la défense des conquêtes socialistes) n’est, en fait, que la mise à discrétion, pour le soutien des intérêts ploutocratiques, de toutes les forces disponibles de la nation. C’est à cette abdication de principe stupéfiante, à cette précipitation des masses trompées sous la bannière du capital, aux armes prises et au travail donné pour le soutien de ses compétitions qu’aboutit la phraséologie réformiste qui se décore pompeusement de l’étiquette socialiste. Elle

conduit, non seulement à la lutte pure et simple, « à son corps défendant » pour les biens de la bourgeoisie, ses convoitises et ses provocations, mais à une défense pour ainsi dire volontaire, zélée, dévouée des richesses et des institutions d’un capitalisme dont l’idéologie socialiste prétend poursuivre la disparition. Par les soins de Paul-Boncour et autres Renaudel, les troupes disciplinées du « socialisme » viendront lier leur sort à celui d’un régime théoriquement abhorré. Elles se prêteront, avec la masse du peuple ignorant, à « cette mobilisation totale pour la guerre totale » qui sera le tombeau de leurs espérances bafouées… Stratégie singulière, au surplus, que cette mobilisation qui sera, tout à l’encontre d’une accélération rêvée, une paralysie générale et frappera au cœur la vitalité du pays. Il est vrai que les rafales scientifiques de la guerre des gaz – massive et sans avertissement – se chargeront, sur une autre échelle, de la panique et de la désorganisation.


MOBILISÉ n. m. L’homme qui, déjà sous les drapeaux, fait partie du nombre des soldats qui sont ou vont être envoyés à la frontière pour une période de présence, d’activité que déterminent les circonstances, la gravité, et la durée des hostilités. La guerre de 1914-1918 a maintenu pendant plus de quatre ans des hommes qui croyaient quitter leur foyer pour un laps de temps très court. Il en est qui, mobilisés en 1914, ont fait toute la guerre, bien qu’ils eussent depuis long temps passé l’âge de compter avec l’armée active. En revanche, il en est d’autres, et non des moins aptes, qui furent embusqués en des emplois de tout repos ou des besognes anodines, loin du front et de ses dangers. Ces mobilisés spéciaux n’étaient pas toujours les moins enthousiastes à vouloir la guerre jusqu’au bout. Mais, en général, le mobilisé, non protégé, non privilégié, non débrouillard, fut toujours – brave ou résigné – un malheureux condamné. S’il échappa, par hasard, à la mort, il peut se proclamer, parmi tant de victimes de la guerre, un heureux rescapé. Si, de plus, il a pu sortir de cet enfer sans être endommagé ni physiquement, ni moralement, il lui reste un devoir à remplir : ce n’est pas celui de se vanter et de se glorifier, mais celui de proclamer à tous et partout l’horreur de la guerre. Celui qui a vu, qui à vécu, qui a souffert de ce mal horrible qu’est la guerre n’a pas le droit de rester muet. Il doit dire ce que fut l’ignoble tuerie de quatre années voulue par de vieux routiers et des habiles de la politique et des affaires, subie par de jeunes hommes ignorants ou trompés. Blessé ou non, le revenant de la guerre doit être l’acharné militant contre la guerre. Il doit combattre les guerriers professionnels qu’il a vus à l’œuvre et qui ne sont pas restés nombreux, ceux-là, parmi les hécatombes. S’il a l’esprit critique, s’il a des facultés intellectuelles suffisantes, il se doit de vouloir apprendre et faire connaître les causes et les responsables de la guerre pour les dénoncer hautement, par toutes les manières qu’il croit les plus justes et les meilleures pour convaincre les plus obtus. Voilà quelle doit être la vraie besogne glorieuse du mobilisé, démobilisé. – G. Y.


MODE n. m. et f. Ce mot vient du latin modus, qui signifie mesure, quantité, et aussi manière, moyen, méthode.

En français, suivant les applications de ces différentes significations, on emploie mode comme substantif masculin ou féminin. Jusqu’au xvie siècle, mode ne fut que féminin. Au masculin, on disait mœuf comme terme de grammaire et de musique. Lorsque l’emploi de ce mot devint plus fréquent en s’étendant à la philosophie et à la jurisprudence pour indiquer la manière d’être d’une chose, ce qui la rend modale et fait sa