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père fournissait une dot. Coutume exactement inverse de celle du stade précédent. L’origine de cette dot est assez énigmatique. D’une manière générale, la polygamie était, et est encore, liée au patriarcat. En Chine, outre la femme principale, il pouvait y avoir de nombreuses concubines. Il en était de même chez les Juifs. On connaît la polygamie de la plupart des orientaux. Chez les Germains, les chefs avaient aussi ce privilège, mais ici la dot était apportée par le mari. Au Tibet, quatre ménages peuvent se constituer. 1° Plusieurs maris avec plusieurs femmes ; 2° Plusieurs maris avec la même femme ; 3° Un seul mari et plusieurs femmes ; 4° Le couple monogame. La femme y est relativement libre. Le mariage temporaire se pratique aussi en Perse et au Japon. Enfin, chez de nombreuses populations nègres, la polygamie est le seul état normal. En Sénégambie, en Abyssinie, dans l’Angola, chez les Cafres et les Béchuanas, chaque femme à sa hutte particulière, où elle vit avec ses enfants, et le mari les visite à tour de rôle. Chez les Hottentots et chez les Bassoutos, il y a une femme de premier rang avec laquelle vit le mari ; les autres femmes sont visitées ensuite dans un ordre donné. Certains rois nègres ont jusqu’à sept mille femmes plutôt esclaves qu’épouses, mais sans aucun autre époux que le roi. Chez les peuples slaves, la femme et ses enfants étaient la propriété du père et traités assez durement et, dans l’Inde, il en est encore ainsi actuellement. Le moyen-âge fit disparaître de vieilles choses et en fit surgir d’autres, intermédiaires entre tette époque et la nôtre. Mais la société actuelle, bien que fortement individualisée ou impersonnalisée, est loin de représenter un type fixe et satisfaisant.

De cette évolution de la solidarité du clan à l’individualisme moderne peut-on tirer quelque enseignement précis ? Peut-on faire un rapprochement entre les mœurs connues des différents peuples et leur organisation sociale ? Autrement dit, les mœurs sont-elles le produit du milieu, ou celui-ci le produit de celles-là ? Et, dans un cas ou dans l’autre, quelle serait la cause des transformations ?

Si l’on examine l’art, par exemple, nous voyons des différences ou des ressemblances très accusées entre ces peuples ayant une organisation très dissemblable. C’est ainsi que la peinture, la gravure et même la sculpture de l’époque Paléolithique ne sont pas inférieures à celles de certaines peuplades nègres ayant dépassé le stade du clan. Mais tandis que de nombreux peuples vivant au stade patriarcal n’ont qu’un art rudimentaire, on voit la Grèce se couvrir de merveilles architecturales et l’Égypte antique, plus proche du matriarcat que du patriarcat, se créer une esthétique originale et grandiose. La conception de l’art ne paraît pas absolument liée à l’organisation ; elle parait plutôt dépendante de la sensibilité de l’artiste et de son milieu. L’art hindou avec son luxe d’ornements écrasant la simplicité des lignes est bien le fruit d’une pensée mystique, méticuleuse et abstraite. Il en est de même de l’art arabe, plein d’imagination, imprégné tout de même de quelque sobriété occidentale. Tous deux contrastent avec la simplicité harmonieuse de l’art grec et la sévérité symbolique du style assyrien. L’utilitarisme romain se devine dans ses monuments. Quant à l’art nègre, plus instinctif que rationnel, il indique une sensibilité vive plus près de l’animisme et du fétichisme que des hautes abstractions. Beaucoup de Noirs sont d’habiles forgerons et d’assez beaux sujets de bronze et de statuettes en bois, sortis de leurs mains, sont dignes de nos primitifs moyenâgeux.

