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plupart des primitifs se tatouent, se colorient la peau, de plus ou moins bizarre façon. Les Tibétaines se collent de petites graines sur le visage enduit de colle d’amidon. Les Malais, Japonais, Chinois, Annamites se laquent les dents. On les arrache aux jeunes Australiens à l’époque de la puberté. En Afrique occidentale, on les taille en pointe ; en Malaisie, en triangle ou en cercle. Sans parler de la castration ou de la circoncision trop connues, on pratique l’incision du clitoris au Soudan, et quelques autres mutilations des organes génitaux. Les pieds des Chinoises sont déformés par des bandelettes ; il en est de même du crâne des jeunes enfants de la région toulousaine, au Pérou, en Bolivie, etc… Certaines incisions sur la peau forment des cicatrices spéciales déformant le visage et sans parler des anneaux dans les oreilles, dans les lèvres et dans le nez des Nègres, mœurs qui sont connues, la femme Tatar porte des anneaux au nez, les Esquimaux des rondelles en os aux commissures des lèvres et les Malais de Sumatra s’incrustent des feuilles de métal ou des pierres précieuses dans les dents.

La plus étrange des déformations est certainement obtenue par les femmes à plateaux (femmes Saudé et Bantou de l’Afrique équatoriale et occidentale), qui portent dans l’une ou dans les deux lèvres percées et tendues des disques de bois ayant jusqu’à vingt centimètres de diamètre. Lorsqu’on voit les civilisés se rendre imposants et éblouissants, sinon impressionnants, par la plume, le poil, la soie, le verre et le métal et cela aussi bien à l’église qu’au palais, dans les music-halls et les cirques que dans les ambassades et les académies, on ne peut guère établir de rapport entre le degré d’organisation sociale et les mœurs déterminant le goût.

L’alimentation ne donne pas de meilleurs renseignements. L’homme, à travers les âges, a mangé et mange encore de tout : végétaux de toutes sortes, insectes, crustacés, reptiles, poissons et oiseaux de toutes tailles ; gros et petits animaux à poil, à écaille, à plume, à piquant, etc… Il a même mangé et mange encore de la terre au Sénégal, sur la Côte-d’Or, au Caucase, en Perse, dans l’Amérique du Sud, etc… Les femmes accouchées du Brésil, chez les Tappuya, mangent leur placenta et certaines coutumes semblables sont en usage, paraît-il, dans quelques coins de l’Italie, lorsque le lait ne monte pas. Enfin, l’anthropophagie, pratiquée par besoin alimentaire, par gourmandise ou par nécessité religieuse, n’est pas absolument le fait de races arriérées, puisque les Niam-Niam du centre africain à demi-civilisés et assez fortement organisés en font des rites spéciaux. L’anthropophagie existe encore en Australie, aux iles Salomons, aux Nouvelles Hébrides, à la Nouvelle Bretagne, dans l’Ouhanghi, etc… Ces derniers font macérer les cadavres dans l’eau, mais ne mangent-on pas des viandes faisandées et des fromages fermentés dans le vieux monde !

La cuisson ou la préparation des aliments paraît universelle et le feu semble connu de tous les peuples de la terre. Chez les Brahmanes actuels, il est encore obtenu, pour les cérémonies religieuses, par le frottement de deux baguettes de bois spéciaux. Les Indiens en font encore de même pour les fêtes sacrées. Beaucoup de peuples actuels ne connaissent pas la farine et mangent les graines rôties jetées sur des pierres très chauffées. Pourtant on trouve des mortiers chez un grand nombre de peuplades incultes, les uns en pierre (Indiens de l’Amérique du Nord), les autres en bois (Afrique et Océanie). Le pilage est presque partout l’attribution des femmes. Les Boschimans, les Kabyles et les Arabes se servent de deux pierres plates tournant l’une sur l’autre. C’est là l’ancêtre de la meule et du moulin. Chez les primitifs cultivateurs, les hommes procèdent au défrichement et à la préparation du sol, mais ce sont les femmes qui ensuite font la culture et la cueillette des produits. La culture à la boue remonte à

la plus haute antiquité ; celle avec charrue et bêtes de somme est en usage en Europe depuis le néolithique et paraît, pour l’Asie et l’Égypte, avoir pris naissance en Mésopotamie. La Chine pratique encore sur une large échelle la culture à la houe et les peuples anciens de l’Amérique centrale n’en connaissaient pas d’autres.

