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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/257

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fit retrousser les bas de pantalon de tous les élégants du monde. Depuis, il est, toujours des gens pour qui il n’a pas cessé de pleuvoir à Londres. Une reine, même authentique, qui n’est pas des halles ou de théâtre, est femme avant d’être reine ; « la garde qui veille aux barrières du Louvre » ne la détend pas plus de la coquetterie que de la mort. Si elle a de belles épaules, de belles jambes, elle voudra les montrer. Si, au contraire, ses épaules sont maigres et ses jambes difformes, elle les cachera. Il n’en faut pas plus pour fixer les modes de tout un règne, pour que les corsages soient décolletés ou fermés et pour que les robes soient courtes ou longues. Des centaines d’exemples semblables pourraient être cités, montrant la badauderie des gens soumis aux caprices de la mode et leur assujettissement à l’ostentation vaniteuse de leurs maîtres. Que peut-on attendre des cervelles qu’occupent de pareilles futilités et des foules attirées par elles qui s’écrasent dans les grands magasins, les jours de « réclame » ?…

C’est le snobisme (dont nous reparlerons au mot paraître) qui entretient l’état d’esprit favorable à la mode. On aurait tort, de croire qu’il ne se manifeste qu’à partir d’un certain niveau social et qu’il caractérise une aristocratie ; on le rencontre dans toutes les classes et il n’a que des différences de qualité. Les riches paient plus cher, les pauvres ont les rogatons à bon marché ; il y a autant de sottise chez les premiers faisant rectifier chaque jour le pli de leur pantalon par le grand tailleur, ou allant bailler à une musique dépassant leur intelligence, que chez les seconds endossant les confections interchangeables du « décrochez-moi ça », et empuantissant leur cerveau des mélasses de la chanson à la mode. Le dandy Brummell faisait l’admiration de la Courtille comme des salons. Les Pétrone, « arbitres de l’élégance », qui ont des millions à dépenser mais ne paient pas leur blanchisseuse, changent plusieurs fois par jour de costume, de cravate, de chapeau, de chaussures et de gants. Combien d’ouvriers et d’employés à l’exemple de ces gens « chics », de ce « gratin supérieur », se croiraient déshonorés si, comme au temps de leurs grands-pères, ils devaient se transmettre d’une génération à l’autre le vieux « grimpant » familial ?

D’anciennes rondes d’enfants chantaient :
« Quand mon grand papa mourra,
J’aurai sa vieille culotte ;
Quand mon grand papa mourra,
J’aurai sa culotte de drap. »

chantaient d’anciennes rondes d’enfants, Béranger, faisant une chanson sur le vieil habit qu’il brossait depuis dix ans, serait aujourd’hui tout à fait ridicule. Combien laisseraient passer « l’heure de la révolution » si elle arrivait avant qu’ils eussent fait leur nœud de cravate ?…

Au temps de la « guerre en dentelles » il était plus honorable de se faire battre que d’aller à la bataille avec une perruque mal poudrée. On a raconté que dans la première année de la « Grande Guerre », les Anglais se laissaient surprendre dans leurs tranchées où les Allemands les trouvaient occupés à se faire la barbe. Ces choses sentaient peut-être leur « gentilhomme », leur « gentleman », elles pouvaient être très « smart », très « snob », elles n’étaient pas de circonstance. Il n’est pas non plus de circonstance, pour des prolétaires, de se laisser gagner par les puérilités de la mode. Elles peuvent avoir leur intérêt pour les oisifs qu’elles distraient, pour les cabotins qu’elles mettent en évidence, pour les mercantis dont elles font la fortune ; elles sont dangereuses pour les prolétaires en ce qu’elles les entraînent à rechercher des satisfactions dont ils sont les premières victimes. Que la mode soit à l’hygiène, nous y souscrivons ; il est nécessaire que tous les hommes apprennent à se tenir proprement et

à défendre leur santé ; mais trop souvent la mode est niaise et corruptrice, La jeunesse ouvrière doit être en garde contre ses tentations si elle veut, faite aboutir l’œuvre de transformation sociale ; elle doit savoir que la véritable élégance n’est pas dans le vêtement au dans tel ou tel jargon de bar et de dancing, mais qu’elle est dans la pensée et dans les actes. On peut être un gentilhomme sous la cotte de l’ouvrier ; on peut être un voyou dans le smoking le plus impeccable. On ne le voit que trop tous les jours.

