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nomènes inorganiques. Elle est la raison d’être de notre, univers pris dans sa totalité, comme dans ses détails ; aussi point de science véritable qui ne repose sur l’expérience. Les prétendues révélations divines sont de vaines illusions ; c’est du travail de nos sens et des cellules nerveuses de notre cerveau que résulte la connaissance ; les sciences de l’esprit sont en conséquence un simple chapitre de la biologie. Bien d’autres philosophes, dont les idées varient par ailleurs, voient dans la matière le fond commun d’où tout sort, même la pensée. Et la majorité des savants actuels, de ceux à qui l’intérêt ne ferme pas la bouche, semble s’être ralliée à cette conception radicalement contraire aux fallacieuses suppositions des théologiens catholiques. Mais il existe un monisme spiritualiste, qui fait de la pensée le principe primordial de tout, même de la matière. Le système des monades, soutenu par Leibniz, en fut l’annonciateur dans les temps modernes ; d’autres doctrines sont nées depuis, qui s’inspirent plus ou moins de Pythagore, de Platon, des Alexandrins. Une même pensée animerait l’univers ; et, sous des formes différentes, une intelligence assez forte percevrait un thème identique, et dans le monde sensible, et dans le monde moral, et dans le monde des idées. Malheureusement, ces traductions en langages différents de l’idée divine, génératrice de l’univers, restent indéchiffrables pour nous ; c’est une sorte d’instinct qui d’ordinaire nous avertit qu’en définitive le multiple se ramène à l’un. Pour le monisme idéaliste, qui fut très florissant dans les universités anglo-saxonnes, le monde n’est pas une collection de faits, mais un grand fait unique, qui renferme tout. Un esprit absolu, Dieu crée les faits particuliers par cela même qu’il les pense, comme le romancier crée les personnages de ses livres, comme le rêveur crée l’objet de ses songes. L’univers et l’absolu sont un seul fait ; les deux se compénètrent, car être, pour une chose finie, consiste à être un objet pour l’absolu, et, pour l’absolu, être c’est penser l’ensemble des objets particuliers, le tout. Une revue de Chicago, The Monist, se donna comme mission de répandre ces idées parmi les protestants : elle avait comme maxime cette pensée, que l’on déclare admirable et qui est simplement absurde : « Imitons le Grand Tout ». Ces rêveries métaphysiques qu’aucune preuve n’étaie, que la science positive contredit à chaque instant, sont à ranger parmi les mythes dépourvus de tout fondement. S’il est moins poétique, le monisme matérialiste apparaît infiniment plus vrai.

À l’opposé du monisme se place le pluralisme qui proscrit la recherche de l’unité et considère chaque fait comme pouvant être seul de son espèce. William James « admet comme possible que la somme totale absolue des choses ne fasse jamais l’objet d’une expérience positive, ou ne se réalise jamais ni en aucune façon sous cette forme, et qu’un aspect de dispersion ou d’incomplète unification soit la seule forme sous laquelle cette réalité s’est constituée jusqu’à présent ». Ce philosophe a mis le pluralisme au service du spiritualisme et de la religion, ce qui explique l’immense succès obtenu par ses écrits. Mais le pluralisme s’accommode aussi du matérialisme et de l’athéisme le plus complet, ainsi que l’ont montré des penseurs de très grand mérite. (Voir pluralisme.)

C’est dans le plan expérimental que doit être placé le problème du monisme, à notre avis ; fantaisies théologiques, chimères métaphysiques peuvent seulement nous divertir. Or, dans toutes les branches du savoir positif, on tend à rattacher les faits à des lois, et les lois particulières à des lois plus générales. De là les grandes théories, celle de l’unité de composition des corps en chimie, les doctrines électromagnétiques et les thèses d’Einstein en physique, etc. Et les découvertes qui résultent de ce besoin d’unité démontrent, semble-t-il, qu’il répond à la réalité des choses, autant qu’à

une inclination subjective. Mais si le monisme est admissible au point de départ, c’est le pluralisme qui convient au point d’arrivée. Partie de l’un, la nature aboutit au multiple ; et de même que le modèle l’emporte sur l’image, l’individu l’emporte sur les abstractions idéologiques auxquelles on s’efforce de le rattacher. Excellente pour établir la filiation des causes, la tendance à l’unité deviendrait régression dangereuse si elle voulait interdire l’infinie diversité dont témoignent et la vie et la pensée. « Un sanglant désir d’unité aveugle certains esprits. Il ne comprennent pas que l’harmonie totale doit résulter de la diversité individuelle, non d’une impossible et néfaste uniformité. » — L. B.

Bibliographie : E. Haeckel : Le Monisme ; les Énigmes de l’Univers, etc…


MONNAIE n. f. (latin moneta). La forme primitive de l’échange fut, sans doute, le troc. Mais faut-il admettre, avec les économistes, que celui-ci, à l’origine, consistait à donner les objets dont on pouvait se passer pour obtenir ceux dont on avait besoin ? Rien de moins sûr. L’homme de la horde primitive n’envisageait pas les choses d’un point de vue objectif, il n’en appréciait pas l’importance d’après leurs propriétés matérielles et sensibles, mais plutôt d’après les sentiments que suscitaient chez lui les pouvoirs occultes qu’il leur attribuait. Les premiers échanges ne comportaient pas de mesures, les premières transactions ne furent pas des contrats privés, mais en quelque sorte des actes religieux, publiquement sanctionnés. Les cessions immobilières ont longtemps conservé ce caractère.

Le commerce, tel que nous l’entendons, a eu vraisemblablement sa source dans la dissemblance des produits du sol, entre peuples éloignés, et la division du travail, au sein des groupes particuliers. Mais cette division fut accompagnée d’une hiérarchisation des fonctions et d’une subordination des droits. La force, l’autorité présidaient à la répartition des produits entre les membres des familles et des clans. Dans les relations entre clans différents, la notion d’équilibre des services, de rétribution du travail, n’influaient qu’obscurément, elle était effacée par le sentiment de convoitise excité par la vue même de l’objet rare, par le monopole. Les échelles de comparaison entre les richesses faisant l’objet du troc étaient donc essentiellement arbitraires, et lorsque la multiplication des échanges eut éveillé l’idée d’une commune mesure entre les diverses matières, l’étalon fut défini sans précision et ne prit qu’à la longue l’aspect d’un symbole. Chez les peuples chasseurs, on choisit des peaux de bêtes, des armes ; certaines pierres taillées avec des soins particuliers dans des roches de provenance lointaine auraient servi de monnaie ; chez les peuples pasteurs, ce furent des têtes de bétail : il nous en est resté le mot pécune, de pécas (bétail), capital, de caput (tête) ; chez les agriculteurs, ce furent des produits du sol, céréales, noix… À la naissance de l’industrie, ce furent des objets manufacturés, pièces de toile, objets de parure, particulièrement en métaux précieux universellement désirés.

La monnaie telle que nous la connaissons, matière dont une quantité déterminée et garantie sert d’étalon de valeur pour toutes les marchandises, fut longtemps avant d’entrer en usage. Dans notre occident, elle paraît avoir été inventée en Grèce, vers 900 avant J.-C., et peut-être aussi en Lydie, d’Asie mineure. Elle ne fut introduite en Égypte que lors de la conquête par les Perses, d’où le nom de la pièce Dariques, de Darius. À Rome, ce ne fut qu’au milieu du ve siècle avant J.-C. que fut usitée une monnaie véritable en cuivre estampillé dont l’État monopolisait la fabrication. Cette correspondance entre la valeur et l’utilité du cuivre