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siècle et les paniers de plus en plus larges des xviie, et xviiie. La crinoline fut une sorte de compromis entre ces excentricités et les robes étroites et courtes d’aujourd’hui. La coiffure connut les différentes transformations des postiches, depuis les cheveux blonds des Gaulois, dont les dames romaines étaient entichées, jusqu’aux « chichis » de nos jours, en passant par tous les genres de la perruque. Le xive siècle vit les modes cornues, que Michelet appelait « immondes », du hennin sur la tête des femmes, des souliers à la poulaine aux pieds des hommes.

À partir du xviie siècle, les modes prirent, en France, une importance qui devait arriver à en faire un « art national ». Les modistes de Paris, appelées alors « dorlottières », eurent une influence universelle dans le domaine du chapeau ; les modes de Paris devinrent celles de l’Europe entière. Fait curieux, au xviiie siècle, alors que le costume masculin se simplifiait à l’imitation des modes anglaises jusqu’à arriver à la tenue sévère du quaker américain, le costume féminin se compliquait à l’extrême pour atteindre à l’extravagance des robes à grands paniers et des coiffures en échafaudages, véritables monuments d’architecture qu’on appelait des « poufs ». On voyait le « pouf au sentiment » où l’on plaçait l’image de celui qui était aimé. La duchesse de Chartres faisait tenir dans ses cheveux « son nègre, son perroquet et une femme assise dans un fauteuil et portant un nourrisson, en l’honneur du duc de Valois et de sa nourrice ». La duchesse de Lauzun exhibait tout un paysage en relief : « mer agitée, chasseur tirant des canards, moulin dont la meunière se faisait courtiser par un abbé et, tout au bas de l’oreille, on voyait le meunier conduisant un âne ». Il y eut le « pouf à la circonstance », pour flatter les jeunes souverains ; « un soleil levant éclairait un champ de blé que moissonnait l’Espérance ». Le « pouf à l’inoculation » célébrait l’opération subie par Louis XVI et les princes. Le « pouf à la frégate » portait un navire de guerre pour rendre hommage au bailli de Suffren. Le « pouf de la victoire » consolait des défaites subies par les Soubise et autres maréchaux de France.

Les arts de la mode furent à leur apogée au temps de la reine Marie-Antoinette et l’on vit s’installer à Paris « les faiseurs de mode ». La plus célèbre était Mlle Bertin ; elle tenait boutique à l’enseigne du Grand Mogol et fournissait la reine. Sa faveur était telle à Versailles que l’étiquette de cour en était bousculée, au grand scandale des « dames du service royal » dont les protestations étaient vaines. Personne n’osait s’insurger contre le véritable pillage des deniers publics qui se pratiquait pour payer les mémoires toujours plus élevés de Mlle  Bertin et des autres fournisseurs de la cour. Le luxe de la reine et de la noblesse, l’ostentation qu’on mettait à l’afficher, ne furent pas parmi les moindres causes de l’irritation populaire à la veille de 1789. M. de Nolhac, dans son livre : Autour de la reine, a donné des détails particulièrement suggestifs sur les dépenses somptuaires de la cour et sur la garde-robe de Marie-Antoinette, de même que sur la modiste, Mlle  Bertin et le coiffeur Léonard, véritables rois de l’époque.

Depuis, les modes se sont peu à peu démocratisées. Leur clientèle se multipliant, les « faiseurs de modes », couturiers et modistes, sont demeurés rois dans la République, comme ils l’étaient jadis. Le syndicalisme a encore tout à faire pour défendre les travailleurs de la mode contre ces féodaux de la frivolité.