L’art (voir ce mot) apparaît donc plutôt comme un effet que comme une cause sociale d’évolution. La situation économique et géographique peut avoir joué un assez grand rôle dans cette évolution, mais ici encore il y a des faits assez dé-

concertants. Par exemple, les Mélanésiens et les Papous, bien que construisant de très bon bateaux à voile ne s’aventurent guère en pleine mer, tandis que leur voisins, les Polynésiens n’hésitent point à franchir des distances énormes en se guidant au vent et aux étoiles et d’après certaines cartes plus ou moins grossières. D’autre part, ces derniers sont fortement organisés et hiérarchisés en aristocrates et en plébéiens, alors que les premiers en sont encore aux mœurs matriarcales. Les Turcs nomades qui peuplent les steppes de la Sibérie orientale mènent une vie patriarcale avec culte des ancêtres, tandis que les Yakoutes, peuple chasseur, vivent par plusieurs centaines à la fois, sous le régime du clan maternel, à côté des premiers.

Les coutumes locales n’ont pu avoir non plus une grande importance. La danse, les rites, les mœurs particulières à chaque peuple sont toujours les effets de quelque chose qui les crée. La danse, dont on retrouve certains indices préhistoriques, fut, à l’origine, une extériorisation d’une trop forte émotion, d’une trop forte joie. La chasse et la guerre en furent les principales causes ; peut-être faut-il y ajouter quelque influence sexuelle. Chez les Australiens, elle fait partie d’une série de fêtes où la moitié de la population danse, tandis que les femmes l’accompagnent en jouant. Certaines danses érotiques et lubriques sont dansées uniquement par les femmes, comme le font les Hawaïennes. Chez les Esquimaux elle le sont par les deux sexes. Il est des danses chez les Papous, les Aïnos, les Araucaus, etc…, qui tournent à la pantomime avec chants, accompagnés de musique et de travestissement. On peut y voir là l’origine du théâtre.

Le chant et la musique sont répandus chez tous les peuples, mais souvent réduits au rythme seul. La gamme en usage paraît être surtout dépendante de l’instrument qui la produit. C’est ainsi que l’on croit que notre gamme heptatonique doit son origine à la flûte primitive qui n’avait pas plus de 6 à 8 trous, correspondant aux doigts disponibles. Les Nègres ont une gamme différente de la nôtre, ainsi que les Chinois. Le premier instrument à corde fut probablement l’arc et la harpe que l’on trouve chez les Cafres et les Nègres d’Angola. Il est difficile de trouver deux instruments accordés semblablement chez les primitifs et leur musique d’ensemble manque évidemment d’harmonie. Le tam-tam africain, formé de bois creusés et sonores, est employé à de multiples fins : danses, fêtes, rites, guerres, avertissements, etc… Il joue le rôle du gong et de la cloche des civilisations asiatiques et européennes.

La pudeur paraît inconnue à la plupart des primitifs. Les femmes mélanésiennes, quoique vivant entièrement nues, sont paraît-il très chastes. Quelques ethnologues pensent que les parures cachant les organes sexuels étaient destinées précisément à attirer l’attention sur eux. Le vêtement aurait donc fait naître la pudeur. On sait d’ailleurs que les enfants ignorent totalement cet état d’esprit imposé par l’éducation sociale. Chez les Japonais, les hommes et les femmes se baignaient autrefois ensemble. Il en était de même en Russie au siècle dernier. L’indécence, pour une femme chinoise, c’est de montrer ses pieds nus. La musulmane surprise au bain cache surtout son visage, tandis que, dans les mêmes circonstances, une laotienne cache surtout ses seins. L’âge des menstrues n’indique point le moment des premiers rapports sexuels. Chez la plupart des peuples de l’Inde, chez les Turcs, les Mongols, les Persans, les Polynésiens, les Malais et les Nègres, la vie sexuelle pour les filles commence entre 8 et 11 ans, alors qu’elles ne sont réglées qu’entre 11 et 13 ans. Remarquons également que les peuples les plus lascifs ne sont pas les moins intelligents, ni les moins hardis, tels les Polynésiens.

Peut-être faut-il voir dans la parure l’origine du vêtement, dans les pays où le froid ne le justifie pas. La