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Les Romains, sur lesquels nous avons pris modèle pour les lois, ont été un grand peuple, mais féroce, le peuple des cirques, du panem et circenses, des combats des gladiateurs et du fameux : Christianos ad leones !

César – ave Cesar morituri te salutant ! – se tenait dans sa loge et donnait le signal du combat et il pouvait, si tel était son bon plaisir, ordonner la mort ou faire grâce au vaincu. Police verso, police recto ! César, le modèle des dictateurs, qui frayait la voie à l’Empire, à Rome avait été « l’amant de toutes les femmes et le mignon de tous les hommes ». Il fut aussi l’amant de la célèbre Cléopâtre qui, après « s’en être servis » jeta ses amants en pâture aux crocodiles.

À ce César nous devons les mots ailés : À son batelier : « Tu portes César et sa destinée ». Au Sénat romain, le message : « Veni, vidi, vici ». (Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu). Et aussi le fameux : Si vis pacem, para bellum. (Si tu veux la paix, prépare la guerre)… et le monde, pendant des siècles, a saigné par tous les pores.

Et les successeurs de César, les empereurs romains ? Une collection de sadiques et de monstres, depuis Tibère et Néron en passant par Caracalla jusqu’au chrétien Constantin !

Voici le moyen-âge. Si ce n’est pire, ce n’est guère mieux. Comme levée de rideau sur le moyen-âge, voici d’abord Attila et l’invasion des Huns, « sous les chevaux desquels l’herbe ne repoussait plus » ; puis celle des Normands ; ensuite cette parole consolatrice, pendant le massacre de Béziers : « Dieu reconnaîtra les siens ! » Les Croisades, les guerres et les déchirements de l’Allemagne éternellement morcelée par ses princes et ses grands. L’invasion des Mongols, en Russie, Ivan le Terrible. L’Inquisition en Espagne !…

En France, la monarchie élective – dit-on – cède la place à la monarchie héréditaire qui s’établit avec Hugues Capet en 987. Louis VIII fait encore sacrer son fils. Saint Louis en fait autant pour le sien et les rois se maintiennent en équilibre entre la noblesse et la bourgeoisie en lutte.

Mais, avec les Bourbons, commence la royauté absolue : toutes les libertés meurent à la fois, la liberté politique dans les États, la liberté religieuse par la prise de La Rochelle et la liberté littéraire par la création de l’Académie française.

Sous Louis XIII, Richelieu achève la consolidation monarchiste de la France et Louis XIV, le « roi soleil », ose dire en 1661 « L’État c’est moi ! », mot qui a trouvé son pendant dans la parole qu’un courtisan adressait à Louis XV, en lui désignant la foule : « Sire, tout ce peuple est à vous ! »…

Sur le tout, se brochent des guerres de succession et des guerres religieuses, jusqu’au jour où le couperet de la guillotine met fin à l’effrayante mascarade royaliste… Mais, hélas ; pour un temps seulement. Car le jeu sinistre a recommencé de plus belle avec le grand assassin, Napoléon Ier, restaurateur de l’esclavage des Noirs et de la marque infamante et qui disait cyniquement, après la bataille d’Austerlitz : « Ce n’est rien, une nuit de Paris réparera tout cela ! »…

Contrairement à ce qui s’est passé en France dans la seconde moitié du moyen-âge, où la royauté tenait la balance entre la noblesse et la bourgeoisie, en Angleterre la royauté absolue fut vaincue, parce que nobles et bourgeois firent cause commune contre elle…

À l’heure où nous sommes, en l’an de grâce 1931, la royauté, après avoir passe par toutes les variantes de l’hypocrisie « constitutionnaliste », semble définitivement vaincue, mais le fascisme, qui n’est qu’un bonapartisme vêtu à la moderne, guette la Révolution au premier tournant de l’histoire qui se présentera. Cela ne saurait faire le moindre doute.