Ce n’est pas, pourtant, que le monde ouvrier manque d’occasions de réfléchir sur la mode et sur ses méfaits qui sont ceux de l’exploitation humaine organisée. Les exemples abondent autour de lui, dans les ateliers où sévissent le sur-travail, l’insuffisance des salaires, le chômage et toutes les misères ouvrières. N’est-ce pas dans, les industries de la mode que ces misères sont les plus cruelles ? Combien de fois n’a t-on pas fait le tableau lamentable du sort des ouvrières en chambre ? Les fictions poétiques sont insuffisantes pour donner le change. Jenny l’Ouvrière est définitivement morte de phtisie, à côté de son pot de fleurs, malgré tout le chiqué romantique dont on a entouré la pâle vie de bohème. Il y avait encore Mimi Pinson et sa chanson ; on en a fait un usage si écœurant pendant la guerre qu’elles ont été emportées dans la boue patriotique des beuglants. Il reste les « midinettes », les « cousettes » et leurs sœurs les « dactylos » que le soucis de se pourvoir de poudre, de rouge et de noir pour leur maquillage, de porter le dernier chapeau et la dernière robe, prive de la nourriture substantielle nécessaire à leur santé. Les agences de prostitution, en font des « poules », des « miss », des « reines de beauté », des « star de cinéma » qui prennent plus souvent le chemin de Buenos-Aires que celui de la fortune. Une classe ouvrière ayant simplement le souci de la dignité humaine ne doit-elle pas se dresser farouchement contre une mode qui fait un tel emploi de ses filles ?

On appelle plus particulièrement modes (au pluriel) la confection des chapeaux de femmes mais ce terme englobe tout ce qui est du costume et des accessoires de l’élégance féminine. Au xviiie siècle, l’Almanach général des Marchands en donnait cette définition : « le nom qu’on donne à certaines marchandises dont les formes et l’usage sont essentiellement soumis aux décrets suprêmes, mais changeants, du caprice et du goût ». Le même Almanach énumérait les objets des « modes ». Ils comprenaient toutes les formes de costumes, de coiffures, de chaussures, jusqu’aux habits de cour et de théâtre en passant par tous les accessoires de la parure : sacs à ouvrages, nœuds d’épée, cordons de montre et de canne, bourses à cheveux et bourses à argent, guirlandes, manchons, gants, éventails, etc. De tout temps, les modes ont été composées d’attributs de ce genre pour compléter et varier l’agrément du costume. Elles sont aussi anciennes que les premiers vêtements dont se couvrirent les hommes et, s’il est exact qu’ils se vêtirent lorsqu’ils « connurent qu’ils étaient nus », comme le dit la Bible, on peut ajouter que les modes sont nées avec l’hypocrisie sexuelle. El les n’ont pas cessé d’être sous sa dépendance en multipliant sa parure, masque agréable que prend toujours le « tentateur » des premiers hommes.

Des ouvrages spéciaux ont décrit les modes à travers les âges et étudié l’histoire du costume dans toutes ses formes. Nous ne referons pas cette étude. Signalons seulement certaines modes particulièrement excentriques qui devaient être, bien souvent, singulièrement gênantes et ridicules. Après le costume grec, puis romain, qui fut, de tous, le plus simple et le plus élégant, le moyen-âge et les temps modernes se livrèrent à des complications extrêmes. On vit les robes longues et étroites du moyen-âge, puis celles en cloches du xvie