Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MON
1624

marque le caractère réaliste du peuple romain. La conquête du monde au ive siècle, faisant affluer à Rome les trésors enlevés aux vaincus, amena l’emploi des métaux précieux. Dès le début de l’empire, l’Empereur se réserve la frappe de l’or et de l’argent, abandonnant au Sénat celle du cuivre, monnaie d’appoint.

Par le choix de l’or, la monnaie se rattache à la parure. « Si nous consultons l’histoire, l’or semble avoir été employé en premier lieu comme une matière précieuse propre à l’ornementation, secondement comme moyen d’accumuler de la richesse, troisièmement comme moyen d’échange et enfin comme une mesure de la valeur. » (Stanley Jevons). De droit, l’or appartient aux puissants ; le monnayage est le privilège des rois ; les pièces sont marquées de leurs sceaux. « Comme on les employait pour indiquer la propriété et ratifier les contrats, ils devinrent un symbole d’autorité. » (S. J.) Le souverain devient, en effigie, partie dans toutes les transactions, s’effectuant même loin de ses yeux. Faisant équilibre à tous les produits, la monnaie frappée à l’image de César indique que toutes les choses de ce monde appartiennent à César. On la lui restitue dès qu’il l’exige, c’est le tribut, c’est l’impôt.

De nos jours, la monnaie est : 1° Un moyen d’échange ; 2° Un étalon de valeur ; 3° Un moyen d’emmagasiner de la valeur.

Pour remplir le premier et le troisième rôle, il faut qu’elle soit une marchandise appréciée que chacun soit disposé à recevoir et veuille détenir. Pour servir à l’accumulation, il faut encore qu’elle soit inaltérable et que son rapport avec les richesses qu’elle représente soit sujet aux moindres variations. Les métaux précieux, toujours recherchés, répondent à peu près à ces conditions ; ils sont peu altérables et quant à leur valeur relative elle ne se modifie que lentement en temps normal. S’il arrive qu’ils soient en surabondance pour les transactions commerciales, la bijouterie les emploie ; si, au contraire, les besoins en numéraire augmentent, les bijoux se vendent pour le monnayage. Pendant de longues périodes la compensation s’établit spontanément sans mesures spéciales. L’usage du billet de banque, des chèques et autres titres de crédit, aide au maintien de l’équilibre.

Pour remplir son deuxième rôle, il faut que la matière qui fournira l’étalon concrétise la qualité commune à tous les objets échangeables que nous considérons comme constituant la valeur. Sans insister ici sur la notion de valeur (voir ce mot), nous pouvons dire que la tendance moderne est de concevoir une corrélation entre la valeur et le travail. L’équité exige que lorsque des hommes échangent entre eux produits et services ils ne fassent état d’autre chose que de la quantité de leur propre travail qu’ils leur ont incorporée, sans tirer un profit abusif des dons gratuits de la nature.

Or Marx a montré qu’aux pays de production, l’or est évalué en fonction du travail que l’extraction et le traitement du minerai exigent. Cependant la correspondance n’est pas rigoureuse ; les écarts, en temps ordinaire, ont pu atteindre 10 à 15 %. Ils peuvent occasionnellement devenir bien supérieurs avec la découverte de nouvelles mines et, à un moindre degré, avec le perfectionnement de la métallurgie. On y remédierait à la rigueur par le monopole de la production et la mise en réserve du surplus de celle-ci, de telle sorte que la portion introduite dans la circulation correspondit toujours à une même quantité de travail. Notons que pareille mesure ne serait pas possible si l’on prenait comme étalon une denrée de première nécessité. Pourrait-on restreindre la production du blé ou du fer pour leur conserver leur valeur ?

