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mant un conseil élu par les chefs de tribu. Le mariage est également exogamique, mais ici le mari n’habite pas avec sa femme ; il reste dans le clan de sa mère et ne visite son épouse qu’à l’heure des repas ou le soir. Ses enfants appartiennent donc au clan de la mère ; c’est le frère de celle-ci qui en est le plus proche allié mâle et qui leur sert de père et de tuteur. De son côté le mari, s’il a une sœur, remplit les mêmes offices envers ses enfants. L’administration de la Grande-Maison est confié par voie d’élection au chef-de-feu, qui représente la famille dans les conseils politiques ; et à la matrone, également élue, qui l’assiste dans ses fonctions. C’est elle qui a la haute direction des affaires intérieures et un réel communisme règne, paraît-il, dans cette grande famille. Dans certaines tribus l’avis des matrones prédomine sur celui des hommes en cas de conflits belliqueux ; en d’autres ce sont elles qui élisent le chef du clan et qui jugent avec lui. La terre appartient à la tribu, qui la répartit entre les différentes familles qui ne la possèdent qu’à la condition de la travailler. Il n’y a donc pas d’héritage, ni de propriété individuelle, pas plus que dans le clan.

Le passage du stage matriarcal au stade patriarcal est assez difficile à comprendre. On a voulu le faire dériver de l’affaiblissement des droits de l’oncle en faveur des droits du père, car tout homme était père et oncle en même temps, sans expliquer pourquoi ce droit s’est modifié, dans une société relativement heureuse. Quoi qu’il en soit, on assiste à ce passage chez quelques peuples de l’Indonésie. Deux sortes de mariage y sont pratiqués ; l’un, le mariage ambilien, incorpore l’homme à la famille de la femme ; l’autre, le semondo, laisse les deux conjoints dans leurs familles respectives, mais selon l’importance du mari et la valeur des présents, l’enfant appartient à une famille ou à l’autre. Enfin, chez d’autres peuples c’est la jeune fille elle-même qui va vivre chez son mari, lequel en échange, verse une somme convenue. On en a déduit que cet usage était comme un dédommagement offert à la famille maternelle pour la perte de ses droits. Malheureusement comme la réciprocité existe des deux côtés des groupements et qu’il y a par conséquent équivalence des pertes et profits, l’explication ne vaut pas cher. De même le passage du culte des morts, plus ou moins régulier jusque-là, à celui si précis du culte des ancêtres n’est pas très clair. L’Égypte, d’ailleurs, qui poussait très loin ce culte était à un stade matriarcal mixte, où les deux sexes s’égalaient, sans aucune puissance paternelle. Le fils ou la fille aînés étaient les représentants de la famille et ce fait est, pour quelques auteurs, le premier pas vers l’avènement du patriarcat. Celui-ci se reconnaît par le pouvoir absolu du père sur toute la famille et son rôle de prêtre du culte des morts. Du même coup, la femme est exclue de ce culte par son mariage avec l’homme d’un autre culte, car nul étranger n’y était admis. Cette dépréciation expliquerait, paraît-il, la coutume d’exposer les filles à leur naissance, tandis que les garçons plus nécessaires en étaient préservés.

Chez les Grecs ou les Romains, chaque maison possédait un autel où brûlait sans cesse le feu sacré. Ce culte du foyer et le culte des dieux domestiques marchaient de pair. Les mariages ne s’effectuaient point dans les temples, mais dans la maison, devant l’autel familial où brûlait le feu sacré. Ce caractère sacré du foyer, inviolable par l’étranger, s’étendit à la terre, aux troupeaux, aux biens attenant à la maison. La propriété aurait ainsi, selon quelques sociologues, une origine plus religieuse qu’économique, ou politique. La succession du père au fils aîné n’était même pas un héritage ; elle n’était qu’une continuation. Par contre, la fille n’héritait point si elle était mariée, et dans le droit grec, elle n’héritait en aucun cas. Chaque fils aîné était alors le véritable père de famille et toutes

