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soient blancs ou qu’ils soient rouges. Si le consentement unanime des peuples constituait un signe, un critérium infaillible de la vérité, comme le soutint Lamennais, il faudrait croire au polythéisme, car cette conception domina le monde entier chez les anciens ; il en fut de même, il est vrai, concernant la fixité de la terre, la rotation du soleil et des étoiles autour de notre planète. Ajoutons qu’après le triomphe du monothéisme, jamais l’entente n’a pu se faire, entre les penseurs, sur la nature divine. Petit malheur, puisqu’aucune hypothèse n’est moins prouvée, disons même plus contraire à l’expérience et à la raison, que celle de l’existence de Dieu. – L. Barbedette.


MORALE (Recherche d’une règle de vie). n. f. du latin moralès, de mores, les mœurs). La morale est l’ensemble des règles dont s’inspirent les mœurs, dans un groupement social quelconque, en vue du bien commun. Elle est forcément en rapport, non seulement avec les aspirations intellectuelles et sentimentales du groupement qui lui a donné naissance, mais encore avec ses besoins économiques, et les conditions particulières qui lui sont faites par le milieu naturel dans lequel il est appelé à se développer. La morale est, pour l’harmonie dans le groupement, ce que l’hygiène est pour la préservation des maladies dans la collectivité. Elle tend à éviter ce qui, dans la conduite de chacun, serait susceptible d’entraîner, pour les autres et pour soi-même, de la souffrance inutile, des dissentiments graves, la déchéance et la ruine. Elle se propose de favoriser, au contraire, ce qui est de nature à développer dans le groupement la concorde, l’estime mutuelle, le bonheur et la prospérité. Elle éclaire, complète, et cultive ce que la pratique millénaire de l’entr’aide, parmi les générations successives, a placé en nous d’instinct de sociabilité.

Mais, précisément parce que le contenu et la portée de chaque morale sont conditionnés par les degrés d’intelligence, de savoir, et de culture du groupement dont elle est originaire, il ne s’ensuit pas que toute morale soit forcément rationnelle, largement humaine et respectable en ses préceptes, les milieux sociaux superstitieux, ignorants et cruels étant encore, hélas, les plus nombreux. Il est évident, d’autre part, que la morale étant appelée à tenir compte des exigences du milieu naturel et des nécessités de la vie pratique, elle ne peut comporter en toute région, comme en tout temps, des indications absolument identiques, sinon quant à son principe même, du moins quant à ses modalités d’application. Ainsi, tout en répondant au même objet, les précautions d’hygiène ne sauraient-elles être complètement les mêmes pour l’homme, selon qu’il vit en Norvège ou sous l’Équateur.

Se déclarer amoraliste, ou même immoraliste, simplement parce que l’on répudie les moralités officiellement admises dans la société qui nous environne, est une erreur grave, quand ce n’est pas une boutade dangereuse, parce que cela peut donner lieu dans l’enseignement, et non sans raison, à des interprétations inexactes, aux suites regrettables.

Être amoral, en effet, c’est être totalement dépourvu de directives quant à ce que doivent être les relations nécessaires dans la vie de société ; se laisser aller à toutes ses impulsions, sans aucun souci des conséquences que notre conduite pourrait avoir pour autrui et, par répercussion fréquente, pour nous-même. C’est une des formes de l’inconscience. Être immoraliste, c’est avoir conscience de ce qu’est la morale mais, par orgueil, scepticisme, ou misanthropie, s’en faire l’adversaire sous toutes ses formes, même les plus séduisantes et les plus raisonnables.

Quand on reconnaît que certaines règles, dictées non par l’arbitraire, mais par l’utilité, sont indispensables à la vie en société ; lorsqu’on admet qu’il est — ne

serait-ce qu’à l’égard de nos proches amis — des manières de se comporter qui sont bonnes, et d’autres, par contre, qui sont méprisables, on est, qu’on le veuille ou non, partisan d’une morale, même si, considérant les choses sous un angle très personnel, il se trouve que cette dernière n’a rien de commun avec celle qui est enseignée dans les écoles.

D’ailleurs, à la vérité, personne n’est totalement immoraliste. Ceux qui se prétendent tel, et le sont en effet, ne sont en réalité immoralistes que lorsque ceci favorise leur intérêt propre. Cependant les reproches amers, voire les invectives, dont ils accablent autrui, chaque fois qu’autrui se permet d’agir à leur égard avec la même désinvolture, prouvent surabondamment qu’ils ne sont dépourvus de sens ni du bon et du mauvais, ni du juste et de l’injuste. Mais ils réservent pour les autres les obligations que cela comporte, et s’accordent licence de ne faire que ce qui leur convient.

Le banditisme le plus vulgaire a sa morale, très estimable à certains points de vue. Ne pas livrer à la police les amis ; assister les prisonniers ; ne pas les dépouiller de leur part de butin. Quand, sous prétexte de liberté, on ne veut même pas se plier à des données aussi élémentaires, la vie en commun devient une triste chose, une sorte de suicide collectif, le profiteur malhonnête de la veille étant appelé à devenir la victime du lendemain. Comme perspective, on n’a pas devant soi l’harmonie rêvée, mais les brutalités de la jungle.

La liberté de l’amour elle-même, lorsqu’elle n’est pas recherchée pour soi uniquement, comporte une morale : celle de la réciprocité dans la tolérance à l’égard du compagnon ou de la compagne choisis, dût-on, sans une plainte, en souffrir cruellement.

L’idéal d’une transformation sociale, lorsqu’il n’est point pur prétexte à controverses philosophiques, comporte, lui aussi, une morale : ce n’est pas forcément de s’offrir en holocauste a son entourage, en pratiquant à son profit un communisme unilatéral. Mais c’est ne négliger rien, dans l’ordre de nos possibilités pratiques immédiates, de ce qui serait susceptible d’en hâter l’avènement.

Quant au communisme anarchiste, il est, jusque dans ses moindres détails, toute une doctrine de morale sociale qui peut être résumée ainsi : — Ne te crée pas du luxe aux dépens de la misère de ton prochain, mais renonce à exploiter son labeur pour te procurer des biens. — Rends-toi utile suffisamment pour n’être point à charge, mais veille à rendre à la société en bienfaits ce que tu as reçu d’elle sans effort. Ne fais point violence à autrui pour le contraindre à servir tes desseins, mais respecte sa vie privée et ses opinions, même lorsque tu ne les partages point. Cependant exige pour toi-même les avantages que tu admets pour autrui, et dont tu lui as permis de bénéficier, car il n’est pas dû au despote la tolérance, au parasite le bien-être, à l’autocrate la liberté. Jean Marestan.

MORALE (Éthique Individuelle et Sociale). Avec raison, Nietzsche et un très grand nombre d’écrivains anarchistes, ou même simplement honnêtes, ont insisté sur la nocuité des morales, de toutes les morales qui, depuis si longtemps, oppressent les consciences humaines. Variables selon les époques et les contrées,. prescrivant aujourd’hui ce qu’elles condamnaient hier, audacieusement imposées au nom des dieux ou soi-disant conseillées par la raison, elles se bornent en général à forger des chaînes, destinées à paralyser les forts selon Nietzsche, à maintenir les faibles dans l’obéissance selon moi. Que de vies manquées, que de mutilations volontaires du corps ou de l’esprit, quelle plate docilité à l’égard des maîtres, combien de renoncements aussi sots qu’inutiles, parce qu’on inculque, dans le cerveau des individus, les préceptes d’un divin