La situation mondiale est périlleuse, angoissante au

premier chef. La vieille société décomposée né veut pas mourir et la nouvelle ne sait pas naître.

Il n’y a plus de parti monarchiste proprement dit parce qu’il n’y a plus de mouvement foncièrement républicain égalitaire et libertaire. Droite et Gauche, discréditées toutes les deux, se confondent – tout en se combattant, – dans la défense de l’ordre social actuel.

Les partis révolutionnaires (socialistes de gauche, communistes et anarchistes) sont chaotiques et manquent de plate-forme nette, précise pour le combat révolutionnaire. Et cependant cette plate-forme, qui rallierait toutes les bonnes volontés révolutionnaires, serait facile à trouver.

Le Droit n’est rien sans la Possibilité de s’en servir. La République politique, pour aussi radicale qu’on la suppose, n’est rien si elle n’est doublée de la République économique.

Socialiser la production à la russe sans supprimer le salariat et sans établir le droit égalitaire de chacun sur le rendement social n’est qu’une demi-mesure.

Laissons dire ceux qui prétendent que le progrès ne peut s’accomplir que par étapes. Compter là-dessus, c’est se condamner à tourner éternellement sur place.

Ce n’est qu’en brisant la chrysalide que le papillon prend son vol. Ce n’est qu’en renversant l’État et en tuant le régime de la propriété que nous pourrons établir la République Sociale, la société sans Dieu ni maîtres dans laquelle tous les hommes et toutes les femmes seront économiquement égaux, intellectuellement affranchis et moralement solidaires. – Frédéric Stackelberg.


MONDE Voir Terre, Univers, etc.


MONISME n. m. (de monos, seul). Doit être dit moniste tout système, matérialiste ou spiritualiste, il n’importe, qui prétend expliquer l’univers à l’aide d’un seul élément. Dès l’origine, les penseurs s’efforcèrent de simplifier l’apparent fouillis que constituent les phénomènes, de ramener le multiple à l’un, le particulier à l’universel. Pour les premiers philosophes grecs, il n’existait qu’une substance fondamentale, la matière, force vague et mal définie qui engendrait tout ensemble et les êtres vivants et les corps inorganiques. Plus tard, la matière supposée passive et inerte fut opposée à l’esprit, essentiellement actif, et l’on aboutit au dualisme cher aux scolastiques, ainsi qu’à Descartes. Dans l’homme se rencontreraient deux principes hétérogènes, l’âme, d’une part, le corps de l’autre ; dans l’univers à côté de la matière coexisterait un esprit éternel, infini, nécessaire : Dieu, qui en fut le créateur ou l’ordonnateur. Mais Spinoza revint à l’idée d’une substance unique. Étendue et pensée, en d’autres termes matière et âme, sont pour lui deux attributs, les seuls que nous connaissions, de la substance divine constitutive de toute réalité. Aussi ancien probablement que la philosophie, puisque nous le retrouvons dans les premiers livres de l’Inde, le panthéisme, aux formes très variables et que le christianisme ne parvint pas à tuer définitivement même en Europe, confond d’ordinaire le monde et dieu en un être unique.

Nombreux furent les penseurs du xixe siècle qui admirent de même que les substances dites individuelles et contingentes étaient des déterminations, des modalités, d’une substance simple, immuable, infinie. Dieu serait immanent et dans l’ensemble de l’univers et dans chacun des êtres qui le composent ; non seulement il n’existerait pas sans les individus, mais il n’aurait d’être et de réalité que dans et par les individus. Aujourd’hui, le monisme, dont la vogue fut si grande au début du xxe siècle, continue de désigner des systèmes absolument irréductibles. Celui de Haeckel par exemple, tout à fait matérialiste, s’oppose à l’idéalisme moniste des penseurs protestants. Selon Haeckel, matière et énergie sont les deux attributs inséparables d’une substance unique, qui explique la vie et la pensée au même titre que les phé-