La royauté impérieuse et universelle de la mode en fait un des éléments les plus actifs et les plus productifs du commerce. Aussi, les commerçants ne manquent pas de la courtiser, d’entretenir ses caprices et, pour mieux réussir, de la diriger. Ils ne cessent de lui trouver des séductions nouvelles. La publicité, sous toutes

ses formes, a en elle sa principale clientèle et les journaux sont au premier rang pour cette publicité. Des pages entières sont consacrées à la réclame des grands magasins dans les quotidiens. La mode a, en outre, à son service, une foule de journaux spéciaux et des plus luxueux. Il y avait eu, aux xvie et xviie siècle, des livres de costumes. Le premier journal de mode fut, à Paris, le Mercure Galant qui devint le Mercure de France. En 1829, Émile de Girardin fonda, sous le patronage de la duchesse de Berry, une revue hebdomadaire qu’il appela La Mode et qui devint, en 1856, la Mode Nouvelle. Les journaux de ce genre se sont multipliés depuis, tant à l’étranger qu’en France, et le ton de la mode, sous toutes ses formes, y est donné par des écrivains spécialisés tant dans la philosophie la plus transcendante que dans l’art de faire une omelette ou d’élever des lapins. Le bergsonisme y voisine avec la fabrication de la pâte à rasoir.

La mode est, en définitive, dans tous ses avatars, la manifestation de l’esprit grégaire des individus soumis aux disciplines sociales et incapables de se manifester eux-mêmes. Elle est la règle de vie de ceux qui n’en ont pas personnellement, qui ont besoin d’un régent pour leur pensée comme pour leur costume et ne sauraient vivre sans tailleur, sans coiffeur et sans chemisier comme sans journal, sans gendarmes et sans gouvernement. – Édouard Rothen.

MODE. Le Larousse s’étend assez longuement sur ce mot : Manière individuelle, qui consiste à agir à sa fantaisie : « Chacun vit à sa mode », dit-il. Ne retenons que cette phrase pour nous entendre sur le mot : Mode. Il y a, dit-on, un certain ridicule à fuir la mode et il y en a autant à l’affecter. Pour être au-dessus de tout cela, disons de suite que la mode est peu dans nos soucis. L’homme qui pense laisse à d’autres le soin de suivre la mode. Raisonnablement, nous estimons chacun libre de vivre comme il lui plaît et nous pratiquons la plus large tolérance sur ce point. S’il est pour certains hommes un besoin de se faire remarquer par toutes sortes de manières étranges de penser, de parler, d’agir… libre à lui. L’essentiel est qu’il ne m’oblige pas à subir ce qui me choque et qu’il me soit toujours possible de l’éviter. Que d’autres aiment à porter lorgnon, lunettes, monocle, sans en avoir besoin, cela ne me gêne pas plus que ne me gênent ceux qui portent cravates gigantesques, chapeaux à larges bords, bottes et culottes bouffantes. Tout cela n’a guère d’importance. Selon l’humeur où l’on se trouve, on s’en amuse plus qu’on ne s’en émeut. Soyons pitoyables à tous, même à ceux que nous jugeons excentriques et qui, peut-être, nous jugent de même. Pourvu que ce soit avec la même tolérance, c’est ce qu’il faut souhaiter. Je passe outre aux modes féminines. Il y aurait trop à dire et vraisemblablement, serions-nous mal placés pour en parler comme il faudrait. Incontestablement, la femme est esclave de la mode, même dans la classe ouvrière. Que de femmes sont loin de prendre de la mode ce qu’elle a de bon quand elle en a. Mais les hommes ont-ils regardé la poutre de leur œil sur la mode ? Par exemple : le peu d’empressement qu’ils ont à se débarrasser de ce qui les incommode, parce que la mode est de le porter ? Je n’insiste pas.

Aussi bien, il n’y a pas que les manières de vivre, de se comporter, de s’habiller, de se conduire qui changent de mode. Il n’y a pas que les mœurs et les habitudes, il y a aussi les idées.

Certes, je ne prétends pas qu’il y a forfaiture à changer d’idées. Il est certain que bien des hommes d’un certain âge n’ont pas les idées qu’ils avaient à vingt ans. Qu’ils aient tort ou raison, c’est un fait. Mais où cela me paraît blâmable, c’est quand il est avéré que ces hommes se vantent d’avoir varié, sans donner d’au-