Mais, comme nous l’avons vu, ce ne sont pas des lingots pesés qui servent de monnaie légale, ce sont des disques dont le titre et le poids sont garantis par les États. L’expérience nous montre que c’est l’insuffisance

de cette garantie qui motive les plus grands écarts de la valeur. L’altération des monnaies est un procédé dont toujours les gouvernements ont usé pour se tirer d’embarras financiers sans provoquer les récriminations des gouvernés. Au premier siècle de notre ère, l’étalon représentait 7 gr. 80 d’or, au titre de 990 0/00. Au début du iiie siècle, il ne contient plus que 6 gr. 50 et, dès lors, le poids tombe si rapidement que l’or cesse d’être en usage. Le denier d’argent qui, au début de l’empire contenait 3 gr. 41 au titre de 99, voit son titre baisser à 50 % sous Septime Sévère. On le remplace par une pièce de 5 gr. qui tombe bientôt à 3 gr. Le titre n’est plus que 5 %, puis la pièce se réduit à une plaque de cuivre recouverte d’une pellicule d’argent.

Avant la IIIe République, nos rois ont recouru aux mêmes fraudes. Le moyen d’y mettre un terme serait l’adoption d’une monnaie internationale qui obligerait les gouvernements des divers pays à se surveiller mutuellement, si même la frappe n’était pas confiée à un atelier commun. Ce serait au surplus une précaution contre les velléités guerrières, car si une telle mesure ne suffisait pas à assurer la paix, elle apporterait une grande gêne aux expédients financiers des pays belliqueux.

On peut se demander s’il ne serait pas encore plus simple de supprimer l’emploi de la monnaie, l’échange s’opérant par l’intermédiaire de coupures représentant des heures de travail. Nous ne le pensons pas. La garantie de ces billets serait-elle personnelle ou sociale ? Dans le premier cas, il consacrerait une servitude personnelle de l’acheteur envers le vendeur, le premier se reconnaissant débiteur d’une certaine durée de labeur vis-à-vis du second ou de son substitut. Dans le second cas, elle aboutirait à la servitude de tous vis-à-vis de l’État investi des fonctions de garant et bientôt de régulateur de l’activité des citoyens, d’agent obligé de la répartition. Ce serait l’instauration d’un régime essentiellement autoritaire.

Malgré ses inconvénients, la monnaie est, en réalité, un instrument de libération de l’individu. Comme nous l’avons signalé, elle n’était pas usitée en Égypte sous les Pharaons et le peuple n’en était pas moins soumis à un dur esclavage ni moins pressuré. Renoncer à la monnaie métallique n’apporterait aucun soulagement à la misère des hommes si les cadres sociaux n’étaient préalablement transformés. Les relations des hommes avec les choses dépendent avant tout de la façon dont sont conçues les relations des hommes entre eux. – G. Goujon.

MONNAIE. Aristote, dans sa Politique, livre 1er, chapitre III, a retracé en quelques lignes l’histoire de la monnaie, et il n’y a pas grand’chose à ajouter, après tant de siècles, à ce raccourci : « On convint de donner et de recevoir dans les échanges une matière qui, utile par elle-même, fut aisément maniable dans les usages habituels de la vie : ce fut du fer, par exemple, de l’argent ou telle autre substance, dont on détermina d’abord la dimension et le poids et qu’enfin, pour se débarrasser d’un continuel mesurage, on marqua d’une empreinte particulière, signe de sa valeur ou plus exactement de son poids et titre ».

Mais ce n’est qu’après de longs, très longs tâtonnements que les sociétés humaines ont fini par adopter, comme instrument d’échange, un métal précieux, qui ne fut pas toujours, comme le remarque Aristote, l’argent, l’or ou même le platine. Non seulement on s’est servi du fer, mais on a employé (et on emploie encore) le cuivre, le plomb, l’électrum (alliage de 3/4 d’or et 1/4 d’argent) ; bref un corps présentant les avantages nécessaires à un outil de troc : homogénéité, inaltérabilité, divisibilité, malléabilité, facilité de transport.

À l’enfance de la civilisation, on s’est servi de têtes de bétail. Homère chante que tandis que l’armure de