Les excitants sont universellement connus et les boissons fermentées également. Il est certain que les stupéfiants ont dû jouer un rôle assez grand chez certains peuples. L’Inde et la Chine sont victimes de l’opium et les populations entières ont disparu par l’usage de l’eau-de-feu.

Les Turco-Mongols fabriquent le koumys avec le lait fermenté de jument et en tirent un alcool appelé arka. Les Moï de l’Indochine font de la bière de bambou ; les nègres en font avec du millet ; en Afrique occidentale ils font une boisson appelée dolo, avec du miel, du gros mil et une prune sauvage. Dans l’océan Indien on fabrique du vin avec le jus du sagoutier. Le kava des Polynésiens est fabriqué en mâchant et en crachant dans un plat commun les feuilles et racines d’un poivrier. La noix de kola est employé en Afrique comme stimulant ; le maté (sorte de houx du Brésil) est la boisson de l’Amérique du Sud. Différentes racines et poissons sont employés à Java comme aphrodisiaque. La coca mâchée et mastiquée avec des cendres riches en potasse donnent aux Péruviens et aux Boliviens des rêves suaves. Enfin le bétel traité de la même façon, mais avec de la chaux, donne aux Malais une haleine purifiée, mais pris en excès amène le cancer de la langue et la chute des dents. Le tabac originaire d’Amérique est suffisamment connu. Les Indiens le fument modérément et en certains cas, la pipe ou calumet de paix joue un rôle social et rituel. Le hachich, extrait du chanvre indien, est fumé en Perse, en Asie Mineure et en quelques parties du Congo. Le tabac est prisé chez de nombreux Nègres porteurs de tabatières minuscules logées dans le lobe de l’oreille, mais, plus raffinés, les Indiens de l’Amazone mettent dans un tube une poudre très excitante, tirée des graines séchées d’une légumineuse appelée Inga, et se la soufflent ainsi mutuellement dans le nez.

Nous voyons qu’on ne saurait tirer de ces faits, très abrégés, aucune indication pour trouver de bonnes ou de mauvaises mœurs d’après le degré d’organisation des peuples qui les pratiquent, et vice-versa.

Les tabous ne sont pas exclusifs aux peuples primitifs, bien qu’ils aient chez eux une importance excessive, notamment dans l’archipel polynésien, où ils défendent les nombreux privilèges détenus par les riches et les aristocrates. Le tabou s’étend à une infinité de choses, qui prennent un caractère tel, dès qu’on les a déclarées tabou, qu’elles peuvent entraîner toutes sortes de conséquences fâcheuses à tous ceux qui, ne tiennent aucun compte de ce caractère particulier.

Il y a donc des tabous pour la chasse, la pêche, la guerre, la naissance, la mort, la sexualité, etc. Les sorciers et magiciens sont tout puissants pour prononcer des interdictions et des ensorcellements, mais les prêtres ne restent pas en arrière pour sacrer, bénir, honnir, excommunier, jeter des mauvais sorts et vouer aux tourments éternels leurs ennemis.

Le système des castes, si inflexible chez les Hindous et les Égyptiens, est une sorte de tabou et tous les privilèges, défendus encore moralement jusqu’à nos jours, en sont des restes. Les jugements par ordalie ne sont pas plus étonnants et le fait de démontrer son innocence ou sa supériorité en avalant du poison, en plongeant sa main dans un récipient contenant des serpents venimeux, en traversant une rivière pleine de caïmans, en se tenant plongé sous l’eau jusqu’à l’asphyxie, etc., n’est pas beaucoup plus illogique que celui d’aller chercher (pour résoudre nos conflits modernes, issus d’un esprit nouveau) dans le passé un droit vieux de