les branches cadettes étaient placées sous son autorité. Leurs serviteurs ou clients n’avaient aucun droit, aucun culte particulier, bien qu’ils eussent plus ou moins participé à la prospérité de la famille dont ils faisaient partie. Tous les descendants d’une même famille formaient la gens. Chaque cité, formée de familles assemblées en phratries, celles-ci en tribus et finalement en cité, avaient également des dieux qui n’appartenaient qu’à elle et ces dieux étaient, tout comme les dieux familiers, des âmes humaines divinisées par la mort. Primitivement, le roi de chaque cité en était également le prêtre, parce qu’il en avait, le premier, posé le foyer. Leur caractère était donc sacré et la loi se confondait avec la religion. Chaque cité était indépendante des autres cités, bien que souvent aucune barrière naturelle ne les isolât. De là des luttes et des alliances perpétuelles entre ces peuples propriétaires et fanatiques. Quarante-trois villes du Latium furent rasées par les Romains, ainsi que vingt-trois cités habitées par les Volsques. Pillages, destruction, anéantissement total, telles étaient ces mœurs lointaines.

L’État devenu puissant par la puissance de cités devint à son tour tyrannique comme l’était le père de famille. En cas de besoin, la cité pouvait s’emparer des biens de chaque citoyen. À Sparte, le mariage tardif était puni, l’oisiveté y était prescrite, tandis qu’à Athènes c’était tout le contraire. À Rhodes, la loi défendait de raser la barbe et la loi punissait celui qui avait un rasoir chez lui. À Sparte c’était l’inverse. Tout oscillait autour de l’intérêt de la cité et chaque citoyen (père de famille ou patres) se devait entièrement à elle. La plèbe formait un élément à part, en dehors de la justice, de la loi et de la religion. Alliée avec les rois contre les patriciens (pères de famille), elle imposa plus tard, après la période républicaine, les tyrans ou chefs choisis hors l’influence de la religion. Réciproquement, ces chefs favorisèrent la plèbe contre les patriciens. Finalement, après des luttes centenaires, plébéiens et patrioiens eurent à peu près les mêmes droits, mais la richesse et la pauvreté créèrent alors une barrière économique aussi dangereuse entre ces deux classes de citoyens. Le commerce et l’industrie étaient entre les mains des riches qui employaient des esclaves. Le citoyen libre et pauvre fit alors la guerre au riche pour la conquête du pouvoir et de la richesse. L’Aristocratie marquait le triomphe des uns ; la Démocratie était le triomphe des autres. Devant l’insuffisance de ses efforts, la plèbe nomma des tyrans tout puissants contre les riches, lesquels luttèrent pour leur liberté et leurs privilèges. En même temps, le vieil esprit religieux s’effritait sous ces faits et sous l’influence des philosophes. Les Sophistes répandaient le doute, les cyniques méprisaient les dieux, les mœurs et les lois, les épicuriens les ignoraient, les stoïciens séparaient l’homme du citoyen. Parallèlement à cette influence morale dissolvante, la conquête romaine détruisait par la force, chez les cités conquises, tous les cultes et toutes les institutions locales, ce qui contribuait à transformer et ruiner le vieil esprit patriarcal, jadis si puissant. Le christianisme acheva cette ruine sans apporter aucun système social pour lui succéder.

Cette évolution d’un type particulièrement pur du patriarcat est loin d’avoir été la même chez les différents peuples qui l’ont pratiqué ou le, pratiquent encore. La vie sédentaire ou nomade y amènent inévitablement de grandes différenciations. La vie de la femme grecque était confinée dans le gynécée ou dans l’atelier domestique au service de son époux. Seules les courtisanes avaient une existence indépendante et des mœurs cultivées. Il en était de même pour les bayadères de l’Inde. En Chine, le sort de la femme était encore plus dur ; il l’était beaucoup moins chez les Kabyles. Chez les Assyriens, malgré le système patriarcal, la femme pouvait hériter ; certaines lois la défendaient et son