Cette préférence que l’homme donne à sa main droite sur sa main gauche a-t-elle sa source, comme le prétendent certains, dans « une prédominance naturelle accentué du côté droit sur le côté gauche ? » La main droite a-t-elle bénéficié de cette particularité de l’organisation et le premier appel à son concours participe-t-il d’un instinct déjà averti et disposé à accorder plus de confiance et à fonder plus de sécurité dans cette portion privilégiée de l’organisme ? Faut-il chercher en lui ‒ou seulement dans quelque hasard ‒le point de départ d’un recours qui souffre aujourd’hui de rares exceptions ? Si les qualités secrètes de l’organisation ont ici favorisé l’éclosion d’habitudes consécutives à un premier emploi, il est évident qu’elles en ont recueilli un renforcement correspondant… Quant à la main droite, appelée à l’exercice fréquent et régulier, elle en a retiré promptitude, adresse et vigueur. Et c’est elle qui, presque universellement, coopère aux ouvrages les plus remarquables conçus par l’esprit humain. Mais ce degré d’habileté et cette multitude de services ne doivent-ils pas justement nous faire regretter tous ceux que nous pourrions obtenir aussi de notre main gauche qui, « douée de la même organisation, aurait les mêmes talents si l’éducation les lui donnait ? » Pourquoi l’homme délaisse-t-il, sur le chemin de la perfection, un instrument aussi précieux à sa portée ?
Admettons qu’il faille, pour former notre main gauche, vaincre quelque faiblesse originelle ? Est-ce le seul cas où l’homme ait triomphé d’un tel obstacle ? Difficulté toute relative d’ailleurs, dès le commencement, et qui bientôt s’évanouirait « d’autant mieux que, par les leçons que reçoit la main droite, la gauche contracte une secrète aptitude à reproduire les mêmes mouvements, et que, déjà façonnée par les vives impressions du cerveau, elle est pour ainsi dire imitatrice, avant qu’elle ait réellement imité ». (Larousse). N’avons-nous pas, autour de nous, des faits qui prouvent combien cette initiation pourrait être rapide ?
« Un habile dessinateur perd la main droite et, au bout de deux mois, il écrit et dessine de la gauche avec la même facilité. Que ne peut d’ailleurs la volonté mue par le besoin ? Un homme qui n’a point de bras transforme ses pieds en mains (exemple, le peintre Ducornet) et fait avec eux des prodiges d’adresse. Or ce que l’homme fait par force, Il faudrait qu’il le fît par sagesse, et que sa raison eût sur son esprit le même empire que la nécessité. »
« Cette distinction physiologique entre la main droite et la main gauche a exercé des influences de plus d’un genre sur les idées et les usages de l’homme et, pour la race aryenne en particulier, ces influences nous apparaissent dans les temps les plus reculés. Dans les idées mythiques et sacerdotales de cette race, la force et l adresse sont l’apanage de la main droite, qui se trouve ainsi chargée des principales fonctions actives. C’est cette main qui préside au travail et au combat qui manie également les outils et les armes. De là les idées d’estime et même de respect qui s’associent à tout ce qui la concerne ? Elle devient le symbole de la rectitude, le gage de la sincérité, le signe de l’honneur. Les idées contraires s’attachent naturellement à la main gauche, et les unes comme les autres s’appliquent de plusieurs manières aux rapports sociaux, aux usages cérémoniels ou religieux, aux croyances superstitieuses, etc. De plus, chez les peuples primitifs et, même encore chez les Grecs et les Romains, par suite de son infériorité naturelle, la main gauche se trouvait chargée tout spécialement des fonctions impures ou malpropres qui auraient souillé la main droite et déshonoré la dignité de son rôle. De là l’habitude de tenir la main gauche sous le manteau et de
En même temps qu’elle nous rendrait maîtres de moyens physiques étendus, l’éducation de la main gauche, en la réhabilitant, débarrasserait les esprits et les mœurs de croyances et de coutumes faites de tradition superstitieuse. Rendons-lui donc, au prélude même de la vie, une place digne d’elle. Faisons appel à tous les éléments, à toutes les vertus inévoluées que nous laissons sottement dormir en elle ? Élevons-la à la dignité première, sur le même plan que notre droite… Sur moi-même et sur des enfants confiés à mes soins j’ai expérimenté cette éducation et j’ai mesuré combien elle pouvait donner. En dépit d’un lourd atavisme, la main gauche, chez les petits, ne demande qu’à s’employer. Elle s’offre avec une spontanéité pleine de promesses. Et elle les tient quand nous insistons. Et les résultats personnels que j’ai enregistrés sur ce point sont suggestifs. Pour l’écriture, au jeu, au travail, garçons et fillettes, autour de moi, donnaient libre essor à la bonne volonté délaissée de leur main gauche. Et elle nous montrait vite combien était justifiée la confiance mise en elle… Les gauchers ne sont pas rares d’ailleurs dès la première enfance, mais on les refoule. Par un coup d’œil, une face courroucée, la grosse voix, par des tapes sur la « menotte » déconsidérée, on fait lâcher au bébé le jouet ou la cuiller saisis par la main gauche. À mesure qu’il grandit les défenses se codifient ; on invoque la coutume, la politesse, la bienséance, etc. (ce n’est pas beau, ou convenable, ou propre !) que sais-je, et notre gauche repoussée ne résiste pas. Pourtant, porté moi-même dès le jeune âge à revendiquer ses services (et contrarié sur ce point, à l’époque, il va de soi, par la famille) je suis revenu, systématiquement, à l’emploi de mes deux mains, un emploi aussi régulier, aussi équilibré que possible, et je n’ai eu qu’à me louer d’avoir, ici encore, surmonté les préjugés et les habitudes néfastes pour regagner une situation normale et des conditions naturelles. Combien de personnes accidentées, privées ‒momentanément ou à jamais ‒ de l’usage de leur main droite, ont regretté qu’on n’ait autour d’eux ‒ et qu’ils n’aient eux-mêmes ‒ davantage estimé leur main gauche !
Nous pourrions, puisque nous en sommes aux réhabilitations, nous attacher à relever ‒ s’il en est besoin encore auprès de ceux qui nous lisent ‒ le travail des mains, regardé comme indigne ou inférieur par les aristocrates et par certains intellectuels. À ce dernier mot, nous avons montré, et tout près encore, à manuel, nous rappellerons qu’il n’y a pas de tâche dégradante lorsqu’elle accroît le patrimoine et sert la vie et le bonheur des hommes et que, du plus fruste et du plus humble effort, de la plus grossière comme de la plus « méprisée » des occupations, dans l’activité des mains calleuses et des mains noires ‒dont le labeur nourrit notre corps ! ‒ résident en puissance, une dignité et une valeur morale égales à celles des travaux les plus glorieux de l’esprit.
Voici quelques locutions courantes dans lesquelles